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Découvrir les œuvres d’artistes contemporains et du passé tout en jouant ? C’est ce que proposent plusieurs initiatives récentes, issues à la fois du monde de l’art et de l’industrie du jeu vidéo.

La crise du coronavirus et les confinements successifs ont drastiquement modifié les formes que prend l’espace d’exposition. Les expositions numériques, qui existaient bien sûr depuis plusieurs années, ont fleuri. En parallèle, certains choisissent une autre approche. Au lieu de reproduire des galeries ou musées dans le monde virtuel, ils marient les mécanismes ludiques du jeu vidéo et la présentation d’œuvres artistiques.

Street art

Visite virtuelle ou expérience de jeu ?

De nombreuses grandes institutions françaises se sont laissé tenter par l’exposition numérique. Il y a même un musée entièrement en ligne depuis 2018, le MAC VR3D, géolocalisé à Longwy. Visiter une exposition virtuelle, serait-ce pareil que jouer à un jeu vidéo ?  

Le « point and click » et le « walking simulator » font partie des plus anciens genres du jeu vidéo (Professeur Layton, Myst, Gone Home…). Dans ces jeux, on se déplace seulement avec sa souris, ou quelques touches du clavier. Le nombre d’actions possibles est souvent très limité. Au premier abord, ils se rapprochent donc de la visite d’une exposition virtuelle… Néanmoins, la narration est dans ces jeux un élément clé. Ils nécessitent souvent de résoudre des énigmes ou de découvrir un secret. Il paraît donc difficile de définir la plupart des visites virtuelles comme des expériences de jeux vidéo, étant généralement dénuées de ces éléments ludiques.

Les mariages complexes entre le jeu vidéo et l’art

Bien que certains y soient toujours réfractaires, le jeu vidéo est de plus en plus considéré comme un art à part entière. Ce 10e art reste pourtant toujours peu valorisé dans le milieu de l’art contemporain. Les œuvres d’un certain nombre de créateurs et de créatrices sont régulièrement exposées dans des espaces physiques : Fleuryfontaine, Cory Archangel, Kara Stone… Pourtant, les expériences virtuelles ludiques contenant leur travail artistique sont pourtant rares.

La majorité des studios de jeux vidéo emploient aussi des « character artists » et « concept artists ». Ceux-ci conçoivent les personnages et l’environnement, le style, d’un jeu. Cependant, l’individualité de chacun de ces artistes a tendance à s’effacer dans le tout d’un jeu vidéo. Non-reconnus comme des artistes, leur travail est rarement exposé. L’une des exceptions est « L’Art dans le Jeu Vidéo, l’inspiration Française », qui a eu lieu au musée Art Ludique. Elle mettait en lumière le procédé de ces artistes essentiels mais pourtant invisibles.

Exposer la peinture au sein du jeu

Layers of Fear, du studio Bloober Team, 2016. Saurez-vous reconnaître les peintures originales sous leurs déformations ?
Layers of Fear, du studio Bloober Team, 2016. Saurez-vous reconnaître les peintures originales sous leurs déformations ?

L’exposition au musée Art Ludique montrait notamment les peintures de Cedric Peyravernay, réalisées pour le jeu Dishonored. Ces portraits, créations dans le jeu de l’artiste fictionnel Anton Sokolov, sont disséminés au sein de l’univers riche de Dunwall. Exposées ou cachées dans des recoins, elles jouent un rôle narratif important, et le joueur est encouragé à les collectionner.

Le jeu vidéo d’horreur Layers of Fear fait du processus créatif son sujet central. Il nous immerge dans la peau d’un peintre qui tente de finir son chef-d’œuvre. Mais il commence à avoir des hallucinations, et on se rend vite compte qu’il cache de lourds secrets… Le poids des grands maîtres du passé est omniprésent dans Layers of Fear. Le manoir que nous explorons avec le peintre sert de lieu d’exposition à Francisco de Goya, Rembrandt, et Artemisia Gentileschi. À leurs œuvres, s’ajoutent les peintures cauchemardesques d’Andrzej Dybowski, conçues pour le jeu.

L’artiste urbain C215 a également collaboré avec Ubisoft dans le cadre du jeu Far Cry 4 en intégrant à l’univers du jeu une vingtaine d’illustration street art fidèles à l’univers créatif de l’artiste.

Une galerie présentant des jeux vidéo… dans un jeu vidéo

Capture d’écran de LikeLike Online
Capture d’écran de LikeLike Online

La galerie d’art et salle d’arcade contemporaine américaine LikeLike n’a pas attendu la pandémie pour mettre en valeur le jeu vidéo indépendant. Et pour cause : ses créateurs, Paolo Pedercini, Heather Kelley, et Tenley Schmida sont des vétérans du milieu. D’abord un espace physique, la galerie a été importée dans l’espace digital pendant la pandémie. Contrairement à la plupart des autres institutions, ils ont ajouté des éléments ludiques propres au jeu vidéo à leurs expositions.

Leur espace virtuel, Likelike Online, est toujours en ligne. Nous sommes invités avant de visiter l’espace à se créer un avatar. Avec lequel on pourra communiquer avec les autres visiteurs. L’exposition reprend ainsi les codes des jeux MMO (Jeux en Ligne Massivement Multijoueurs), tels World of Warcraft, à une petite échelle. Le visiteur peut bien sûr jouer aux jeux vidéo artistiques exposés, mais l’expérience ludique ne s’arrête pas là. En effet, les pièces de la galerie virtuelle offrent des mini-jeux qui proposent de jouer aux rimes ou d’incarner une femme au foyer désespérée.

Une opportunité pour présenter son travail artistique ?

Occupy White Walls utilise lui aussi les mécanismes du MMO. Ce jeu vidéo gratuit, disponible sur la plateforme Steam, permet à chacun de créer sa propre galerie ou son musée idéal. En effet, il offre une bibliothèque de plus de 16 000 œuvres, la plupart dans le domaine public. Chaque galerie créée peut être visitée par les autres joueurs.

OWW offre aux artistes contemporains une possibilité inédite : celle d’importer leurs œuvres dans le jeu. Si celles-ci plaisent aux autres joueurs, ceux-ci peuvent les exposer dans leurs galeries personnelles et être vues par un nombre important de personnes.

L’équipe d’OWW présente cette opportunité comme « démocratique ». Pas besoin d’avoir un réseau, nécessaire aujourd’hui pour exposer en galerie. Tout artiste serait simplement jugé sur son talent artistique, et promu par une intelligence artificielle qui traiterait tout le monde équitablement.

Néanmoins, à l’inverse des galeries, les artistes doivent payer (9 $ par œuvre) pour déposer leurs travaux dans le jeu….Ceux-ci n’ont, de plus, aucune opportunité de vendre leurs œuvres pour de la monnaie non-virtuelle.

Des pistes pour aller plus loin

Bien que le jeu vidéo soit un art en lui-même, l’industrie du jeu vidéo et le monde des expositions se mélangent rarement. Néanmoins, les initiatives telles que celles détaillées se sont multipliées depuis les années 2010s, et l’on espère qu’elles continueront à fleurir. En attendant, les artistes contemporains continuent à investir le jeu vidéo et les développeurs indépendants créent toujours des œuvre-jeux captivantes.

Si vous êtes intéressés, voici quelques liens pour approfondir le sujet… Le magazine Beaux-Arts propose des recommandations de jeux vidéo autour de l’art. Vous trouverez ici une liste de classiques du « game art ». Enfin, si vous souhaitez une perspective globale, vous pouvez suivre le Art and Games World Tour de la commissaire d’exposition Isabelle Arvers. Et les NFT, on en parle ?

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Par Jay Levent ,

Rédaction de contenus

Passionnée par l’art contemporain, Jay est assistante de curateur et curatrice indépendante au sein du collectif espace fine. Ses autres amours : les visites de cimetières ainsi que de lieux insolites, le cinéma et la littérature fantastiques, le jeu vidéo, et surtout, les formes d’art qui rassemblent tous ces sujets !

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