Création contemporaine hommage aux jardins médiévaux, ce rêve de famille propose une expérience unique où tous les sens sont convoqués. Plongez au cœur d’un univers fascinant ! Bienvenue au Jardin des Cinq sens.

Parcourez les ruelles animées d’Yvoire, village médiéval en bordure du lac Léman (Haute-Savoie). Puis suivez la rue du Lac pour descendre en direction du château. Niché là, à l’abri des regards et préservés derrière ses hauts murs, se trouve le Jardin des Cinq Sens. Ce Jardin Remarquable, petit paradis végétal, est le fruit du projet ambitieux d’un couple, propriétaire du château familial, et un hommage rare aux jardins du Moyen-Âge.

Simple balade bucolique ou véritable expérience synesthésique et pédagogique ? Une plongée dans cette nature à la fois domestiquée mais aux charmes sauvages se révèle finalement bien plus qu’une simple promenade…  

Pier de Crescenzi, Maître de Marguerite d’York, Profits champêtres, 1470, New-York
Pier de Crescenzi, Maître de Marguerite d’York, Profits champêtres, 1470, New-York

Un jardin d’inspiration médiévale

Le couple qui a le privilège de posséder ce domaine décide, dans les années 1980, de redonner à leur propriété un jardin tel qu’on pouvait en trouver au Moyen-Âge. Aucun n’ayant subsisté, la connaissance historique sur ce point repose essentiellement sur les écrits et les représentations artistiques en notre possession (peintures, enluminures, tapisseries…). L’archéologie des jardins est également une source essentielle qui permet d’en savoir beaucoup sur la manière dont ils étaient agencés, ainsi que sur leur contenu (plantations, clôtures, décors…).

Ces sources nous indiquent que les jardins étaient autrefois des espaces protégés de tous dangers extérieurs par de hauts murs de pierre ou des clôtures végétales. En effet, courantes pouvaient être les attaques en tout genre, que ce soit en temps de guerre, ou même simplement au quotidien, par des acteurs indésirables tels les voleurs ou les animaux sauvages.

Si le jardin était au centre des préoccupations et autant préservé, c’est parce qu’il était considéré comme un lieu nourricier pour le corps et l’esprit. Espace de culture et de soin, il fournissait de quoi se sustenter mais aussi se soigner. Fleurs, plantes aromatiques et médicinales s’y côtoyaient, pour le bien-être physique et mental. Enfin, le jardin médiéval, notamment au sein des demeures seigneuriales, était source de plaisir : quel délice de se perdre, seul·e ou en compagnie galante, dans cet univers de senteurs et de couleurs enivrantes… Le Jardin des Cinq sens d’Yvoire est un hommage fidèle aux traditions et à l’esthétique médiévales.    

Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le roman de la Rose, 1er tiers du XIIIe siècle
Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le roman de la Rose, 1er tiers du XIIIe siècle

Entre poésie bucolique et voyage sensoriel

Une invitation au voyage et au plaisir

Mignonne, allons voir si la rose… Suivez l’invitation de Ronsard, car c’est aussi un appel à la poésie que lance le Jardin des Cinq sens. Pénétrez dans ce lieu avec un seul maître-mot en tête : prenez votre temps ! Le temps d’observer, de sentir, de rêver en respectant la devise de tous les jardiniers : « festina lente » (« hâte-toi lentement »), à laquelle on pourrait même ajouter celle du poète latin Horace « carpe diem » (« cueille le jour présent ») !

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les jardins ont de tout temps inspiré écrivains et poètes. Ils y voient non seulement une source intarissable de création mais aussi la preuve parfaite de l’œuvre divine ou de la force de la Nature. Les écrits de Rimbaud ou Baudelaire font particulièrement écho au jardin yvoirien. Ceux de ce dernier en particulier font preuve d’une étonnante résonnance avec l’expérience offerte par le Jardin des Cinq Sens. Car plus qu’une invitation à un voyage physique et sensoriel, c’est également une exploration poétique et symbolique, voire une aventure spirituelle.  

Une véritable expérience synesthésique

Le Jardin des Cinq Sens pourrait être une parfaite illustration de la figure de style en poésie appelée synesthésie et dont Baudelaire était un grand adepte. Ce terme désigne un procédé qui permet de « mettre en relief une image en faisant appel à d’autres modalités sensorielles ». Chez l’écrivain, cela va même plus loin : il y voit en effet la preuve de l’unité de la Création et de l’analogie entre toutes choses. Pour lui, le monde sensible est une « forêt de symboles » et seul le poète sait mieux que personne percevoir ce qui s’y cache. Cette citation très connue en est un exemple parfait et renvoie sans conteste à l’expérience proposée par le jardin d’Yvoire : 

Comme de longs échos qui de loin se confondent […]

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme des hautbois, verts comme des prairies, – Et d’autres corrompus, riches et triomphants, […]

Charles Baudelaire, Correspondances

En effet, la convocation de tous les sens est ici au cœur de l’expérience et revêt une importance capitale. Multiples nuances colorées pour le plaisir des yeux, douces mélodies du clapotis de l’eau ou de chants d’oiseaux pour celui des oreilles, textures surprenantes à caresser se succèdent au gré des différentes parties du jardin. Le promeneur chemine donc constamment en éveil, dans une symphonie sensorielle où chaque sens se répond dans une « vision » toute synestésique.  

Un parcours initiatique bien caché ?

La symbolique du labyrinthe ou le reflet du Paradis

Fidèle à l’esprit du jardin médiéval, le Jardin des Cinq sens ne s’attache pas simplement à restituer l’aspect de ce premier. Il en reproduit également le sens profond, l’essence même de ce lieu clos riche de symboles.

Simple en apparence, l’hortus conclusus ou « jardin enclos » ainsi nommé au Moyen-Âge, adopte un plan simple : un carré divisé en quatre autres plus petits par deux allées perpendiculaires, au croisement desquelles se trouve une fontaine. Cet agencement, symboliquement fort, est en effet une évocation du jardin d’Eden, figuré aussi comme espace quadrangulaire irrigué par deux cours d’eau dans l’iconographie occidentale.

Cloître médiéval (premier plan) et labyrinthe (second plan) du Jardin des Cinq Sens d’Yvoire © Visite Yvoire - France
Cloître médiéval (premier plan) et labyrinthe (second plan) du Jardin des Cinq Sens d’Yvoire © Visite Yvoire – France

Un autre motif récurrent de l’art des jardins est le labyrinthe. Le jardin médiéval en renferme souvent un, voire est désigné comme tel, au point que les deux se confondent souvent. Cette ambivalence annonce déjà la couleur de cet espace, tantôt attrayant par la curiosité qu’il suscite, tantôt effrayant par le mystère qu’il dégage. Nous avons tous en tête la scène mythique de l’Alice de Disney, perdue et poursuivie dans le labyrinthe du Pays des Merveilles, et dont la vision cauchemardesque ne s’achève que lorsqu’elle réalise qu’elle rêvait !

Ce n’est pas un hasard si le parc d’attraction Disneyland s’est « amusé » à reproduire ce lieu périlleux… La puissance symbolique du labyrinthe est très ancienne : à l’instar d’Alice, le cheminer revient à arpenter le chemin de la vie, un parcours initiatique souvent semé d’embûches qui mène finalement à un lieu de révélation (le centre du labyrinthe) où l’on espère trouver une réponse, qu’elle soit d’ordre philosophique ou religieuse. Se frayer un chemin, se dépasser en puisant dans ses ressources et ses sens, s’égarer enfin… pour finalement se retrouver ?

Du macrocosme au microcosme ou se perdre pour mieux se retrouver

En pénétrant dans le Jardin des Cinq Sens, attendez-vous à traverser en réalité plusieurs labyrinthes. En effet, il est conçu comme un véritable parcours initiatique que le visiteur est invité à traverser, à l’image des héros de Dante dans sa Divine Comédie ou Colonna dans son Songe de Poliphile.

L’aventure démarre à l’entrée d’un labyrinthe végétal, dans la prairie alpine. Véritable « conservatoire botanique de la flore locale » s’épanouissant le long d’un ruisseau, il dévoile de multiples espèces telles l’edelweiss ou la gentiane, mêlées à des plantes de rocailles. Viennent ensuite les sous-bois dont tilleuls, fougères et autres plantes d’ombre constituent la « forêt sombre » du parcours. Son issue mène alors à un nouvel espace transitoire : le Tissage – un magnifique entrelacs de rosiers blancs et d’avoine éternel – dont le nom bien trouvé illustre la symbiose Homme-Nature. Le promeneur commence alors à ressentir un sentiment de plénitude et de sérénité, renforcé lorsqu’il arrive, traversant des arcades de charmilles, dans le cloître végétal, ce fameux espace partagé où poussent plantes médicinales et où chante une fontaine.

Fleurs variées du Jardin de la Vue © A. Frossard-Cherif
Fleurs variées du Jardin de la Vue © A. Frossard-Cherif

Les cinq sens entrent alors véritablement en scène.

Hommage au rôle principal du jardin médiéval (nourricier), des haies de charmes et des dizaines de pommiers ouvrent le jardin du Goût. Sur un motif de cases évoquant un échiquier, image médiévale très chargée symboliquement puisque renvoyant à la lutte permanente entre vice et vertu. Le goût est évoqué par la diversité de fruits, légumes et fleurs comestibles disponibles. Vient ensuite le jardin de l’Odorat, plus petit, où les narines du visiteur sont titillées par les fragrances les plus variées. Allant de la menthe au curry, en passant par la fraise, l’ananas ou la rose.

Un sens plus délicat mais tout aussi sollicité apparaît ensuite avec le jardin du Toucher qui met à l’honneur un jeu de textures d’une grande richesse. Laissez vos mains effleurer le piquant d’un chardon, la douceur d’une feuille, la dentelure d’une autre… Puis c’est une « fête pour les yeux » (E. Delacroix)dans le jardin de la Vue où une palette chromatique vibrante de camaïeux de bleus, rouges ou blancs teintés s’étale avec une immense variété de fleurs : allium, rosiers, fleur de nigelle… Enfin, entrant en résonnance avec tous les autres, le jardin de l’Ouïe achève ce concert sensoriel : les oiseaux de la volière et la fontaine centrales font bruire une délicieuse mélodie qui accompagne merveilleusement la découverte.

« Feuilles douces » du Jardin du Toucher © A. Frossard-Cherif
« Feuilles douces » du Jardin du Toucher © A. Frossard-Cherif

A travers ce macrocosme (le jardin), éveillé par la sollicitation profonde de tous ses sens qui l’invitent à s’ouvrir à la fois au monde et à lui-même, le visiteur achève son parcours au centre du labyrinthe : son cheminement terminé et enfin apaisé, il atteint un microcosme (lui-même) avec lequel il peut renouer sereinement. Telle une promenade méditative en pleine conscience, cette expérience est en fait bien plus qu’elle n’y paraît.

A présent, à vous de voir 

En parcourant le Jardin des Cinq Sens d’Yvoire, vous laisserez-vous plutôt aller à une simple flânerie dans ce splendide paradis végétal ou plongerez-vous avec délice dans un véritable parcours spirituel en quête de votre moi intérieur ? Peut être même aurez-vous envie après votre visite de réaliser votre propre jardin ?

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Article concocté par Azza Frossard,

Parisienne de naissance et boulimique de culture, j’ai posé mes valises depuis 10 ans en Savoie. C’est de là que, après moult pérégrinations entre le Maghreb, l’Inde, l'Italie et la France, et riches expériences et rencontres entre festivals, lieux de patrimoine, musées, galeries, associations et collectivités où j’ai exercé, je prends ma plume pour faire ce que j’aime le plus : transmettre ! Avec pour domaines favoris – et une insatiable curiosité ! – l’art, l’histoire, la littérature jeunesse, le cinéma d’animation et les musiques du monde.

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