Du Jazz, du swing, du be-bop, des banquettes en cuir rouge, un bar en acajou et des escaliers partout. Le Caveau de la Huchette, c’est du lundi au dimanche à Saint-Michel, et c’est tout de suite dans C’est comme la confiture.

Crédits : Podcast proposé par Cultur’easy
Concept de Marion Labbé-Denis
Écriture et Voix de Marion Labbé-Denis
Musique Originale de Lucas Beunèche
Montage & Mixage de Lucas Beunèche
Conseil artistique : Caroline Garnier
Production artistique : Elodie Bedjai

Il y a quelques années, j’ai reçu la visite d’un copain hollandais à Paris pour le week-end.

À l’époque, je vivais dans un tout petit appartement dans les escaliers de la butte de Montmartre. Je portais des robes à pois et je disais bonjour à tous les commerçants du quartier. (Enfin, au moins à quatre d’entre eux.) Bref, je vivais dans un film et Amélie Poulain, c’était moi. J’avais donc décidé que le week-end serait à l’image du film dans ma tête. Franchement, j’ai tout fait. Le dîner place du Tertre, la Basilique du Sacré-Cœur, le Canal Saint-Martin, l’épicerie Collignon. Et même le petit déjeuner aux Café des 2 Moulins.

Au bout d’un moment, il a fini par me demander pourquoi tous les touristes qui passaient sur le trottoir d’en face nous prenaient systématiquement en photo. J’ai dû lui expliquer que c’était le café où travaillait Audrey Tautou, enfin Amélie Poulain, dans le film Amélie Poulain. Qu’il n’avait pas vu… Sur la route du petit film dans ma tête, il y avait bien évidemment des balades interminables pour éviter de devoir prendre le métro parisien.

Il y avait aussi et surtout une soirée dans un Club de Jazz. 

Ça pour le coup, c’était pas dans Amélie Poulain, mais seulement dans ma tête. Oui, bon ! C’est moi le réalisateur du film dans ma tête, c’est pas Jean-Pierre Jeunet, donc je fais ce que je veux. J’étais hyper curieuse d’aller voir de plus près à quoi ressemblait ce lieu emblématique du Quartier Latin. Que dis-je ! Ce temple du Jazz, j’ai nommé le Caveau de la Huchette.

En toute transparence, le Jazz pour moi comme pour beaucoup de gens, c’était au départ surtout une petite musique d’ascenseur. Pas particulièrement désagréable, hein, mais pas de quoi danser la gigue au réveillon du jour de l’an. Ça m’évoquait surtout une bande de connaisseurs un peu snob qui hochent la tête en souriant. Comme si en improvisant trois notes le trompettiste venait de leur raconter la meilleure vanne de la journée. Le tout en tapotant la table du bar du bout des doigts. Nous laissant, nous, pauvres néophytes sur le trottoir de l’autoroute du fun. Et finalement, non, je n’ai pas changé d’avis. Il y a ça aussi, mais pas que. Et c’est ce qui m’a permis de raccrocher les wagons, je vous explique.

La Caveau de la Huchette se trouve au numéro 5 de la rue du même nom.

Une rue presque entièrement piétonne. Le long de laquelle on trouve aussi le Théâtre de la Huchette qui joue du Ionesco depuis 1957. Vous n’avez jamais lu Eugène Ionesco ?! Moi non plus. Mais, le théâtre de la Huchette est célèbre parce qu’il joue le même auteur toutes les semaines depuis bientôt 50 ans.

La rue de la Huchette, on y trouve aussi une forte concentration de bars et de restaurants. Et c’est à deux pas de la Cathédrale Notre Dame et des Quais de Seine. Vraiment, un quartier touristique, certes, mais aussi très agréable. Un quartier où il fait bon se promener sans hâte, en s’abandonnant à l’impression et au spectacle du moment. C’est joliment dit hein, oui, c’est la définition de flâner.

Au numéro 5, se trouve donc le fameux Caveau de la Huchette, célèbre Club de Jazz. Mais aussi Temple du Swing depuis 75 ans. Et le Swing c’est justement ce qui m’a permis de démystifier le Jazz en général. Franchement, quand tu rentres pour la première fois dans cet endroit, c’est une sensation très particulière. Les fois suivantes aussi, tu me diras. Mais on éprouve le sentiment très cliché, je vous l’accorde, de remonter le temps.

Le Caveau de la Huchette, c’est comme son nom l’indique un Caveau. 

Une fois passée la billetterie, on pénètre dans une salle toute en longueur. Avec à gauche un immense bar en acajou derrière lequel trônent des photographies d’artistes qui s’y sont produits. Et à droite, une enfilade de banquettes et de fauteuils en cuir rouge. Le tout éclairé par des lumières tamisées ambiance vitraux multicolores. Tout au fond, on trouve les escaliers qui mènent au sous-sol, enfin au caveau, enfin vous voyez quoi.

La salle n’est pas immense, mais il y a des recoins, des marches et des couloirs dans tous les sens. Les murs sont en pierre apparente  – oui, c’est mon côté agent immobilier du dimanche, ça me semble important à noter. Notez donc, les murs sont en pierre apparente – et dans mes souvenirs, le plafond est assez bas. Et ça renforce cette impression de lieu intimiste où on viendrait s’encanailler. Au milieu de la pièce se trouve une piste de danse entourée par des banquettes rouges. Il y a des escaliers dans trois des quatre coins de la salle et des demi-étages. Ça peut facilement ressembler à un labyrinthe, un truc assez jouissif quand on adore les cabanes.

La dernière fois que j’y suis allée, c’était bondé. 

J’entends quelqu’un dire “Attends Vincent, je vais mettre ça au vestiaire” et je vois qu’ils ne prennent pas le chemin le plus court alors je dis “Excusez-moi, vous cherchez le vestiaire ?” Alors que je le savais très bien. On me dit oui, je réponds : “C’est juste là au fond de la salle à gauche”. “Ah, merci” me disent-ils. “Vincent, la dame dit que c’est par ici !” Et là catastrophe, je les vois fendre la foule et rejoindre au ralenti le coin à droite de la salle au lieu de la gauche. Dans mon fort intérieur, et peut-être un peu en playback aussi, je dis “Non, Vincent à gauche toute, Vincent, à gauche!”. Mais rien à faire, il était trop tard. En voulant leur faire gagner du temps, je leur ai fait perdre un quart d’heure et trois orteils. Ma bonté les aura perdus.

Si le sentiment de remonter le temps est aussi présent au Caveau de la Huchette, c’est que…

Si on ne remonte en réalité pas grand chose, on découvre quand même un lieu chargé d’histoire. 

Oui, c’est l’autoroute des clichés, cet épisode. Je suis dans un film, j’ai dit. Je ne peux pas retracer tout l’historique, parce que je ne suis pas le Stéphane Bern de la Vieille Pierre. Mais avant le 16e siècle, les Rose-Croix et les Templiers se donnaient parfois rendez-vous à cet endroit. Et puis, on dit aussi que c’est devenu plus tard, une loge secrète franc maçonnique. Pendant la révolution, c’est devenu le Caveau de la terreur. Une taverne à l’étage, et au sous-sol un tribunal, une prison et une salle d’exécution. Une toute autre ambiance. 

Bien plus tard, le Caveau de la Huchette est devenu le Théâtre de la chanson. Et a vu passer Léo Ferré et Georges Brassens entre autres. Avant d’être repris en 1946 par Maurice Goréguès, puis par Dany Doriz qui en est propriétaire depuis les années 70. Ces murs, ils en ont vu passer du beau monde. Sidney Bechet, Sacha Distel, Scott Hamilton, Manu Di Bango et Boris Vian. Oui, il en a sous la pédale Boris. Il a écrit L’Ecume des jours certes, mais il est aussi musicien de Jazz, chanteur et critique, le cumul des mandats.

Aujourd’hui le Caveau est géré par Dany Doriz et ses trois fils

Dany Doriz, il est aussi musicien, il joue du saxophone, du piano, mais aussi, tenez-vous bien : du vibraphone ! Le vibraphone, c’est un instrument de musique qui fait partie de la famille des percussions. Comme un xylophone mais avec du métal et pas du bois. C’est un instrument qui aurait été inventé en 1916 et commercialisé au début des années 1920. Le premier à en avoir joué et à l’avoir mis sur le devant de la scène, ce serait Lionel Hampton. Au final au cours du 20e siècle, il a été utilisé pas mal sur de la musique classique. Notamment par Pierre Boulez. Oui, ça vous dit quelque chose ? C’est un compositeur qui a donné son nom à la grande salle de la Philharmonie de Paris.

Mais enfin, tout ça pour dire. Si c’est effectivement un lieu historique, c’est aussi un club de jazz familial qui appartient à un musicien. 

Ça danse, ça joue et ça donne une de ces pêches ! Parce que cette musique très axée swing, c’est un vrai bonheur. Je suis pas en train de dire que ça suffit à compenser Mercure qui rétrograde. Mais, l’entendre, c’est prendre une décharge de dopamine, instantanément. La musique swing, pour vous donner une idée c’est Louis Prima par exemple. Un chanteur, auteur, compositeur et trompettiste de jazz américain originaire de la Nouvelle Orléans. Mais si, je suis sûre que vous voyez, il a travaillé avec Disney sur la bande son du Livre de la jungle.

(Lalalalala) Oh woupidoo (vous l’avez ?)

Et bien ça c’est lui, enfin c’est moi, mais voilà. Je sais pas si vous êtes d’accord, mais moi je trouve que ça a quelque chose d’absolument irrésistible, que ça donne envie de danser.

C’est grâce au caveau de la Huchette que j’ai eu envie d’apprendre à danser le swing. La piste de danse du Caveau n’est pas grande et à certaines heures, il y a tellement de monde qu’on se marche un peu sur les souliers. Mais il y avait des gens avec une énergie et une grâce dingue.

J’ai vu un couple de danseurs de 70 ans s’élancer sur la piste en début de soirée

Et je me suis dit “mais attends, quoi, mais ce style !” Et sans aucune prétention en plus, ils avaient l’air de se marrer comme des baleines, j’ai trouvé ça éblouissant. Oui, je trouve qu’on utilise pas assez le terme “éblouissant”. 

Ce qui n’était pas éblouissant en revanche c’était ma propre prestation. Parce que quand tu rejoins la piste de danse alors que tu n’as, toi, pas le moindre sens du rythme. Et aucune idée de comment ça se danse cette affaire, c’est pas la même mayonnaise. Et quand ton compagnon de galère n’en sait pas plus que toi. Le rendu c’est un peu comme quand tu essaies de communiquer à l’étranger. Alors que tu ne parles pas un traître mot de la langue officielle. Tu fais des grands signes avec les mains. Tu articules en parlant fort “C’est par où la plage ? La plage, la mer, l’eau ! Plouf” Tu penses que ça va changer quelque chose et bien sûr, tout le monde sait que, non. Au mieux on va t’indiquer les toilettes publiques en pensant que ta vessie est au bout du rouleau.

Bon, là c’est un peu pareil quand il n’y en a pas un pour rattraper l’autre

On oscille d’un pied sur l’autre. Mais on ne comprend pas bien où est-ce qu’on est censé mettre ses pieds. En bref, on a l’air un peu benêt. Alors on bouge la tête d’avant en arrière, en faisant un petit sourire figé. On a l’impression que ça nous donne l’air plus à l’aise. Mais je vous le dis de suite, ce n’est pas le cas. Cela dit, ça n’a pas vraiment d’importance. Ce qui est bien aussi dans cet endroit c’est qu’il y a une certaine forme de bienveillance je crois. On s’en fout en fait. Tu danses comme tu veux, tu te fais plaisir et en réalité c’est un peu la seule chose qui compte.

Et c’est fou parce qu’aujourd’hui, on y croise autant des touristes que des habitués.

 Et ça, ça a un côté très sympa. Le Caveau – enfin son enseigne, emblématique de la rue de la Huchette – a été mise en avant dans une des scènes finale du film Lalaland. La Comédie Musicale de Damien Chazelle avec Emma Stone et Ryan Gosling (oui, encore lui). Depuis la sortie du film, la fréquentation touristique a augmenté au Caveau de la Huchette. Mais les habitués eux n’ont pas forcément bougé pour autant. Ils viennent toujours, mais juste un peu moins le week-end. Et quand je dis des habitués, parfois ça fait trente ans qu’ils sont là toutes les semaines ! Comme à la maison, quoi.

Et puis, ce qui est top avec le Caveau, c’est que contrairement à d’autres salles de concerts où l’on se rend parce qu’on sait que tel groupe joue ce jour là et qu’on a choisit de les voir eux. Là on choisit la salle, on y va un peu à l’aveugle, en tous cas on peut. On peut se retrouver à n’importe quelle soirée, finalement. On est dans le quartier, il est 21h30 et on a envie d’entendre de la musique ? Alors, c’est parti. Il y a un côté découverte, un côté tout est possible. Et puis c’est un club. Moi je trouve ça chouette aussi de se dire que parfois quand on ne sait pas où poursuivre sa soirée, on peut aussi décider passé minuit, d’aller là-bas ! Ça change !

Moi je vous dirais d’y aller les yeux fermés.

J’y ai découvert des groupes comme les Mamma Shakers et les Sazerac Swingers, originaires de Berlin. C’est une musique qui rend heureux. On ne peut pas écouter ça et faire la tête. Ce n’est tout simplement pas possible. Et il y a d’autres clubs de Jazz à Paris où le film dans ta tête c’est plus de l’ordre de “Je sirote un verre avec un air grave en écoutant des musiciens live et en réfléchissant au sens de la vie”. Et c’est très très bien aussi. Mais au Caveau, la plupart du temps, c’est plus bain de foule, jupette qui vole et front qui brille. 

Alors ça permet quand on est pas spécialiste, d’avoir une première approche hyper ludique avec la musique Jazz par le biais du swing. Et petit à petit, ça ouvre des portes. Et voilà que quatre ans plus tard, on se retrouve dans un club de Jazz à Londres à écouter le dernier projet d’un guitariste persan et irlandais. Et qui s’inspire de la musique folklorique persane et des systèmes rythmiques complexes du sud de l’Inde, et on trouve ça super ! 

Et pourtant, franchement on n’avait rien venu venir. Alors bien sûr, ce n’est pas un but en soi. On ne tiendrait peut-être pas 4h, ça fait pas de nous des spécialistes et on ne peut pas encore prendre l’air torturé qui fait la différence. Mais au fond, il y a plein de choses comme ça qui semblent totalement inaccessibles de prime abord. Et qui finalement, en faisant un tout petit pas de côté, finissent pas le devenir.

Mais je m’étale. 

Je vous le déconseille si vous n’aimez pas les bains de foule. Mais je vous le conseille si vous aimez remonter le temps et vous dandiner jusqu’à pas d’heures. Je vous conseille d’arriver tôt si vous voulez avoir une table. Et très tôt si vous voulez avoir une table depuis laquelle on voit la scène. Je vous conseille de déposer toutes vos affaires au vestiaire ! Il y a des concerts absolument tous les soirs à partir de 21h30, vous pouvez trouver toute la programmation sur leur site. Mais gardez en tête que le dimanche soir, c’est Megaswing et le lundi c’est le Blues Monday. L’entrée est à 14 euros en semaine et 16 euros le week-end. Ce qui n’est vraiment pas déconnant. Les consos sont un peu plus chères, mais disons qu’on n’est pas là pour ça !

Si vous voulez, comme moi, faire de votre vie un film

Je vous conseille d’enchaîner une balade sur les quais de Seine, un Happy Hour dans le quartier avant de filer au Caveau de la Huchette. Et comble du cliché, en sortant du Caveau vers 3 ou 4h du matin, si vous avez faim, je vous conseille Le départ Saint-Michel. Un restaurant, genre bistrot traditionnel, ouvert toute la nuit. Et, d’accord, ce ne sera peut-être pas le meilleur restaurant de tous les temps. Mais assis là en terrasse, à deux pas de la Cathédrale Notre Dame, en pleine nuit, après avoir dansé une bonne partie de la soirée, vous serez très clairement dans un film de Klapisch. Et ce, même avec la frange qui colle, croyez-en mon expérience.

Bisette,

PS : Ah et bien sûr, le Caveau de la Huchette est loin d’être le seul club de jazz de Paris

Il y en a plein, et je vous les conseille tous, le Baiser Salé, le Sunset-sunside, le Duc des Lombards, le New Morning et j’en passe. C’est juste que le Caveau de la Huchette, c’est mon petit coup de cœur à moi. Déjà parce que l’équipe est hyper sympa pour peu qu’on oublie pas de dire bonjour en passant devant le vestiaire. Ensuite parce qu’on y danse comme sur le pont d’Avignon. Et pour finir, parce que la dernière fois que j’y suis allée, quand en sortant j’ai dit “Merci Monsieur”, on m’a répondu “Ah, vous vous souvenez de mon prénom, ça fait plaisir!” Et j’ai trouvé que c’était une excellente vanne.

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