Pour le novice, un pont est un pont. Il permet d’aller d’un point A à un point B en enjambant un obstacle imposant, généralement une rivière. Parfois joli, parfois impressionnant, on se retourne rarement une fois qu’on l’a traversé.

Le pont fait partie de nos usages et de nos paysages, à tel point qu’on questionne rarement ces infrastructures. Mais si l’on y prête un peu attention, l’on se rend rapidement compte que les ponts constellent les guides touristiques. Les comptes Instagram et nos propres souvenirs de voyages ne sont pas en reste non plus.

Le pont est un lieu stratégique

Il permet de raccourcir les distances, de relier deux lieux de façon pérenne. Il favorise les échanges humains, commerciaux, mais aussi politiques. S’il est un symbole diplomatique dans ce domaine, c’est bien le pont de l’amitié sino-coréenne. Construit en 1943 au-dessus de la rivière Yalou. Il sépare la Chine de la Corée du Nord. Il se double actuellement d’un second ouvrage pour répondre à l’intensification des échanges entre les deux pays. Stratégique également, le pont des Amériques ! Il a été, entre sa construction en 1962 et l’ouverture du Pont Centenaire en 2004, l’unique connexion permanente entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Les deux continents sont techniquement coupé en deux depuis l’ouverture du canal de Panama en 1914.

Le pont des Amériques

Le pont peut être emblème

Certains ponts sont si emblématiques que bientôt, la ville qui les abrite est assimilée à leur image. C’est bien sûr le cas du Golden Gate pour San Francisco. Sa couleur orange si représentative. Ses près de 3 000 mètres de long qui en firent le pont le plus long du monde pendant près de trente ans. Ses deux pylônes culminant à 230 mètres au-dessus de la surface. Tout cela a de quoi marquer les esprits. Sa construction fut un tel événement que le jour de son inauguration, plus de 200 000 piétons le traversèrent. Le pont Erasme, à Rotterdam, est lui aussi un emblème de sa ville. Son pylône blanc évoque un cygne en origami, dont la hauteur rivalise avec les immeubles alentour.

Le Golden Gate Bridge @RyanJWilmot / Wikicommons

Un cas particulier : Brooklyn

Le pont de Brooklyn, lui, est reconnaissable entre mille. Ce que l’on sait moins, c’est à quel point sa construction fut complexe. Elle dura 14 ans et fut l’objet de tentatives de malversations. Une trentaine de personnes perdirent la vie, dont son architecte John Augustus Roebling. Elle causa également de nombreux accidents, en particulier au fils de l’architecte, Washington Roebling. Il avait pris la suite de son père et finit lourdement handicapé. Cet épisode, de même que le spectaculaire effondrement du pont Morandi à Gênes en août 2018 rappellent que les ponts sont des infrastructures complexes. Sa construction et son entretien demandent de grandes compétences techniques.

Vue stéréoscopique du pont de Brooklyn en construction
© New York Public Library

Le premier pont

La légende dit que Sémiramis, reine de Babylone, vers 800 avant notre ère aurait construit le premier pont. Pour ce faire, le cours du fleuve Euphrate aurait été détourné. Il n’est plus question, depuis, de détourner un fleuve pour construire des ponts ! Et quand la longueur de l’obstacle nécessite de poser des pylônes intermédiaires, d’importants travaux subaquatiques sont nécessaires. Nos techniques modernes simplifient beaucoup la donne. Imaginons toutefois le travail titanesque que fut la construction du pont de Mérida. Situé en Estrémadure (Espagne), les Romains le construisirent au Ier siècle avant notre ère. Avec ses 790 mètres et ses 60 arcs, il fut le plus long de l’Antiquité. Aujourd’hui, c’est le pont Danyang-Kunshan, en Chine, qui détient ce record, avec ses 164 kilomètres de long.

Le pont Danyang-Kunshan en Chine

Un enjeu : la stabilité du pont dans la durée

On inventa plusieurs catégories de ponts pour répondre aux particularités de chaque site et aux capacités techniques de chaque époque : les ponts à voûtes, à poutres, en arc, suspendus ou à haubans. Les ponts de singe en corde sont probablement les plus anciens type de ponts suspendus. On en trouve dès le IIIe siècle en Chine, et l’on sait que les Incas en avaient construit un réseau de plus de 200 quand les Espagnols arrivèrent en Amérique. S’y ajoutent des prouesses techniques supplémentaires, comme la possibilité de relever le tablier du pont pour permettre le passage des bateaux. Là encore plusieurs techniques existent : les ponts basculants, comme le Tower Bridge de Londres, ou les ponts levants, comme le pont Jacques-Chaban-Delmas, à Bordeaux. Prouesse technique aussi pour le viaduc de Millau : 343 mètres de profondeur au point le plus haut, 2 460 mètres de longueur et des vents pouvant dépasser les 200 km/h nécessitèrent 13 ans d’étude avant la construction.

Tower Bridge à Londres © Colin / source : Wikimedia Commons

L’homme est fasciné par sa propre puissance

C’est un fait et il n’est donc pas surprenant que la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco regorge des exploits que sont les ponts. Le pont du Gard d’abord, aqueduc construit au Ier siècle pour alimenter la ville de Nîmes en eau, frappant pour ses 48 mètres de haut et ses trois niveaux d’arches. Son architecture exceptionnelle a été reconnue très tôt. Ce qui lui a valu d’être restauré dès le XVIe siècle, contribuant sans doute à le préserver jusqu’à nos jours. Qui a visité le château de Chenonceau est surpris de découvrir cet édifice majestueux enjambant le Cher. C’est Catherine de Médicis qui fit construite les galeries qui surplombent la rivière sur un pont construit en 1559 pour relier le château originel à la rive opposée. Théophile Seyrig, quant à lui, construisit le pont Dom Luis Ier, à Porto. Disciple de Gustave Eiffel, le pont possède deux étages de circulation, l’un pour les voitures, l’autre pour le métro, ce qui permet aussi de desservir différents niveaux de cette ville au fort dénivelé.

Le pont Dom Luis Ier à Porto © Laure Armand d’Hérouville

Des symboliques plurielles et contrastées

Le pont des Soupirs, à Venise, est totalement fermé. Ses fenêtres cloisonnées évitaient que ne s’échappent les prisonniers du palais des Doges. Ces derniers le traversaient pour rejoindre les cellules d’interrogatoire. Et il ne fallait pas non plus que le bon peuple entende leurs plaintes. Loin de cette connotation d’enfermement et de souffrance, on trouve dans l’archipel malaisien de Langkawi un pont aérien qui surplombe la canopée, offrant une sensation de liberté et d’émerveillement face à la magnificence de la nature.

Antonio Contin – Ponte dei sospiri (Venice)

Progressivement, les ponts sont passés du statut d’ouvrage d’art à celui d’œuvre d’art

Le pont de La Salve jouxte le surprenant Musée Guggenheim de Bilbao. Pour le dixième anniversaire du musée, en 2007, Daniel Buren ajouta son Arc rouge qui fait maintenant partie intégrante du paysage de la ville. C’est également le cas du Lucky Knot, inauguré en 2016 à Changsha, dans la province de Hunan, en Chine. Ce sont trois passerelles qui s’entrecroisent qui constituent en réalité cette passerelle piétonne. Elles desservent ainsi plusieurs niveaux sur chacune des berges. Cet entrelac rouge, voulu comme un hommage au nœud de Moebius, évoque aussi la forme d’un dragon, comme un écho au nom de la rivière qu’il enjambe, la Dragon King Harbour River.

Le Lucky Knot Bridge (Changsha, China)

Les ponts inspirent les artistes

Du mythique pont japonais de Monet au livre de Maylis de Kerangal, Naissance d’un pont (2010), du pont Saint-Michel sans cesse représenté par Matisse, qui le voyait de son atelier, au Pont de la rivière Kwaï, roman de Pierre Boulle (1952) adapté au cinéma par Sam Spiegel (1957), des ponts, pontons et passerelles qui essaiment les œuvres de Hokusai aux vues nocturnes des ponts de Paris par Brassaï… Sans parler des artistes qui interviennent directement sur les ponts, comme Christo qui, en septembre 1985, emballa entièrement le Pont-Neuf, à l’aide de 40 000 m2 de toile, 12 tonnes de câbles et la collaboration de 300 personnes.

Le Pont Neuf emballé par Christo, 1985
Par Airair / source : Wikimedia Commons

Le grand public aussi s’approprie ces éléments d’architecture

La chanson populaire regorge d’exemples, d’Avignon à Nantes, on danse sur les ponts ! Les amoureux ont pris l’habitude d’accrocher un « cadenas d’amour » sur un pont et d’en jeter la clé dans la rivière qu’il enjambe : le pont Milvius à Rome, le pont des Arts à Paris, le pont Hohenzollern à Cologne, le pont Loujkov à Moscou ou encore la passerelle Corktown à Ottawa. Appropriation aussi, quand d’anciennes voies ferroviaires sont rendues aux piétons, telles la High Line à New York ou la Coulée verte à Paris.

Le Pont Saint-Bénézet communément appelé le pont d’Avignon

Les ponts sont loin d’être des infrastructures anodines

Leur fonction de trait d’union, leur emplacement privilégié offrant au regard du passant une perspective nouvelle, leur position surplombant l’obstacle, voire le danger, génèrent une attraction irrémédiable. Prouesses techniques, inspirations architecturales et usages nouveaux voient le jour, qui redessinent progressivement la place des ponts dans notre environnement. L’ouvrage utilitaire n’est plus, le pont est désormais un objet en soi, s’il est aussi utile, tant mieux.

Le nouveau Pont d’Or du Vietnam

L’info pratique

Si vous êtes un adepte d’Instagram, vous avez sans doute vu passer de nombreuses photos d’un pont au milieu de la nature qui, avec son reflet dans l’imperturbable rivière qu’il surplombe, forme un cercle parfait. Il s’agit du Rakotzbrücke, ou pont du diable, situé dans le Parc d’azalées et de rhododendrons de Kromlau, dans l’Est de l’Allemagne. Maintenant que vous le savez, vous pouvez aussi y faire un tour !

Rakotzbrücke

L’info insolite

Et si, au lieu d’un tunnel, c’était un pont qui reliait la France à la Grande-Bretagne ? L’idée ne date pas d’hier. On formula l’hypothèse pour la première fois dans les années 1830. Maintes fois étudiée jusqu’au début du creusement du tunnel en 1987, l’idée n’est pas si aberrante. 34 kilomètres séparent Douvres et Calais, soit huit de moins que le plus long pont maritime, situé à Qingdao en Chine. Les défis seraient néanmoins nombreux : la profondeur, qui atteint 72 mètres par endroits, l’intensité du fret maritime, le coût du projet, la volonté politique, pour n’en citer que quelques-uns.

Par Laure Armand d’Hérouville,

Photo-vignette : Never afraid of adventure by Hanson Mao

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Après avoir vécu son enfance à travers le monde et mené à bien des études d’Histoire et de gestion de projets culturels, Laure Armand d’Hérouville exerce depuis 10 ans dans cet univers créatif et exaltant. Elle est désormais consultante indépendante, en particulier dans le domaine des musées et du patrimoine.

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