Dans l’esprit populaire un artiste est un être doux, sensible et rêveur. Au pire lorsque sont associés l’art et le crime, nous songeons aux trafiquants d’art ou à la reproduction illicite d’œuvres d’art anciennes ou récentes. Cependant certains criminels, autrement plus dangereux, ont été ou sont devenus des artistes, acquérant curieusement une clientèle parfois étendue sans trop de difficultés.

Certaines réalisations artistiques ont inspiré un crime

D’autres ont pu faire soupçonner leur auteur d’être un criminel en puissance ou insoupçonné. Les parcours des uns et des autres demeurent intéressants à observer tout comme leurs motivations. En fait plusieurs de ces artistes criminels présentent une personnalité antisociale à laquelle on associe la psychopathie, la sociopathie ou la personnalité dyssociale.  Un tel individu est avant tout défini comme un prédateur social qui charme, manipule et abuse de son entourage, ne ressentant ni remords ni empathie. Il démontre de plus une incapacité à reconnaître les règles conventionnelles et morales et ne recherche que les gratifications personnelles.

John Wayne Gacy

Il naît le 17 mars 1942, à Chicago. À l’âge adulte, ses voisins le considèrent comme un type sympathique, bon enfant et serviable. Citoyen exemplaire, il fait du bénévolat déguisé en Pogo le clown d’où la surprise de son entourage en voyant les policiers envahirent son domicile en décembre 1978. Dans le vide sanitaire de la maison de ce dernier ils découvriront corps après corps. Vingt-neuf cadavres sont ainsi exhumés et on lui accordera 33 meurtres.

Condamné à la peine de mort le 12 mars 1980, il ne sera exécuté que le 10 mai 1994. Alors qu’il se trouve dans le couloir de la mort Gacy commence à peindre, ses sujets vont des personnages de Disney à la Pietà de Michel-Ange et surtout Pogo le clown. À un moment il est même possible de commander pour environ 50 $ un portrait de soi réalisé par Gacy.

Des personnalités célèbres tel Johnny Depp et le réalisateur John Waters collectionnent les œuvres du tueur en série dont les prix grimpent en flèche. Certaines de celles-ci seront même exposées à Los Angeles et San Francisco. Rick Staton, un entrepreneur de pompes funèbres, fut un temps son agent artistique et encouragea ensuite d’autres tueurs à suivre les traces de son protégé. (et oui certain pense que le crime paie)

Art du crime : John Wayne Gacy déguisé en Pogo le clown (histoire ayant inspiré le célèbre film "Ça")
Art du crime : John Wayne Gacy déguisé en Pogo le clown (histoire ayant inspiré le célèbre film « Ça »)

William Heirens

Il peint des aquarelles détaillées, entre autres des paysages, avec des teintes douces et quelque peu féeriques. Il commence à commettre des effractions dans diverses demeures dès l’âge de neuf ans. À l’âge de 16 ans, il entre dans un appartement où dort Joséphine Ross, la fille de la victime découvrira le corps de sa mère en regagnant leur appartement.

Doué, le jeune homme fait partie d’un programme expérimental permettant à des gens plus jeunes que l’âge d’inscription normal d’entrer en faculté à l’Université de Chicago. Poursuivant ses escapades criminelles, il tire ensuite avec une arme à feu sur une jeune fille, puis frappe une infirmière à la retraite avec une barre de fer après s’être introduit chez elle. Lorsqu’il pénètre dans un autre endroit par effraction, il tue une jeune femme de deux coups de feu après l’avoir frappé. Sa prochaine victime sera une petite fille de six ans.

Le jeune criminel est capturé quelques temps plus tard ayant été surpris par des témoins alors qu’il tentait de s’introduire dans un appartement. Heirens sera condamné à la prison à perpétuité sans possibilité de libération, sous aucune condition. Il est décédé en détention en mars 2012 et ses œuvres prirent ensuite encore plus de valeur sur le marché des collectionneurs.

Art du crime : Message écrit au rouge à lèvres sur le mur de l'appartement de Frances Brown, l'une de ses victimes : "Pour l'amour du ciel, attrapez-moi avant que je ne tue d'autres personnes, je ne peux pas me contrôler".
Art du crime : Message écrit au rouge à lèvres sur le mur de l’appartement de Frances Brown, l’une de ses victimes : « Pour l’amour du ciel, attrapez-moi avant que je ne tue d’autres personnes, je ne peux pas me contrôler ».

Danny Rolling, surnommé l’éventreur de Gainesville

Il est à la recherche de gloire et se dit possédé par un esprit malin appelé Gemini qu’il qualifie de marionnettiste du mal. Il sera au cœur d’une cavale meurtrière de 3 jours sur un campus universitaire.

Le 24 août 1990 les étudiantes Sonya Larson, 18 ans, et Christina Powell, 17 ans, emménagent dans un appartement à Gainesville en Floride.  Rolling entre dans l’appartement à 3h30 du matin et se rend dans la chambre de Sonya qu’il poignarde puis redescend violer Christina endormie sur le sofa puis la tue. Il agressera également Christina Hoyt 19 ans, qu’il mutile et s’en prendra à 2 colocataires étudiants, Tracey Paules et Manuel Taboada, puis s’enfuit à Tampa avec une voiture volée. Effectuant une série de braquage, il est arrêté 2 semaines après le premier meurtre de cette tragique série. Son ADN le reliera ensuite à trois autres meurtres commis à Shreveport dix mois auparavant.

Condamné à mort, il attendra 12 ans son exécution qui se fera le 25 octobre 2006. Entre-temps il devint un artiste reconnu, produisant principalement des dessins fantaisistes et morbides dont plusieurs dévoilent le côté sombre de leur auteur. L’un de ces croquis a même été vendu 1000 dollars.

Perry Smith

Il a toujours été passionné par l’art et peindra jusqu’à son exécution.

En novembre 1959 l’ensemble de la famille Clutter est massacrés dans leur maison à Holcomb au Kansas. Le père, Herbert, a eu la gorge tranchée et la tête fracassée d’un coup de fusil. La mère Bonnie a été bâillonnée et a reçu une balle dans la nuque. Kenyon, 15 ans, et Nancy, 16 ans, ont été tous deux bâillonnés et ligotés puis ont subi le même sort que leur mère. Les tueurs, Richard George Hickock et Perry Smith, sont deux individus criminalisés très intelligents qui se sont connus en détention. Ils ont cru pouvoir trouver chez les Clutter 10 000 $ en liquide, mais il n’y avait pas d’argent sur place et les deux hommes ont pris la fuite vers le Mexique.

C’est en revenant aux États-Unis qu’ils finiront par être arrêtés en janvier 1960 pour vol de voiture et autres délits. Ils avoueront alors les meurtres des Clutter en rejetant la faute l’un sur l’autre. Tous deux seront pendus le 14 avril 1965. Perry Smith avait un talent certain et a exécuté entre autres un très beau portrait de Jésus.

Art du crime : ,Richard George Hickock et Perry Smith
Art du crime : ,Richard George Hickock et Perry Smith

Et tous les autres…

Nous pourrions également citer Richard Ramirez, un tueur en série ayant fait 13 victimes, et Charles Manson, chef de secte bien connu, ce dernier s’étant spécialisé dans la sculpture d’animaux réalisées avec des chaussettes.

Elmer Wayne Henley, meurtrier de 32 adolescents, peint des koalas.

Lawrence Bittaker, assassin et violeur de cinq adolescentes, quant à lui réalise des cartes de vœux

Wayne Lo, condamné pour une fusillade dans une université du Massachusetts en 1994, pratique sans relâche son art qu’il tente désespérément d’exposer

Et que dire de Rodney James Alcala, violeur et tueur en série, qui fut un diplômé de l’école des Beaux-Arts de UCLA avant d’entreprendre sa carrière criminelle.

La motivation de ces individus dans la réalisation d’œuvres d’art rejoint celle de plusieurs autres artistes : s’exprimer, être reconnus pour leur talent ou faire de l’argent. En effet pour plusieurs d’entre eux l’œuvre n’est rien d’autre qu’une nouvelle façon d’assouvir leur orgueil, d’acquérir des adeptes ou encore d’améliorer leurs finances.

Que des criminels s’adonnent à l’art, avec plus ou moins de talent, n’a au fond rien de si surprenant

Leur psychologie rejoint celle de plusieurs artistes conventionnels, bien que certaines de leurs réalisations démontrent parfois une morbidité et une violence représentant les crimes commis. Mais que penser de leur clientèle ? En effet comment peut-on désirer détenir une œuvre d’individus ayant commis de telles horreurs ?

L’être humain prête souvent vie à des objets inanimés

Il leur concède parfois une âme et souvent une partie de la personnalité de leurs possesseurs ou créateurs. D’où une certaine fascination face à un objet ayant appartenu à une personne célèbre. De ce fait, la valeur économique d’un objet n’est pas reliée qu’à son prix d’achat mais également à la valeur sentimentale qu’il représente.

Heureusement les acquéreurs d’œuvres de criminels ne sont pas tous des groupies de ceux-ci, en fait certains sont simplement des amateurs d’art qui désirent obtenir une œuvre d’un auteur particulier pour compléter leur collection, dans le but de détenir une œuvre présentant une histoire hors de l’ordinaire ou qui leur plaît tout simplement.

D’autres cependant sont à la recherche d’idoles, désirant se greffer à des individus hors normes et connus, espérant ainsi s’octroyer une certaine visibilité et reconnaissance par procuration. Ce type de comportement peut rejoindre la personnalité d’un individu qui ne se sent pas apprécié s’il ne se trouve pas au centre de l’attention. Ces personnes sont bouleversées par toute critique, sont très suggestibles et influencées par les autres tout comme par les modes et adhèrent rapidement sans se questionner à une opinion ou une idée. Elles peuvent donc désirer acquérir des œuvres de criminels simplement en constatant l’intérêt que cela suscite. Ennuyées par la routine, elles demandent des gratifications immédiates et cherchent la nouveauté excitante ce qui encore là peut être la source d’une motivation pour acquérir une œuvre présentant une histoire sortant de l’ordinaire.

Le ou la groupie nie le plus souvent le côté criminel du tueur

Il ou elle le croit victime de sa misérable vie passée ainsi que de la société. Il excuse les crimes commis ou n’en a tout simplement rien à faire, certaines groupies ont même épousé le tueur toujours incarcéré.

D’autres amateurs encore peuvent présenter une personnalité dépendante, construisant leur vie autour d’autres individus. Ces personnes démontrent des difficultés de prise de décision, doutent d’eux-mêmes, se rabaissent, et leur dépendance de l’avis des autres peut les amener à vouloir être en relation avec un individu qu’ils croient aptes à les protéger ou dont le seul contact peut les valoriser.

D’autres acquéreurs d’œuvres exécutées par des criminels se lancent un défi personnel en possédant de telles réalisations pour démontrer ne pas avoir peur de ce type d’individu ou de leur influence quelle qu’elle soit, se mettant ainsi de l’avant. Avec un intense besoin d’être admiré, leur estime d’eux-mêmes est pourtant fragile d’où ce besoin constant d’être confortés par le regard de l’autre.

Les amateurs d’œuvres de criminels peuvent donc être des personnes fragiles dont le contact avec ces individus peut devenir nocif, tout comme des personnes à la recherche de sensations ou tout simplement un amateur désirant ajouter une nouvelle œuvre à sa collection. Il est donc difficile de tous les assimiler à une même description et motivation.

Parfois nous ignorons l’identité de criminels ayant utilisé l’art lors de la commission de leurs crimes

Ainsi le tueur de la gare de Perpignan s’est inspiré d’un peintre célèbre, ce lieu étant reconnu pour son association avec Salvator Dali.

Art du crime : La gare de Perpignan par Salvador Dali
Art du crime : La gare de Perpignan par Salvador Dali

Quelques jours avant Noël 1997, Mokhtaria Chaib, une étudiante en sociologie à l’Université de Perpignan passe la soirée avec son ami de cœur dans un appartement du centre de la ville, elle le quitte vers 23h pour se rendre à son propre appartement situé tout près. Son corps nu est découvert le jour suivant présentant une amputation des seins et un utérus manquant. La jeune femme a été tuée de plusieurs coups à la tête.

En septembre 1995, c’est le meurtre de Tatiana Andujar, 17 ans. Elle a trouvé la mort en suivant la même route que la dernière victime, vers la station de train. En 1998, Marie-Hélène Gonzalez, 22 ans, est retrouvée morte le corps mutilé de la même façon que Chaib. Plusieurs organes de son corps ont été prélevés et la précision des incisions mènent les policiers à penser à un tueur exerçant une profession médicale.

Salvator Dali, décédé en 1989, produisait des toiles curieuses, imprégnées de mutilations et de sexualité et les enquêteurs ont cru à une possible inspiration du peintre pour expliquer les mutilations accomplies par le tueur en série. Un médecin péruvien, dont la licence avait été suspendue, a été interrogé car il vivait près de la gare mais rien n’a pu le relier concrètement aux crimes. C’est un certain Jacques Rançon qui avouera les meurtres.

Des artistes ont été soupçonné d’être des criminels en raison de leurs œuvres

C’est entre autres le cas du peintre Walter Richard Sickert (1860-1942) soupçonné par l’auteure Patricia Cornwell d’être rien de moins que… Jack l’Éventreur.

Sickert était d’abord comédien puis est devenu peintre, graveur et fut même disciple d’Edgar Degas. Il était assez habile en déguisement et maquillage au point que certains le qualifiaient même de génie dans cet art. Réalisant souvent des œuvres violentes, morbides, il était néanmoins considéré plutôt comme un technicien.

Sickert s’est intéressé au célèbre tueur en série et en 1908 a peint un tableau intitulé La chambre de Jack l’Éventreur. Il s’agit d’une huile sur toile de 50 cm par 42 cm. Le lieu représenté est un endroit situé à Camden Town où le peintre croyait que le tueur avait vraiment vécu. C’est en fait la propriétaire des lieux qui le lui a affirmé croyant que le tueur était un étudiant de l’école vétérinaire ayant terminé ses jours à l’asile. Les œuvres de Sickert traitent de mort, de corps en morceaux, de sang, de cercueil, etc. Il a de toute évidence un goût prononcé pour le crime et le morbide.

L’auteur Stephen Knight pour sa part a considéré le peintre comme étant un complice de Jack l’Éventreur et l’auteure Jean Overton Fuller l’a soupçonné d’être le tueur lui-même. Les experts des œuvres de Sickert réfutent cependant ces accusations et il faut avouer qu’il n’a jamais été mentionné comme suspect à l’époque des crimes.

De dangereux criminels sont donc associés au monde de l’art

Certains d’entre eux l’ont fait par opportunisme, parfois incité par un individu sans scrupules, alors que d’autres y ont contribué en raison d’un talent naturel ou d’une attirance envers l’art tout simplement. Ce qui démontre que le criminel est également un individu avec des désirs, des talents et des intérêts divers. Par ailleurs ces œuvres ne sont peut-être pas inutiles pour la criminologie et peuvent nous permettre de comprendre un autre aspect des tueurs en série et de leur mode de fonctionnement.

De même l’étude psychologique de leur clientèle peut se révéler tout aussi pertinente, car quelle influence ces œuvres, parfois morbides, peuvent-elles avoir sur leurs acquéreurs, surtout ceux à la psychologie fragile ?  Peuvent-elles motiver au crime ? Sont-elles réellement toujours à relier à son auteur ou peuvent-elles se détacher de la personnalité de celui-ci ? Voilà des questions actuellement sans réponse mais non sans intérêt. Bien que le sujet de l’art et du crime puisse sembler étrange au premier abord n’oublions pas les mots de l’auteur britannique Thomas de Quincey qui a décrit « l’assassinat en tant qu’un des beaux-arts » ! 

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Par Mireille Thibault, Auteure et ethnologue.

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