Carmen de Georges Bizet (1838-1875) est l’opéra le plus joué au monde. Pourtant, à sa création en 1875, l’œuvre lyrique avait fait scandale et n’avait pas connu le succès en raison de la sensualité débordante de l’héroïne, bien trop libre pour son époque. La production du sulfureux metteur en scène espagnol Calixto Bieito a été créée en 1999 et est entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris en 2017. Bieito décloisonne Carmen du folklore ibérique pour en faire un personnage contemporain en préservant l’essence de son caractère, celui d’un être épris de liberté et farouchement indépendant.

Gaëlle Arquez (Carmen) et Michael Spyres (Don José) dans « Carmen » de Georges Bizet, mise en scène de Calixto Bieito © Guergana Damianova / Opéra national de Paris
Gaëlle Arquez (Carmen) et Michael Spyres (Don José) dans « Carmen » de Georges Bizet, mise en scène de Calixto Bieito © Guergana Damianova / Opéra national de Paris

Gaëlle Arquez dans le rôle-titre

Avant le lever du rideau, le prélude musical est une merveille, vif, à quatre thèmes dont l’air du Toréador, il introduit la composition très expressive de Bizet, dirigée avec talent par Fabien Gabel. La main du Destin plane sur cette œuvre pleine de symboles : « La muerte ! », annonce avec des éclats de rire le comédien Karim Belkhadra (Lillas Pastia). Les soldats occupent désormais la scène.

Pieds nus, Gaëlle Arquez dans le rôle-titre s’avance face au public. Elle est rapidement applaudie, sa voix déterminée s’élève au-dessus du chœur. Elle porte une blouse qui pourrait être celle d’une ouvrière sortant de l’usine. Entourée de nombreux admirateurs, elle séduit et s’enferme dans une cabine téléphonique. Cette Gitane pourrait vivre à Barcelone ou dans le Sud de la France, à Arles ou à Perpignan. Alternant les passages chantés et parlés avec des intonations plus incisives pour certaines parties du dialogue, Gaëlle Arquez allie le talent de comédienne à celui de chanteuse lyrique.

A plusieurs reprises, elle a interprété cette héroïne mais à l’étranger.

C’est la première fois que la mezzo joue dans une salle en France. La musique douce, aigre, tourmentée fait écho aux sentiments exacerbés de Carmen, à son tempérament de feu. Au plus près du public, elle chante en légers mouvements sur le rythme de la Habanera

L’amour est enfant de Bohème, Il n’a jamais connu de loi ; Si tu ne m’aimes pas, je t’aime ; si je t’aime, Prends garde à toi !

Après un bref moment de pause, le visage devient plus dur sur les derniers mots repris par le chœur : « Prends garde à toi ! » Elle porte son dévolu sur Don José (le ténor Michael Spyres) qui en effet ne la remarque pas. Il est très aimé par la très sage Michaëla – messagère de la parole maternelle – interprétée par la soprano sud-africaine Golda Schultz dont la voix est douce et émouvante. Cet opéra est une traversée des émotions par le chant, la musique et le jeu des interprètes.

« Carmen » de Georges Bizet, mise en scène de Calixto Bieito © Guergana Damianova / Opéra national de Paris
« Carmen » de Georges Bizet, mise en scène de Calixto Bieito © Guergana Damianova / Opéra national de Paris

La carte de mauvais augure

Carmen au caractère complexe et rebelle est dans l’instant et les conquêtes, Don José est plus sentimental – sa voix est au début sereine, puis hésitante et troublée. Quand ils se retrouvent, Carmen a déjà croisé le toréador Escamillo (le baryton Lucas Meachem). Elle reste avec Don José car il l’a libérée de prison mais la passion semble moins vive, elle ne répond pas à ses déclarations. Pourtant, elle lui demande l’impossible, tout quitter et la suivre.

Phares allumés. La scène de l’Opéra Bastille est transformée en parking improvisé. Carmen et ses amies boivent, chantent et dansent. La mezzo Adèle Charvet dans le rôle de Mercédès est pétillante de talent, elle incarne à merveille par sa gestuelle et sa posture, la copine gitane de Carmen. Andrea Cueva Molnar (Frasquita) à la voix mélodieuse est plus discrète. D’autres voitures arrivent, les capots sont surchargés de bagages couverts de bâches bleues.

A la création de cette production, il y a une vingtaine d’années, le metteur en scène espagnol voulait traiter de la thématique de l’immigration qu’il relie dans cette œuvre au nomadisme des Gitans.

Les sacs-cabas et les cartons passent au-dessus des têtes. Séparés par une voiture, Carmen se rapproche du toréador ; Don José fou de jalousie la brutalise. Mais Carmen apparaît dans une robe rose pailletée au côté d’Escamillo, en habit de lumière. Ses deux amies l’avertissent du danger. Elles ont vu la carte de mauvais augure. Devant les arènes, Carmen attend son nouvel amant. La voix de Don José est d’abord suppliante. Elle ne cède pas et revendique sa liberté. « Tu ne m’aimes donc plus ? », répète-t-il deux fois – Michael Spyres incarne avec brio cet homme fragile et minable. Tout est fini, elle lui fait une bise et commence à s’éloigner. Il la tue. La scène est magistrale, en hors-champs, la corrida bat son plein.

Lucas Meachem (Escamillo)et Gaëlle Arquez (Carmen) dans « Carmen » de Georges Bizet, mise en scène de Calixto Bieito © Guergana Damianova / Opéra national de Paris
Lucas Meachem (Escamillo)et Gaëlle Arquez (Carmen) dans « Carmen » de Georges Bizet, mise en scène de Calixto Bieito © Guergana Damianova / Opéra national de Paris

L’imaginaire audacieux de Bieito est présent tout au long de cet opéra.

L’influence cinématographique des années 1970 – 1980 correspond à la période de sa jeunesse. Il a créé cette adaptation à partir d’une écoute attentive de la partition. C’est une œuvre complète et très vivante, il y a aussi des références à la danse – battements de mains sur les corps, déplacements des chœurs… L’opéra qui a été ovationné captive l’auditoire, sa dimension contemporaine offre des tableaux à l’atmosphère nocturne, une intensité dramatique, des touches d’humour mêlées à des moments anachroniques, et cette foule colorée aux vêtements vintage – le chœur des enfants apporte tant de fraîcheur et de la gaieté. En quittant l’Opéra Bastille, des spectateurs fredonnent des airs, une spectatrice dit : « Quelle aventure ! C’était un voyage. »

Fatma Alilate

Carmen de Georges Bizet – mise en scène de Calixto Bieito

Opéra Bastille

Place de la Bastille

75012 Paris

Tél. : 08 92 89 90 90 (0,35 € TTC/min) ou +33 1 71 25 24 23 depuis l’étranger, du lundi au samedi de 9h à 19h (sauf jours fériés)

www.operadeparis.fr

Jusqu’au 25 février 2023

15 représentations : (A) 15 nov. › 3 déc. 2022 et (B) 28 jan. ›25 fév. 2023

Durée : 2h55 (1 entracte)

Opéra en quatre actes 1875

Musique Georges Bizet (1838-1875)

Livret Henri Meilhac, Ludovic Halévy

D’après Prosper Mérimée

En langue française Surtitrage en français et en anglais

Direction musicale Fabien Gabel*

Mise en scène Calixto Bieito

Décors Alfons Flores

Costumes Mercè Paloma

Lumières Alberto Rodriguez Vega

Cheffe/Chef des Chœurs Ching-Lien Wu (nov., déc.) Alessandro Di Stefano (jan., fév.)

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris Maîtrise des Hauts-de-Seine/ Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris

Don José Michael Spyres (15, 18, 21, 27, 30 nov., 3 déc.) Joseph Calleja (24 nov., B)

Escamillo Lucas Meachem (A) Étienne Dupuis (B)

Le Dancaïre Marc Labonnette

Le Remendado Loïc Félix

Zuniga Alejandro Baliñas Vieites** (A) Guilhem Worms (B) Moralès Tomasz Kumięga***

Carmen Gaëlle Arquez (A) Clémentine Margaine (B)

Micaëla Golda Schultz* (15 › 27 nov.) Adriana Gonzalez*** (30 nov., 3 déc.) Nicole Car (B)

Frasquita Andrea Cueva Molnar**

Mercédès Adèle Charvet (A) 15 nov. › 3 déc. 2022 (B) 28 jan. ›25 fév. 2023

Lillas Pastia Karim Belkhadra

* Débuts à l’Opéra national de Paris ** Artiste en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris *** Ancien artiste en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris

15 représentations : (A) 15 nov. › 3 déc. 2022 et (B) 28 jan. › 25 fév. 2023

Durée : 2h55 (1 entracte)

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