De la fiction scientifique de Jules Verne aux dystopies de la série Black Mirror, la science-fiction ne cesse de nous alerter sur les dérives possibles de nos lendemains qui ne chantent pas toujours. Entre dictature théocratique, apocalypse, intelligence artificielle et transhumanisme, que nous disent les fictions d’aujourd’hui sur le monde de demain ?

S’il s’agit d’un genre surreprésenté dans le cinéma et la littérature, la science-fiction est très peu abordée au théâtre et dans les arts visuels. Ce genre très particulier, qui nous fait voyager dans des réalités alternatives à la nôtre, est intimement lié à des évolutions scientifiques et technologiques. Il est souvent connu pour ses innovations et accessoires tour à tour terrifiants ou joyeusement délirants.

Mais il agit aussi et surtout comme un miroir déformant, nous donnant une image, souvent peu rassurante, de ce que pourrait être ou devenir notre quotidien. Souvent à des années lumières de nos existences et à mille lieux de nos certitudes, la science-fiction nous transporte et nous bouscule. Mais si Blade Runner était, par de nombreux aspects, très éloigné de la réalité des années 80, les fictions d’aujourd’hui sont-elles toujours aussi loin de nos quotidiens ?

Un futur très jeune

Crédit photo Alexander Mueller
Crédit photo Alexander Mueller

La science-fiction est un genre relativement nouveau. En effet, jusqu’à la fin du moyen-âge, il semblait inévitable que demain soit en tous points similaire à aujourd’hui. Aussi, s’il prend désormais une place considérable dans l’imaginaire collectif, le futur tel qu’on l’entend est somme toute très récent. C’est aux alentours de 1830, que le progrès social et scientifique marque un tournant important dans la conception de ce qui nous attend. Les distances géographiques et temporelles s’en sont trouvées bouleversées à une vitesse folle, rendant concevable et même probable le fait que demain puisse être très radicalement différent d’aujourd’hui.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme

Très différent, oui, bien sûr, mais aussi dystopiques que puissent être les univers de ces nouveaux récits, ils ne viennent pourtant pas de nulle part et en disent long sur ce que nous craignons. Margaret Atwood, autrice du roman d’anticipation La Servante écarlate publié en 1985 souligne très justement que les histoires qui s’ancrent dans le futur répondent toujours à la question suivante : “Que se passerait-il, si ?“. La science-fiction s’élance donc depuis une période précise et en dit souvent plus long sur cette période que sur celle dans laquelle elle se projette. Qu’il s’agisse du roman original ou de ses adaptations successives, toutes éclairent un récit à la lumière des inquiétudes de leur époque.

Un pas en avant, trois pas en arrière

Ce n’est pas un hasard si la dictature religieuse décrite par Margaret Atwood a été récemment adaptée en série télévisée. La montée des extrêmes, la régression du droit des femmes et la crise écologique pour peu qu’elles n’aient plus été au cœur de nos préoccupations, le sont de nouveau, et à juste titre. Peu de temps avant la diffusion de la cinquième saison de la série The Handmaid’s Tale, l’arrêt Roe v. Wade qui autorisait les femmes à recourir à l’avortement est révoqué aux Etats-Unis. Chaque État peut désormais interdire et pénaliser l’avortement dans sa juridiction, un événement bien réel, qui semblait pourtant inenvisageable lors de la diffusion de la première saison de la série quelques années seulement auparavant. La science-fiction serait-elle de plus en plus proche temporellement d’un présent à bien des égards déjà dystopique ?

Demain est-il déjà là aujourd’hui ?

C’est ce que semble démontrer la série britannique Black Mirror de Charlie Brooker diffusée sur Netflix depuis 2011. Chaque épisode de la série est indépendant et pousse à l’extrême un aspect de la technologie high-tech déjà existant pour mieux démontrer les revers potentiels et les conséquences inévitables de tels progrès. Comme le dit si justement Alain Damasio, auteur du roman La Zone du dehors, la science-fiction interroge ce que les recherches scientifiques impliquent à un niveau éthique, en explorant ainsi les éventuelles dérives. Black Mirror est une série absolument glaçante pour la simple et bonne raison que tous les éléments présents dans la série existent déjà.

Des google glass aux clonages, de la notation des citoyens à la réalité virtuelle, tout est déjà en place pour que cela nous échappe… Vous en doutez ? Dans l’épisode “Bientôt de retour” (Saison 2, épisode 1), une jeune femme endeuillée renoue avec son petit ami décédé, par le biais d’un service permettant de garder contact avec les morts. De la science-fiction ? Certes. Cela dit, Microsoft a déposé en 2021 un brevet pour un chatbot qui, grâce à la récupération des données personnelles, permet de simuler une discussion avec n’importe qui, qu’il s’agisse d’une personne vivante ou décédée. Alors si le futur, n’est pas déjà là, il le sera sans doute dans cinq minutes…

Vers l’infini et l’au-delà

La notion de temporalité semble avoir évolué, puisque les inventions d’aujourd’hui pour demain nous sont presque contemporaines, cependant les rapports de domination sont encore au cœur de nombreux récits. D’ailleurs, si les soucoupes volantes semblent avoir disparu de nos imaginaires (en tous cas, celles des autres…), l’espace reste un sujet bien présent dans la science-fiction d’aujourd’hui. Les invasions extraterrestres étaient très présentes dans les films science-fiction des années 80/90 (Mars attack, Alien, The Arrival, Men in Black, etc…).

Mais après avoir passé deux décennies à imaginer l’invasion de notre planète par de (petits ?) êtres verts, la roue tourne a tourné. Exception faite de quelques productions telles que la série Canal + La Guerre des mondes, force est de constater que c’est désormais à notre tour de chercher à quitter une planète, la nôtre, devenue invivable. D’Avatar à Interstellar, la solution à nos angoisses se trouverait ailleurs. De victimes à potentiels bourreaux, nous cherchons désormais à fuir le monde que nous avons contribué à créer.

Soucoupe volante par Thomas Budach
Soucoupe volante par Thomas Budach

De l’exode spatial à l’exode digital

Ceci étant, la conquête de l’espace n’est plus la seule solution plausible, car plus nos réalités se dématérialisent plus la fuite s’envisage au-delà du physique. Après avoir tenté de façonner le monde à notre image, nous tentons de faire de nos images un monde. Nos rapports aux écrans, à la technologie, nous ouvrent une nouvelle possibilité, celle de rejeter notre enveloppe corporelle, pour mieux s’en extraire. La notion quantique est sur toutes les bouches. La série Upload créée par Greg Daniels, explore l’idée qu’il est possible de se télécharger dans un au-delà virtuel, pour échapper à la mort. Ceci étant, même si on cherche à faire perdurer notre quotidien par le biais du digital, et que l’on cherche à en reproduire l’expérience en tous points, il manque toujours au virtuel un part de réel, l’odorat, le goût et le toucher.

Explorer les limites de notre humanité

On se télécharge d’une part, mais on se robotise également. La science-fiction actuelle fait la part belle au transhumanisme. On cherche à faire de l’homme une machine inébranlable, à la fois pour qu’il puisse s’adapter à un environnement qui ne lui est plus favorable, et d’autre part pour qu’il ne soit plus dépendant de ses limites organiques. En utilisant les nanotechnologies, les biotechnologies, on repousse toujours plus les limites de ce qui constitue notre humanité, et si cela part d’une intention souvent louable, nous finissons par faire de nos corps, des machines, ce qui modifie drastiquement nos manières d’être, de communiquer et d’évoluer.

Cet aspect de la science-fiction souligne un paradoxe assez intéressant pour être souligné : on cherche à façonner les machines à notre image d’une part, et dans le même temps, on cherche à défaire l’humain de ce qui le définit en partie : sa mortalité. Mais jusqu’où peut-on aller dans nos interventions sur nos propres corps, et sur notre environnement sans remettre en cause notre humanité, sans créer du monstrueux ?

Les réalités de demain se construisent aujourd’hui

En définitive, nos fictions en disent plus long sur ce que l’on vit aujourd’hui que sur ce que l’on vivra demain. Et c’est sans surprise que l’on retrouve dans la science-fiction d’aujourd’hui, les inquiétudes liées au réchauffement climatique, à la montée en puissances des extrêmes et à l’impact social qu’auront ces enjeux dans les mois et les années à venir. Ce qui peut surprendre en revanche, c’est que l’écart entre la réalité et la fiction tend à se réduire.

Est-ce parce que la science-fiction n’échappe pas à l’évolution de notre rapport au temps, et que l’immédiateté créée par les nouveaux canaux de communication a modifié notre perception et affecté notre capacité à nous projeter au-delà du présent ? Ou est-ce plus simplement dû à une prise de conscience plus globale sur le fait que notre mode de vie ne pourra pas perdurer en l’état ?

Le curseur se déplace, mais quelle que soit l’époque, la science-fiction pose plus de questions qu’elle ne donne de réponses et nous oblige à considérer l’impact social et écologique de nos “progrès” qui n’en sont peut-être pas toujours. À nous de faire le nécessaire aujourd’hui pour éviter que nos réalités de demain ressemblent aux science-fiction d’aujourd’hui…

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Article concocté par Marion Labbé-Denis 

Curieuse de tout, amoureuse des trains et fan de Joe Dassin, elle collectionne les stylos BIC et les questions existentielles. Aujourd’hui, en poste dans le spectacle vivant, elle peut donner libre court à sa passion déraisonnée pour la photographie et les salles obscures, qu’il s’agisse de musique, de théâtre ou de cinéma.

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