Quand un haut lieu de l’hôtellerie assume son héritage et fait coïncider patrimoine urbain avec prestations luxueuses ! Bienvenue à Molitor !

Le Tout-Paris est à Molitor

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1929 : Paris est encore dans l’effervescence des Années folles. Les Jeux Olympiques accueillis dans la capitale en 1924 ont lancé une vraie mode du sport. C’est dans ce cadre que les « Grands Etablissements Balnéaires d’Auteuil » sont ouverts, offrant à un public huppé et à la mode deux piscines – une d’hiver couverte par une verrière et une d’été en plein air – une patinoire, un solarium, un centre sportif… dans un bâtiment conçu par l’architecte Lucien Pollet comme un paquebot, avec ses hublots et ses balustrades.

Son style Art déco, sublimé par le travail des plus grands artisans d’art, en fait un lieu unique, propice à l’épanouissement d’une jeunesse en quête de divertissement et de rencontres.

Molitor devient rapidement un lieu prisé du Tout-Paris, réunissant artistes reconnus et sportifs internationaux. Dès le début des années 1930, il accueille le Gala nautique de l’Union des artistes, puis de nombreux événements qui attirent toujours plus de monde. Des commerces s’installent autour des piscines, et l’été, les bassins ne désemplissent pas. Entre-deux-guerres, l’établissement est très à la mode ; c’est un lieu mythique et avant-gardiste qui n’a de cesse de réunir des célébrités séduites par son élégance et son extravagance. Symbole de l’atmosphère qui règne à Molitor, en 1946, c’est autour de ses bassins que le premier bikini fait son apparition.

Imaginez le brouhaha général, les rires qui fusent, l’eau qui clapote et éclabousse les habitués se prélassant sur la plage de sable. Molitor dégage une certaine impertinence : les jeunes femmes tombent le haut pour lézarder au soleil, des défilés de mode sont organisés, on élit chaque année la plus jolie baigneuse pendant la Fête de l’Eau. Une ambiance qui n’enlève rien au standing de ce lieu très chic. Les baigneurs se changent et laissent leurs affaires dans les fameuses cabines bleues qui entourent les bassins sur trois étages. Le garçon de cabine se charge de marquer leurs initiales à la craie blanche sur la porte.

Molitor, du temple de l’hédonisme au temple de l’underground

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Pourtant, à partir des années 1970, le déclin de Molitor s’annonce. C’est d’abord la patinoire, installée sur le bassin extérieur en hiver, qui ferme définitivement, car trop coûteuse à installer. Peu après, le constat alarmant des dégradations du bâtiment et de ses équipements sonne le glas des Grands Etablissements Balnéaires d’Auteuil. A la fin du bail accordé par la Mairie de Paris, en 1989, la direction rend les clés. Menacée de démolition, la piscine est préservée grâce à la mobilisation d’anciens habitués qui parviennent à la faire inscrire à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques. La Piscine Molitor ferme alors pour une durée indéterminée.

Ce site désaffecté de 13 000 m2 trouve rapidement un nouvel usage, aubaine inattendue pour le mouvement graffiti en plein essor dans la capitale, sans cesse à la recherche de nouveaux murs

Et s’ils sont à l’abri de la police, tant mieux. Le lieu est donc investi illégalement et en quelques années, la plupart de ses surfaces sont ornées des graffitis de street-artistes, dont certains sont aujourd’hui renommés : Kashink, Jace, Katre, Psyckoze, Seen et tant d’autres y ont fait leurs classes ou laissé leur marque. C’est un immense atelier à ciel ouvert qui voit le jour dans la clandestinité, on investit jusqu’aux anciens bassins, tous les recoins du bâtiment sont visités.

Immortalisé par de nombreux photographes, Molitor est alors un témoin important de l’histoire du street-art.

Le destin « underground » de Molitor est consacré le 14 avril 2001, lorsque le collectif Heretik parvient à réunir 5 000 personnes dans ce qui a été la plus grande free-party de la capitale. Un événement très médiatisé qui ouvrira la voie à de nombreux autres dans les lieux encore désaffectés. De 2009 à 2011, la Compagnie des Maîtres Nageurs ouvre les portes de Molitor au public en organisant soirées, défilés de mode et concerts, mais aussi en accueillant artistes, réalisateurs et photographes pour continuer de faire vivre la création dans ce lieu devenu légendaire.

Renaissance et hommage à l’histoire du lieu

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Puis en 2011 débutent les travaux de réhabilitation de la Piscine Molitor, suite à un appel à candidature lancé par la Mairie de Paris pour la rénovation et l’exploitation du bâtiment. Malgré son statut de Monument historique, la restauration en bonne et due forme du bâtiment n’est pas envisageable, en raison de son état de dégradation avancée. Le projet retenu se veut fidèle à l’architecture initiale du bâtiment, reprenant la structure globale en paquebot, les formes des balustrades, les mosaïques et les couleurs, ou encore le bassin d’hiver, reconstruit à l’identique. Cependant, seule la rotonde d’entrée et quelques murs extérieurs ont été conservés.

Quand Molitor rouvre ses portes en 2014, ce n’est plus seulement une piscine, mais aussi un hôtel, qui abrite un restaurant, un spa et un centre sportif, le tout résolument orienté luxe.

Un projet architectural et un positionnement controversés mais dont il faut admettre qu’ils font la part belle à l’histoire des lieux.

Le nouveau Molitor restitue à la façade du bâtiment son jaune « tango » caractéristique, conserve les cabines aux portes bleues surplombant les bassins, malgré leur inutilité dans un complexe hôtelier où les baigneurs se changent soit dans leur chambre soit au spa. Les lieux offrent un savant mélange d’architecture contemporaine, de la touche Art Déco originelle et de l’esprit underground qui y a régné pendant vingt ans, en mettant à l’honneur le street-art.

Un surprenant musée

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Photo Sébastien Gabriel 2019

En effet, dès sa réouverture en 2014, Molitor entreprend de souligner cette part importante de son histoire. De friche urbaine, il entend devenir un musée vivant de l’art urbain en invitant des artistes à investir tous les espaces de l’établissement – lobby, restaurant, bassins – et en initiant en particulier sa collection des cabines. Cette kyrielle de pièces surplombant le bassin d’hiver est ainsi offerte aux street-artistes comme lieu d’expression. Ils sont d’abord une vingtaine, et désormais plus de soixante-dix à y avoir recréé leur univers. Un écho évident aux graffitis qui ont recouvert la piscine abandonnée pendant deux décennies, surtout quand certains de ces artistes sont officiellement invités à travailler là-même où ils ont jadis œuvré clandestinement.

On y retrouve, pêle-mêle, l’oiseau de Bishopparigo, l’univers coloré et géométrique de Cisco Merel, le gouzou de Jace, les lignes acérées d’Hopare, les collages de Madame, le grand sourire de Monsieur Chat, les origamis ultra-colorés de Mademoiselle Maurice ou encore les visages à quatre yeux de Kashink.

L’artiste Retro applaudit la « confrontation intéressante des styles, des univers et des époques » dans cette véritable galerie d’art dédiée à l’art urbain, inattendue dans une piscine et qui peut sembler décalée dans l’univers raffiné de l’Hôtel Molitor.

Mais cela fait déjà plusieurs années que luxe et art urbain dialoguent

Qu’il s’agisse de collaborations avec des marques ou des hôtels, ou encore de l’essor du street-art dans le marché de l’art. Molitor s’insère donc dans cette dynamique avec un double objectif : soutenir les artistes et faire connaître l’art sous toutes ses formes.

Sylvia Randazzo, Directrice Artistique du projet, souligne : « Il y a tellement de styles différents dans les cabines, il y a tellement d’artistes, que forcément ça va plaire à au moins une personne, à chaque fois ».

En publiant un livre sur la collection des cabines en octobre 2019, intitulé Molitor : Vibrations artistiques, l’établissement se positionne même en véritable musée, diffusant ses collections à travers des catalogues d’exposition. Une collection qui se veut néanmoins mouvante, puisque, dans l’esprit de l’art urbain par essence éphémère, il est fort probable que les œuvres des cabines se renouvellent à leur tour. Chaque catalogue sera donc aussi un témoin de l’histoire du street-art, comme le bâtiment l’a été pendant vingt ans.

L’eau comme point commun entre la piscine et le street-art

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Photo Sébastien Gabriel 2019

Envie de découvrir des œuvres qui dialoguent tout particulièrement avec l’environnement de Molitor ? Voici une sélection de cabines où les artistes ont choisi de jouer avec la thématique de l’eau ou avec l’histoire du lieu :
– Averi : Cabine 58
– Beerens : Cabine 138
– Dire 132 : Cabine 132
– FBZ : Cabine 32
– Jace : Cabine 166
– Joachim Romain : Cabine 148
– Kan : Cabine 140
– Katre : Cabine 104
– Kelkin : Cabine 176
– Levalet : Cabine 136
– Maïté Sant : Cabine 126
– Mosko : Cabine 46
– Mr Difuz : Cabine 28
– Oreo : Cabine 162
– Pref : Cabine 116
– Psyckoze : Cabine 156
– Ratur : Cabine 134
– Stew : Cabine 122
– Taroe : Cabine 154
– Thomas Mainardi : Cabine 182
– Vixter : Cabine 66

Infos pratiques :

Adresse : 13 Rue Nungesser et Coli, 75016 Paris

Site Internet : https://www.mltr.fr/

Visites des cabines sur rendez-vous :
Entrées gratuites
Visites guidées 8 €
Réservation https://www.mltr.fr/fr/visites-des-cabines/

Par Laure Armand d’Hérouville,

Après avoir vécu son enfance à travers le monde et mené à bien des études d’Histoire et de gestion de projets culturels, Laure Armand d’Hérouville exerce depuis 10 ans dans cet univers créatif et exaltant. Elle est désormais consultante indépendante, en particulier dans le domaine des musées et du patrimoine.

1 Comment

  1. BRIGITTE LAVALLETTE Répondre

    Incroyable,dire que j’y allais à la piscine lorsque j’étais en CM1 et CM2…..mais au moins elle est restaurée

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