De la boxe, du théâtre, le chant des cigales et un petit chien nommé Level. L’odeur de la guerre, c’est un seul-en-scène de et avec Julie Duval. Ça se jouait jusqu’au 17 mars à la Scala Paris. Et c’est tout de suite, dans C’est comme la confiture.

Crédits : Podcast proposé par Cultur’easy
Concept de Marion Labbé-Denis
Écriture et Voix de Marion Labbé-Denis
Musique Originale de Lucas Beunèche
Montage & Mixage de Lucas Beunèche
Conseil artistique : Caroline Garnier
Production artistique : Elodie Bedjai

Pour ne rien vous cacher, il n’était pas prévu que je fasse une chronique sur ce sujet

C’est toujours un peu délicat de faire une chronique sur un sujet, qui à un moment donné, risque d’être caduque. Je veux dire, si vous écoutez cette chronique en 2027. Peut-être que le spectacle dont je vous parle, ne se joue plus. Mais en même temps, le bouche à oreille est tellement important pour permettre aux spectacles de rencontrer leur public. Que je me suis : “Allez, c’est parti !”.

J’ai entendu parler de cette pièce au bureau. On m’a dit : “La performance de la comédienne qui interprète à elle seule une myriade de personnages est bluffante.”. (Me regardez pas comme ça, Myriade ça existe ça veut dire beaucoup, beaucoup.)

Et je me suis dit : “Ah tiens, ça, ça pourrait me plaire.” Et j’ai réservé dans la foulée, parce que pourquoi pas. Sauf que, si au moment de faire cette réservation. Je n’avais guerre fait attention aux conditions, toute excitée que j’étais à l’idée de cette nouvelle découverte. Quand il s’est agit de ressortir de chez moi pour aller au théâtre. Seule, à 21h30, un mardi soir, par moins 4°, c’était plus tout à fait la même mayonnaise.

Heureusement pour moi, je crois que j’ai toujours une petite forme d’excitation.

Qui perdure à l’idée de peut-être découvrir un truc inattendu. Un truc qui me sort de mon quotidien, qui me fait rire, ou pleurer, qui me met en colère. Ou tout ça à la fois. Bien sûr, ça peut aussi n’être rien de tout ça, on prend toujours un risque. À tout moment le spectacle qu’on s’apprête à voir aura autant de goût qu’une galette de riz à rien. Mais pour le savoir, il faut y aller.

Je veux dire, dans cette excitation, il y a quelque chose de l’ordre du ticket à gratter de la française des jeux. On a son ticket à la main. On sait qu’on va le gratter, mais est-ce que notre vie ? Ou du moins notre soirée va prendre un nouveau tournant une fois qu’on l’aura découvert ? Est-ce qu’on va se dire qu’on a bien fait ou est-ce qu’on va en venir à regretter la somme dépensée ? On ne sait pas.

Je ne sais pas vous, mais j’aime ça moi, le goût risque

Enfin, le goût du petit risque. Je veux dire, je ne suis pas non plus Mike Horn. Mes risques à moi c’est un à deux heures d’ennui. Ce qui, j’en conviens, ne fait pas de moi quelqu’un qui vit dangereusement. Mais chacun ses combats. De toutes façons on ne peut pas tous être des aventuriers de l’extrême. Il n’y aurait pas assez de place sur le Mont Blanc pour qu’on y fasse tous du bivouac.

Et moi, je crois, que ce que j’aime en allant au théâtre par exemple, c’est m’accrocher à l’idée que peut-être je vais ressentir des trucs qui m’échappent. Que je serais peut-être, potentiellement, surprise, bousculée, émue, déplacée à l’intérieur de moi-même sur des idées, des pensées, ou des croyances. Je crois que c’est ça qui m’anime. En tous cas, c’est ce qui m’a permis ce mardi-là de me détacher de mon canapé avec lequel j’avais eu le temps de fusionner.

Assez souvent, en sortant, je me dis que c’était sympa. Mais que bon, c’était pas non plus la pièce de l’année. Et puis parfois, je ressors de là toute pantoise, avec le sourire aux lèvres et la petite larmiche à l’œil.

Et alors ça, quand ça arrive, j’ai l’impression d’avoir gagné au Gratt’ gratt’, et je suis ENCHANTÉE

C’est exactement ce qui s’est passé quand je suis allée voir ce spectacle à la Scala Paris. Bon, déjà la Scala, je suis toujours contente d’y aller. D’une part c’est une de mes salles préférées à Paris, parce qu’elle ne ressemble à aucune autre. Ensuite parce que cette salle a une histoire de dingue.

Il était une fois Marie-Reine Rameau, qui est une habituée des salles de spectacles et des Opéras européens. Un jour elle découvre l’Opéra de Milan, plus communément appelé La Scala di Milano. Et elle décide de faire une Scala tout pareil, avec juste 1000 sièges en moins, à Paris. Tranquille les ambitions Marie-Reine, tranquille.

Mais enfin, la Scala à Paris, ça a été un Café-concert à la Belle époque. Avec une verrière qui pouvait s’ouvrir au plafond, vous imaginez, le délire. J’aurais adoré voir ça. Enfin, on venait s’y encanailler un peu. Et puis, on en a fait un Théâtre dans lequel on jouait des Vaudevilles, ensuite un Théâtre d’Opérette. Et dans les années 30 c’est devenu l’un des plus beaux cinémas de la capitale, tout en Art déco. Avec une façade vitrée entièrement transparente, avant de devenir un multiplexe pornographique dans les années 70. Et d’être rachetée par l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu, une église baptiste brésilienne. Qui ne pourra finalement rien en faire. Puisque la Mairie de Paris imposera au lieu de rester un lieu de culture.

La salle elle-même a donc une histoire particulière

Et cette histoire elle continue de s’écrire avec les propriétaires actuels, Frédéric et Mélanie Biessy qui l’ont totalement reconstruite. On y retrouve comme à l’époque du cinéma, une façade entièrement vitrée. La grande salle de spectacle aux tons bleutés peut accueillir jusqu’à 800 personnes. A l’étage il y a un très joli restaurant. Et au sous-sol, depuis 2018 un petit amphithéâtre de 180 places pensé par Fary et Panayotis Pasquot.

C’est dans cet amphithéâtre qui s’appelle La Piccola Scala, que se jouait L’odeur de la guerre

L’odeur de la guerre, c’est l’histoire de Jeanne, qui grandit à Fréjus. Avec ses parents, sa sœur June et le chien de leur mère Level à qui elle parle sans arrêt. On la suit à travers le souvenir qu’elle nous rejoue de certains passages de sa vie. Il y a parmi eux les traumas, les dérapages, les injustices du quotidien, des questions restées sans réponse. Les phrases qui blessent, les rêveries et le petit chemin des grandes décisions. Le tout ponctué par les personnages qui l’entourent et qu’elle joue tour à tour avec talent.

Après avoir quitté l’école un peu tôt, June monte à Paris vit de petits boulots, découvre le théâtre. Et reprend la boxe et les entraînements jusqu’à son premier championnat. Ce spectacle c’est l’histoire de comment on trouve (au moins pour un temps) sa place alors que l’on pensait ne l’avoir nul part. C’est la chorégraphie des relations, de celles qui s’éloignent et de celles qui redessinent les lignes. L’histoire de l’impact des mots qu’il soit positifs ou douloureux. C’est toutes ces histoires là à travers la sienne.

Le pitch du spectacle dit de l’odeur de la guerre :

C’est une traversée dans le monde sans pitié des sentiments mal exprimés, des révoltes mal comprises et des agressions physiques dites accidentelles

Et ça semble juste, mais il y a dans ce seul-en-scène d’une âpreté certaine une infinie douceur.

J’ai eu le souffle presque coupé devant certaines scènes de l’odeur de la guerre tant l’engagement de Julie Duval est entier pendant tout le spectacle

On la voit s’entraîner sur son sac de frappe pendant ses entraînements. Et on en ressent tout ce qui n’est pas dit clairement. On suit sa construction, sa destruction et sa reconstruction. Sans que ça n’en devienne didactique.  Ce n’est pas le guide de survie des victimes non plus, d’ailleurs ce qui est clair dès le départ. C’est que ce n’est pas que ce récit-là. C’est son histoire, ponctuée par plein d’événements à petite et grande échelle. Il y a des agressions, des pleurs, une immense colère, des rires, de la complicité, de la lumière. Et c’est ce qui donne tant de force au spectacle. C’est à la fois bouleversant et franchement drôle. Ce qui n’est quand même pas un truc évident à réaliser. Belle perf’.

Les personnages qu’elle décrit sont des caricatures qui n’en sont pas vraiment. De son coach de boxe avec l’accent du sud qui l’appelle Marjo en permanence, à sa conseillère pôle emploi. En passant par son prof de théâtre et sa mère épuisée d’être mère au foyer. Chacun de ces personnages, excepté peut-être la conseillère pôle emploi, possède plus qu’un second rôle dans sa vie à elle. C’est à dire que l’on sent, même si on n’y passe pas mille ans, toute la complexité de ces personnages. Au détour des petites phrases ou des attitudes qui ne sont pas explicités. Mais simplement déposés là pour qu’on ne s’y trompe pas.

L’excellente mise en scène de Juliette Bayi et d’Élodie Menant est parfaitement mise en valeur par l’écrin bleu de la Piccola Scala

Avec sa piste centrale et ses bancs incurvés qui créent une proximité et un dialogue silencieux avec le public. C’est ce qui je crois donne toute sa puissance au jeu de Julie Duval. Qui passe de sa mère à son coach de boxe en un quart de seconde sans qu’on n’y trouve rien à redire.

Ce spectacle, aujourd’hui programmé à la Scala, a d’abord remporté le Concours des fléchettes. Organisé chaque année par le Théâtre de la Flèche. Le Théâtre de la Flèche aussi, c’est un théâtre que j’aime beaucoup. Oui, j’aime une myriade de théâtres. Et celui-ci, il se trouve derrière une porte, – j’ai envie de dire cochère – mais je ne suis pas sûre que ce soit le cas. En tous cas derrière une porte, ça c’est sûr.

Il faut sonner à l’interphone pour entrer dans une cour pavée où se trouvaient des ateliers industriels. On y a conservé l’architecture hyper particulière avec sa charpente rouge, un mélange de métal, de bois et des briques. C’est très étrange de passer de la rue de Charonne à cette petite cour. C’est une expérience, il y a un tel changement d’ambiance.

Mais donc dans cette cour -pas si petite en fait- se trouve sur la droite. le Théâtre de la Flèche, qui programme principalement des seuls-en-scène. Et qui valorise “les idées dans la tête plutôt que dans les meubles”, comme ils disent. Ils privilégient les pièces de théâtre qui ont fait le choix d’un décor épuré et soutiennent les jeunes compagnies. Notamment avec le concours des fléchettes, qui soutient des spectacles en création. 

Le concours des fléchettes a été remporté par l’odeur de la guerre.  Qu’ils ont programmé pour la première fois en 2021, il y a donc trois ans déjà. Alors oui, aujourd’hui c’est un succès. Mais Julie Duval et ses metteuses en scène ne sont pas arrivées sur le doss’ hier quoi.

Après le concours des fléchettes, organisé par le Théâtre de la Flèche…

Oui, je trouve ça marrant. Les jeux de mots c’est mon kiff, ma bataille. Le spectacle a été programmé en 2022 en Avignon / à Avignon ? Qu’est-ce qu’on dit “en” au risque d’avoir l’air snob, ou “à” Avignon au risque de passer pour un plouc ? (Plus personne ne dit plouc.) Écoutez, je vais dire “Au festival d’Avignon” comme ça, c’est plié. J’en perds le fil.

L’odeur de la guerre a été programmé au festival d’Avignon en 2022 et non seulement il a été programmé, mais on me dit dans l’oreillette qu’il a triomphé au festival. Ce qui veut dire qu’il a beaucoup fait parler de lui, que tout le monde était d’accord pour dire que c’était formidable et que la salle s’est remplie très vite. C’est amusant.

Mais c’est vrai qu’il y a un truc puissance mille en ce qui concerne le bouche à oreille sur le festival d’Avignon

Quand on a vu un spectacle vite complet sur toutes ou presque toutes les dates à Avignon. Pour valider le fait que c’est bien et pouvoir le conseiller sans aucun autre argument. On dit “Écoute, ça a fait un carton à Avignon, il faut absolument que tu le vois”. Si, si on parle un peu comme ça. Je sais, c’est insupportable.

Mais argument recevable ou pas. Pour continuer à faire vivre et exister des spectacles comme celui-ci, il faut continuer à prendre des risques. Comme avec des gratt’ gratt’, y aller et si c’est mauvais, bon bah c’est mauvais. Mais si c’est bien, si c’est aussi bien que L’odeur de la guerre, ça va vous faire un effet bœuf. Comme avec un Astro gagnant un jour de poisse.

Et parce que vous n’y gagnerez pas plus en gardant le secret sur l’odeur de la guerre

 Il faudra en parler, beaucoup, se la jouer représentant de commerce et répandre la bonne parole. En disant des “Ecoute ça fait un carton à la Scala il faut absolument y aller.”

Bisette,

Ah et si jamais vous voulez aller boire un verre dans un endroit rigolo dans le 10ème arrondissement de Paris ?

A 6 minutes de la Scala, dans la cour des petites écuries, se trouve un bar qui s’appelle Les petites poules. Et qui diffuse La Petite maison dans la prairie dans les toilettes. Voilà, ça n’a pas de sens, mais c’est rigolo.

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