Rouvrir les portes du passé résonne souvent de façon intense, voire troublante, dans le présent. Déjouant les lois de la physique, nos ancêtres auraient ainsi beaucoup à nous apprendre, à condition de leur (re)faire une place.
Loin des yeux, loin du cœur ? L’adage semble se vérifier pour feu nos aïeux et feu nos aïeules, devenu·e·s pour beaucoup de simples inconnu·e·s. Alors qu’un culte des ancêtres continue d’être pratiqué dans quelques contrées du monde, l’intérêt pour les ascendants et ascendantes semble ne plus être à l’ordre du jour des cultures occidentales. Raviver ce lien intergénérationnel mystiqueentre les personnes mortes et vivantes relèverait pourtant d’un geste politique et thérapeutique.
Qu’est-ce que le culte des ancêtres ?
Ancêtres. Derrière ce grand mot cohabitent dans un endroit tenu secret nos grands-parents, arrière-grands-parents, arrière-arrière-grands-parents et tous·tes les autres avant eux/elles. Aujourd’hui décédé·e·s, ils/elles font historiquement partie de notre famille, celle dont nous descendons et avec qui nous partageons une partie de notre patrimoine génétique.
Notons d’ailleurs que plus l’on remonte dans le temps, plus l’on se rend compte de la proximité qui nous lie toutes et tous, nous les êtres humains, et même plus largement, nous les êtres vivants. C’est ainsi que nous partageons un ancêtre commun avec les baleines, par exemple.
Si l’on resserre le spectre à quelques dizaines de générations avant nous, nos ancêtres ont élevé jusqu’à nos parents. En ce sens, ils/elles ont eu une influence – indirecte certes, mais bel et bien présente – sur notre construction en tant que personne. Mais nous y reviendrons.
Dans certaines cultures et autres religions du monde, l’influence des aïeux et aïeules est telle qu’elle persiste au-delà de leur mort.
De cette croyance est né le culte des ancêtres. Dans son interprétation spirituelle, ces membres de la famille ont toujours un rôle à jouer auprès des vivant·e·s. Dans la pratique, les adeptes réalisent généralement un ensemble de rites, de prières et d’offrandes destinés aux esprits de leurs ancêtres décédé·e·s.
Une scène du célèbre film d’animation Mulan image bien cette croyance. Suite aux prières exercées par l’héroïne dans un temple, ses ancêtres se réveillent les un·e·s après les autres. Sous des formes humaines fantasmagoriques, ils/elles forment un haut conseil destiné à venir en aide à leur jeune descendante.
Quelle place pour les ancêtres dans les civilisations contemporaines ?
S’il semble complètement venu d’ailleurs, le culte des ancêtres fait aussi partie de l’histoire de France.
Au Pays basque du XXe siècle, par exemple, la maison est un lieu sacré de vie, mais aussi de sépulture. Avant que ne s’impose le christianisme, les personnes vivantes et défuntes habitent ensemble sous le même toit. Les premiers rendent hommage aux âmes disparues qui se manifestent sous forme d’ombres, de lumières, de coups de vents ou encore de sons étranges…
De nos jours, des formes hybrides de culte des ancêtres sont toujours présentes en Chine, en Corée du Sud, au Viêt Nam, au Mexique, en Nouvelle-Zélande, à Madagascar et dans certains coins d’Europe. En revanche, pour la plupart des cultures dites modernes, le lien avec les ancêtres semble rompu.
Posez-vous la question, connaissez-vous vos aïeux et vos aïeules ? Bien souvent, au-delà de la génération de nos grands-pères et grands-mères, l’histoire se corse. Rien d’étonnant finalement quand peu de temps est accordé à l’étude des personnes qui composent notre arbre généalogique.
Cette déconnexion tire en partie son origine des différentes transmutations sociales et culturelles qui ont traversé les sociétés occidentales au fil des années.
L’évolution des systèmes familiaux vers une structure nucléaire plus cloisonnée, uniquement composée des parents et des enfants, a sans doute son rôle à jouer. Une forme de rupture générationnelle gagne aussi du terrain face aux différences de plus en plus prégnantes des modes de vie.
Enfin, le regard porté par les cultures occidentales sur la mort n’arrange en rien la situation puisque cette dernière est mise à distance autant que possible ! Sans un réel intérêt – et donc volonté – de conserver ce lien, les informations ont tendance à s’effacer, emportant avec elles leurs lots de secrets bien gardés.
Pourtant, sans nécessairement leur vouer un culte, apprendre à connaître ses ancêtres est une démarche riche d’enseignements, tant pour nous en tant qu’individu·e·s, que pour la société dans son ensemble.
Pourquoi refaire de la place à ses ancêtres en tant que société ?
Rechercher des histoires oubliées peut être un acte de réparation non seulement de la résilience de nos ancêtres mais de celle de toute la communauté humaine.
C’est la phrase prononcée par Henry Louis Gates, Professeur, historien et réalisateur américain à la fin de chaque épisode de sa série documentaire Finding Your Roots.
Dans l’un d’entre eux, Pharrell Williams découvre le passé d’esclaves de ses ancêtres au XIXe siècle. Le récit tragique vécu par les membres de sa lignée familiale en dit long sur ce que signifie être afroaméricain aujourd’hui, explique-t-il avec une grande émotion.
Au-delà d’incarner un devoir de mémoire ou de réparation vis-à-vis de celles et ceux qui nous ont précédé, explorer l’histoire de nos ancêtres est un immense outil de compréhension des problématiques contemporaines et parfois, un moteur d’action.
Entreprendre cette démarche favorise en effet la création d’un lien émotionnel avec certains pans de l’Histoire qui, seulement enseignés sur les bancs de l’école, conservaient jusqu’ici un caractère presque fictif. Ce bond dans le passé intervient comme une piqûre de rappel à peine nécessaire et prend la forme d’un véritable geste politique !
Enfin, se renseigner sur ses ancêtres est un pas vers une réconciliation avec les anciennes générations.
En étant au fait de ce qu’ils/elles ont traversé, il est plus aisé d’éprouver de l’empathie envers eux/elles et d’expliquer – dans la mesure du raisonnable – certains de leurs comportements.
Sans partir outre-Atlantique, vous avez aussi certainement des ancêtres chargé·e·s d’un passé lourd, à commencer par celles et ceux qui ont connu la Seconde Guerre mondiale ou la Guerre d’Algérie, par exemple.
Comment apprendre à connaître ses ancêtres à échelle individuelle ?
La croyance portée par le culte des ancêtres trouve une résonance dans certaines approches contemporaines des sciences humaines. La boucle est bouclée !
En effet, il se pourrait bien que nos ancêtres continuent d’avoir une influence sur nous. C’est en tout cas le constat porté par la psychogénéalogie.
Popularisé par la psychologue Anne Ancelin Schützenberger dans les années 80, cette discipline étudie le lien entre notre présent et le passé de nos ascendants. Nous pourrions avoir hérité inconsciemment de certains bagages émotionnels légués par nos ancêtres suite aux divers événements traumatiques qu’ils/elles ont traversé. Ce qui expliquerait en partie l’émergence de schémas répétitifs qui empoisonnent notre existence.
L’étude de ses racines ancestrales bénéficie donc au collectif, mais pas seulement. Il s’agit également d’une porte – parmi d’autres – qui ouvre au monde merveilleux de la compréhension de soi.
Si vous vous sentez concerné·e, vous pouvez mener votre propre enquête !
C’est ce qu’a fait et documenté Mai Hua dans son film Les Rivières. En se plongeant dans la vie de sa mère et de sa grand-mère, elle tente de démêler le lien complexe et douloureux qui unit sa lignée de femmes.
Eric Caravaca quant à lui, réveille les souvenirs enfouis de ses parents en les questionnant sur la mort de sa sœur aînée dans le récit documentaire Carré 35. “Croyant simplement dérouler le fil d’une vie oubliée, j’ai ouvert une porte dérobée sur un vécu que j’ignorais, sur cette mémoire inconsciente qui est en chacun de nous et qui fait ce que nous sommes” confie-t-il à propos de son film.
Se libérer de ses mémoires transgénérationnelles pourrait avoir un impact thérapeutique. Raison de plus d’essayer de travailler sur ses propres difficultés, évitant au passage de les léguer à sa potentielle descendance !
À ce propos, dans son livre Le bon ancêtre, le philosophe Roman Krznaric pose une question tout à fait légitime, à l’aune d’une crise écologique sans précédent qui aura un impact majeur sur les futures générations : sommes-nous de bons ancêtres ?
Rien n’est moins sûr… À méditer !
Pour découvrir encore plus d’articles inspirants, téléchargez l’application Cultur’easy sur Applestore ou Playstore.
Article concocté par Charlotte Combret