Robe de princesse, talons hauts et fête fastueuse… En Amérique latine, le 15ème anniversaire d’une adolescente donne lieu à une célébration digne d’un mariage féérique : la quinceañera. Mais sous son apparence de rite patriarcal kitsch, cette tradition ne serait-elle pas un bel exemple d’empowerment ?

Lorsqu’une jeune fille latino-américaine arrive à l’âge de 15 ans, on considère qu’elle devient une femme

Séance photo lors d'une quinceañera
Séance photo lors d’une quinceañera

Pour marquer ce changement de statut, on célèbre un rite d’initiation dénommé « quinceañera ». Dans quelle mesure peut-on considérer que la tradition de la quinceañera symbolise la célébration de la féminité latine ? En quoi cette étape est importante dans le processus de l’identité féminine et d’appartenance ?

Afin de mieux comprendre la symbolique de ce rite, il faut d’abord revenir sur son origine. Comment, au fil du temps, ses protagonistes l’ont transformé et même réinventé. Sous ses airs de « coutume » patriarcale, la quinceañera pourrait à l’inverse devenir une source d’autonomie et d’émancipation.

Une spécificité culturelle latino-américaine

Il semblerait que cette tradition ait débuté au Mexique, pays dans lequel cette célébration a une résonnance très forte.

Cet événement est célébré dans la plupart des pays d’Amérique latine, presque tous les milieux sociaux et culturels et même parmi les migrants latino-américains vivant aux États-Unis.

Julia Álvarez, auteur de « Once Upon A Quinceañera : Coming of Age in the USA » : «

Ce qui peut expliquer des petites variantes en fonction des pays. Tant sur la façon de la célébrer que dans sa dénomination propre. Quinceañera, « los quince » ou « 15 primaveras » pour « 15 printemps ». Le fait que les Latino-Américains émigrés aux États-Unis continuent de faire perdurer ce rite en dehors de leur pays d’origine illustre bien son importance d’un point de vue identitaire, culturel et social.

Origine : bal de débutantes européen ou rite ancestral ?

Il est difficile d’affirmer l’origine exacte de cette tradition typiquement latino-américaine. En effet, il existe plusieurs versions sur l’origine de la quinceañera. L’origine la plus probable viendrait d’Europe. Certains universitaires pensent qu’elle s’inspire des bals de débutantes en Europe alors que d’autres y voient une version moderne des rites de passage aztèques.

Un rite de passage de la « niña » à la « mujer »

Cette tradition marque culturellement la fin de l’enfance pour la « jovencita » (la jeune fille). C’est le passage de la « niña » (la petite fille) à la « mujer » (femme) ou « mujercita » qui signifie littéralement « petite femme ». On cesse de considérer l’adolescente comme une enfant et on la conçoit alors comme une femme. C’est une transition entre deux étapes de la vie féminine. L’adolescente devient apte à prendre des responsabilités d’adulte.

La reconnaissance de la maturité sexuelle

À l’âge de 15 ans, la jeune fille connaît des changements biologiques qui permettent de signifier implicitement la sortie de la puberté. En franchissant ce seuil, la quinceañera peut désormais se fiancer. La prochaine étape constitue le mariage où elle pourra remplir sa mission conjugale traditionnelle puisqu’elle est considérée comme un être sexuel actif et peut donc avoir des enfants. Cela ne veut pas dire pour autant que le contrôle sur la virginité de la fille s’arrête à partir de la quinceañera.

Un mariage avant l’heure et sans marié !

Vu de l’extérieur, la quinceañera a tout d’un mariage sauf que le marié est aux abonnés absents. Traditionnellement, on distingue deux grands moments : la messe et la fête. Souvent un groupe ou un DJ s’occupe de l’animation musicale. Les festivités commencent avec l’entrée de la jeune fille, coiffée et soignée. C’est l’adolescente et son père qui ouvrent le bal en dansant la première valse qui marque les débuts officiels de la cérémonie et donne un ton solennel à l’événement. Les invités sont également très apprêtés.

Une ode à la féminité

Dans certains pays, c’est à partir de la quinceañera qu’une jeune fille peut se raser les jambes, s’épiler les sourcils et se maquiller. Pour sa fête, la reine du jour revêt une robe généralement blanche qui a tout d’une robe de mariée. Elle aura droit à une séance avec un photographe. Dans certaines familles, un des rituels importants constitue le moment où le père enlève les chaussures de sa fille pour les remplacer immédiatement par des talons hauts comme symboles de la féminité.

Tradition du changement de chaussure lors d'une quinceañera
Tradition du changement de chaussure lors d’une quinceañera

Une tradition transformée par ses propres protagonistes

Si l’on observe déjà des variantes dans la célébration même de ce rite entre les différents pays sud-américains, on peut affirmer également que cette tradition connaît dernièrement une véritable transformation. En effet, certaines jeunes filles décident de ne pas se plier de manière stricte à cette célébration. De plus en plus d’adolescentes choisissent de se faire offrir un voyage, une voiture voire même une chirurgie plastique plutôt que d’organiser une grande fête répondant à tous les codes traditionnels. Cet « affranchissement » fait souffler un vent de modernité qui n’est pas sans provoquer des évolutions.

La réinvention de la quinceañera : un pas vers l’individualisation des jeunes latino-américaines ?

En se réappropriant cette tradition et en la remodelant à leur goût, les jeunes filles ont su renverser à leur avantage une coutume qui pouvait sembler ne plus refléter leur propre réalité. On constate qu’il existe une double version de ce rite, une traditionnelle et une moderne. Il faut cependant préciser que la version moderne étant souvent plus onéreuse, ce sont principalement les jeunes filles des classes socio-économiques supérieures qui optent pour cette variante.

Par ailleurs, l’influence des États-Unis dans l’évolution de ce rite est conséquente. En effet, la quinceañera ressemble parfois de plus en plus à son équivalent américain, la fête dénommée « Sweet Sixteen ». Il n’en demeure pas moins que les nouvelles formes de célébration ne sont plus caractérisées par une cérémonie formalisant l’entrée dans la féminité et le chemin vers le mariage.

Féminisme Vs quinceañera

Que pensent les féministes de la tradition de la quinceañera ? Peut-on avoir 15 ans, se définir comme féministe sans pour autant renoncer à être la reine d’un jour au moins une fois dans sa vie ? Sans surprise, la tradition de la quinceañera apparaît comme dégradante et immorale aux yeux de certaines associations féministes du monde entier au vu du jeune âge des adolescentes concernées.

Dans la série « Au fil des jours » produite par Netflix (2017), une mère célibataire d’origine cubaine émigrée aux États-Unis tente de persuader sa fille féministe de célébrer sa quinceañera. Après débats et disputes, la fille finit par accepter mais pas pour céder à la volonté de sa mère ou lui faire plaisir. Elle choisit de fêter sa quinceañera afin de montrer que cette mère célibataire était capable de réussir toute seule à organiser cette fête pour sa fille. Une belle preuve de sororité, non ?

La série « Au fil des jours » produite par Netflix
La série « Au fil des jours » produite par Netflix

La victoire de l’empowerment et la sororité

La photographe et écrivaine Samantha Cabrera Friend, elle-même latino-américaine, a travaillé sur le phénomène de la « quinceañera cruise », dans sa série Maiden Voyage. Un voyage à bord du plus grand bateau de croisière au monde de 6 000 personnes, venues pour célébrer les 15 ans de 40 jeunes filles.

J’ai immédiatement été séduite et impliquée par l’idée qu’un rituel de passage ancré dans les traditions patriarcales puisse se transformer en un moment d’empowerment basé sur la sororité

La quinceañera appellerait donc à la solidarité entre les jeunes femmes et insuffle un vent d’émancipation au regard de leurs propres familles et traditions.

Le rite de la quinceañera peut paraître déroutant pour toute personne extérieure à la culture latino-américaine

Sous son apparence première de rite patriarcal auquel les jeunes femmes se plieraient plus par obligation ou par envie d’être la reine d’un jour (qui n’a jamais rêvé d’être au centre de l’attention et couvert.e de cadeaux ?), il semblerait que les adolescentes se soient quelque peu « réapproprié » cette tradition aux apparences kitsch et misogyne pour retourner la situation en la faveur de leur liberté. Reine d’un jour, règne pour toujours ? Rendez-vous dans quelques années pour le savoir !

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Par Anne-Elise Grosbois ,

"Observer, capturer et partager la Culture", telle est ma devise ! Curieuse et connectée, j’aime m’évader en arpentant les lieux culturels et en voyageant. Freelance spécialisée en stratégie de communication digitale, j'accompagne des structures culturelles et plus particulièrement des artistes du spectacle vivant et de la musique.

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