Vous avez sûrement déjà entendu parler des battles ? Ces tournois de hip-hop à l’ambiance endiablée qui visent à élire un champion de breakdance, de beatbox ou de rap. Dans ces arènes, il faut avoir le courage d’exposer son talent aux yeux de tous. Ne pas craindre le jugement. Une étape parfois déterminante pour se faire un nom dans le milieu.

A l’heure du succès du hip-hop, il est plus que jamais difficile de se faire connaître. La compétition est rude pour les artistes qui sont très nombreux à proposer des shows de qualité et qui veulent tous être les meilleurs. Pour les départager, les battles, ou bataille en français, sont incontournables. Existant à la fois sous forme musicale (djing, rap, slam), ou dansée (B-boying ou breakdance), cet affrontement hautement compétitif, souvent improvisé, expose les meilleurs talents aux yeux du grand public. Elles offrent parfois de belles carrières aux participants. Ouvertes à tous, peu normées et gratuites, les battles sont de véritables tremplins pour se faire un nom dans l’univers hip-hop. Encore faut-il avoir assez de cran et de talent pour oser rentrer dans le cercle et s’opposer à un adversaire réputé.

Retour sur les racines des « battles »

Les premières battles se tiennent sur Sedwick Avenue dans le Bronx à New York lors des célèbres « block parties » de DJ Kool Herc. L’idée est simple : les voisins se réunissent sur le trottoir et encerclent les DJs, qui sont invités à s’affronter musicalement devant une foule exaltée. Les « sounds systems » jamaïcains en sont à l’origine. Ces duels consistent à défier son voisin pour savoir qui possède les meilleures enceintes et passe la meilleure musique. Les battles évoluent rapidement d’un affrontement informel dans l’espace public à des tournois compétitifs organisés pour faire valoir une culture urbaine en ascension.

Flyer de la première block party de l'histoire, griffonnée par la sœur de DJ Kool Herc.
Flyer de la première block party de l’histoire, griffonnée par la sœur de DJ Kool Herc.

Naissance des « battles » de rap

La battle de rap naît de la rue et s’inspire des « dirty dozen » (douze mesures d’insultes). Ce jeu issu des communautés afro-américaines consiste à insulter la mère de son adversaire. Si les premières battles de rap apparaissent dans les années 1970, on retient quelques clash légendaires. En 1982 entre Kool Moe Dee et Busy Starski, ou encore celui de LL Cool J et Canibus en 1997.

Kool Moe Dee vs Busy Bee Starski Dec 1981 Harlem World

C’est le film 8 Miles (2002), réalisé par Curtis Hanson qui les expose au grand public. On y découvre les débuts difficiles d’Eminem, ce génie des mots qui fait ses armes dans des « open mics » (micros ouverts). Des soirées de battles compétitifs organisées pour identifier les meilleurs rappeurs du quartier. Suite à cela, la large diffusion d’internet, des réseaux sociaux et de la vidéo bouleverse l’impact des battles sur le public. Des chaînes comme Grind Times Now ou Don’t flop émergent et se font alors rapidement connaître aux États-Unis.

8 Mile – Ending Battles

Mais en France alors ?

En France, les battles arrivent plus tardivement. Le lancement des chaînes de radio de rap permet la médiatisation de battles légendaires. Celle entre Zoxea et Dontcha chez Skyrock en est un parfait exemple. Parallèlement, quelques chaînes se lancent comme Dégaine ton style en 2001 ou encore la MC’s League créée en 2006. Mais ces championnats restent très undergrounds et peu connus du grand public.

Clash en freestyle Dontcha vs Zoxea

En 2008, le WordUpBattles, la première ligue de battles rap francophone est créée au Québec et inspirera les célèbres Rap Contenders français. En effet, c’est en 2010, que le succès des battles de rap s’impose dans la capitale, avec la création par Dony S & Stunner de la première édition des Rap Contenders à Paris. Ces battles de rap, entièrement filmées, connaissent un succès fulgurant et récoltent des millions de vues sur Youtube.

Les battles, comment ça fonctionne ?

Une battle est ouverte à tous et il y n’a que très peu de règles à suivre. Ce qui rend la compétition très spontanée. Les deux artistes s’affrontent tour à tour en improvisant dans leur discipline, entourés par un cercle de spectateurs. Un jury désigné à l’avance ou l’applaudimètre déterminent alors le gagnant. Une fois le vainqueur désigné, il défie une nouvelle personne, jusqu’à ce que l’un des deux capitule à nouveau.

Dans un battle de rap, les deux rappeurs disposent de quelques minutes seulement pour lancer leurs meilleures phrases assassines et ridiculiser leur adversaire. Mais ce qui fait la spécificité des battles, c’est leur ambiance. Le public joue un rôle crucial en tant que supporter et juge. Plus les « punchlines » sont bonnes et plus la foule est en liesse. Il est d’ailleurs souvent difficile de rétablir le silence pour continuer le round tant le public est exalté.

BATTLE RAP sur BEAT – Le Best of !

Les battles de rap, un sport musical ?

Les boxeurs et les rappeurs ont beaucoup plus de choses en commun qu’on ne le pense. Dans leur organisation, les battles de rap s’apparentent à des compétitions de sports de combat. « Rap Contenders, c’est le MMA du spectacle » explique Stunner, un des fondateurs des Rap Contenders. En effet, les similitudes avec un combat de boxe sont grandes. Les adversaires « kickent » lors de « rounds », à coup de « punchlines ». Et ils reçoivent un titre lorsqu’ils gagnent.

Rappelons que l’objectif principal est de mettre à terre son adversaire, c’est-à-dire l’humilier afin qu’il ne puisse plus répondre et laisse passer son tour. Pourtant, loin des violences et clichés sur le rap et l’univers hip hop en général, la battle permet justement un affrontement pacifique. Et cela afin d’éviter d’autres méthodes et d’en venir aux mains. Comme dans un combat d’art martial, elle entend un fort respect entre les adversaires qui se saluent systématiquement avant et après le match.

Rap Contenders – Le BEST OF des 10 ANS !

Performer pour se faire un nom

Les battles de rap étant très compétitives, il est difficile de s’y faire une place. Il suffit de regarder Wojtek, le gagnant invaincu de quatre éditions des Rap Contenders pour s’en rendre compte. Le passage dans le cercle d’une battle motive les rappeurs pour exprimer des idées, défendre leur disque, se confronter à l’autre pour trouver son propre style. S’endurcir avant de se lancer dans le milieu, se faire un nom rapidement font partie des enjeux. Certaines grandes stars de la scène du rap français y sont passées, et souvent très jeunes. C’est le cas de Nekfeu, Alpha Wann, Jazzy Bazz, Deen Burbigo, Bigflo et Oli, Dinos ou encore la Sexion d’Assaut.

15 PUNCHLINES de WOJTEK qui ont RETOURNÉ LA SALLE !

Ils n’ont pourtant pas tous été repérés de cette manière et certains ont même connu de grands flops (c’est le cas d’Orelsan par exemple). Si, certaines battles sont rentrées dans la légende et ont été un bon tremplin pour commencer une carrière, elles ne sont pas du goût de tous les rappeurs.

Une technique travaillée pour atteindre la reconnaissance

Passer par une battle de rap et en sortir vainqueur est une véritable performance qui demande beaucoup d’efforts. Dans une battle, la parole est entièrement libre. L’objectif est de séduire le public et de déstabiliser l’adversaire avec les « punchlines » les plus acérées et les plus humoristiques.

Avec les battles a cappella, sans le « beat » qui accompagne le rappeur, la qualité des textes et le charisme sont dévoilés sans artifice. Le rappeur doit alors incarner un personnage et jouer la comédie. Une performance qui s’anticipe !

Battle de rap - Dony S et Stunner lors de la première édition des Rap Contenders
Battle de rap – Dony S et Stunner lors de la première édition des Rap Contenders

Aujourd’hui, certaines chaînes de battles autorisent les clashs sans freestyle, c’est-à-dire sans improvisation. Cela laisse un temps de préparation pour peaufiner ses textes et éviter le « choke », le trou de mémoire. Ainsi les rounds durent plus longtemps et sont de meilleures qualités. Cela étant, il faut quand même avoir beaucoup de sang froid pour supporter les insultes, les répliques cinglantes, et les humiliations. Vêtements, origines, vie sexuelle, mère, tout y passe et l’autodérision est plus que bienvenue.

Finalement, grâce à ce niveau de compétition élevé, les battles réunissent les meilleurs artistes et sont des viviers de talents bruts

Comme ils sont ouverts à tous ceux qui s’en sentent capable, on y retrouve tous les styles de rap : hardcore, conscient, poétique, gangsta… Mais aussi des improvisations ébouriffantes, des rimes et des rythmes parfaitement maitrisés. Des punchlines qui font frémir, des flips remarquables (phrase du round précédent qui est retournée contre l’adversaire) pour le plus grand plaisir des passionnés de rap. La compétition reste le cœur des battles. Le rappeur sait qu’il doit donner toute sa personne pour un court moment, et ce partage est d’autant plus saisissant qu’il exprime souvent des émotions profondes.

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Par Alisson Argoud,

Après des études en littérature, j’ai obtenu un master en urbanisme spécialisé dans la co-construction des espaces urbains avec les habitants. En parallèle j’ai développé des compétences dans divers domaines comme le graphisme, la rédaction, ou la communication en travaillant bénévolement dans diverses associations. Créative et ordonnée, je manie la plume et les mots avec plaisir.

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