Considéré comme l’un des meilleurs batteurs au monde, l’artiste franco-camerounais Félix Sabal Lecco a tourné en tant que batteur ou chanteur pendant des années avec des artistes d’envergure tels que Manu Dibongo, Sting, Peter Gabriel, Paul Simon, Youssou N’Dour… ou encore Prince !

Nous l’avons rencontré dans son home studio pour qu’il nous raconte son parcours et son amour pour la musique. Au programme : inspiration, déclics, influences musicales, développement personnel et Aznavour !

Bonjour Félix Sabal Lecco, merci de nous recevoir. Vous nous accueillez alors que vous préparez votre propre album. Pouvez-vous nous parler de ce projet ?

Pendant le premier confinement, j’ai créé 40 chansons. Je ne bougeais pas de chez moi, j’ai donc eu le temps de faire tout ça… A quelque chose malheur est bon. Moi ça m’a aidé à créer ! Ce sont des reprises de chansons françaises ou internationales et des chansons où je chante en camerounais.

Comment faites-vous le choix des chansons que vous reprenez ?

On peut dire que mon univers c’est le jazz world music. J’aime les choses un peu mélancoliques et tristes. J’aime que ce soit poignant. J’ai repris par exemple une très belle chanson juive « oseh Shalom » que j’ai réarrangée. Je pense que c’était aussi le climat de solitude du premier confinement qui m’a poussé à ces choix. C’était dur !

Et la batterie ?

Je fais aujourd’hui beaucoup de masterclass de batterie. J’en fais dans le monde entier. Beaucoup de musiciens font ça à New York, à Los Angeles, au Japon, pour faire des démonstrations devant des publics amateurs.

Félix Sabal Lecco à la batterie
Félix Sabal Lecco à la batterie

La transmission de votre savoir est importante pour vous ?

Oui, je suis content de voir qu’un jeune y arrive avec mes conseils. Je suis content de leur apprendre des trucs. J’ai laissé des marques. Je ne veux pas marquer tout le monde au fer rouge, ça ne m’intéresse pas, mais j’aime donner des déclics aux gens.

Félix Sabal Lecco aussi a eu des déclics ?

Oui ma vie n’est faite que de déclics. Je suis intéressé par beaucoup de choses, je suis curieux.

Et quand est-ce que vous avez eu le déclic qui vous a emmené vers une carrière de musicien ?

J’avais 6 ans. Je suis allé voir sur la plage au Cameroun un spectacle d’Achille Zavatta, un clown français. En première partie il y avait un jeune musicien qui chantait ses chansons… (Il commence à chanter) « Vers les docks où le poids et l’ennui me courbent le dos, ils arrivent le ventre alourdi de fruits les bateaux… »  C’était Aznavour ! Il n’était pas très connu à l’époque. C’était un choc pour moi : c’était tellement romantique et beau !

Ma mère chantait ça tous les jours. Pour lui faire plaisir, j’ai appris cette chanson et je me suis mis en tête que je deviendrais moi aussi Aznavour. Il faisait rêver. Pourquoi un Blanc vient ici en Afrique et dit « Emmenez-moi au bout de la terre, il me semble que la misère serait moins pénible au soleil » ? J’ai voulu être chanteur.  La vie fait que je me suis orienté plus vers la batterie. C’est peut-être pour ça que je suis un éternel insatisfait, parce que ce n’est pas cela que je voulais faire au départ…

Comment sont arrivées la basse et ensuite la batterie dans votre vie ?

C’est mon grand frère qui était bassiste et qui m’a donné envie d’essayer. Je l’écoutais jouer tous les jours, j’étais fan de ce qu’il faisait. Il avait l’air libre. Il allait dans les clubs tous les soirs, toutes les filles l’acclamaient. J’aimais cette vie : je le voyais faire les mêmes choses qu’Aznavour.

Félix Sabal Lecco
Félix Sabal Lecco

Et vous avez commencé la musique à quel âge ?

Finalement, j’en ai fait très tard de la musique. Au Cameroun, j’en avais fait un petit peu. Mais c’est quand je suis arrivé dans le Jura pour faire mes études que j’en ai vraiment fait. Les gens trouvaient que j’étais talentueux mais moi je ne le pensais pas. Au fond de moi-même, je savais que non. Je devais travailler, aller chercher encore d’autres choses. Quand tu es dans une mine avec une pioche, tu cherches de l’or et puis on te dit « l’or est là ! ». Et bien tu pioches ! Tu ne te dis pas « bah non ça ne sert à rien, je pioche pour rien« . Non c’est là, il faut aller le chercher.

C’est ça qui a un jour poussé Félix Sabal Lecco à se dépasser ?

Oui, c’est comme la carotte ! Tu veux attraper la carotte mais elle avance en même temps. C’est ça qui te pousse à aller loin, très loin ! Et tu te rends compte en fait qu’en cherchant l’or, tu découvres aussi ta vie. Tu trouves d’autres minerais en chemin, tu découvres d’autres choses qui sont aussi intéressantes que l’or que tu cherches. C’est ça qui te pousse. Tu es en train d’avancer dans ta vie.

Et vous pensez avoir trouvé l’or ? Est-ce qu’à un moment, vous vous êtes dit « ça y est, je suis accompli » ?

Non en vérité.

Malgré le fait d’avoir de belles collaborations avec des grands artistes internationaux comme Prince ou Sting ?

Justement ! Ça me pousse à chercher d’autres encore ! Je suis un gamin… J’ai faim encore. Avant j’aimais les trucs rapides, jazz, forts, maintenant j’aime moins. Je vais chercher d’autres choses.

Portrait de Félix Sabal Lecco
Portrait de Félix Sabal Lecco

Cela n’est pas difficile de changer, d’aller vers d’autres domaines alors que vous êtes reconnus internationalement dans le vôtre ?

Non, ce qui était difficile, c’est quand j’avais décidé de faire de la musique et que j’étais dépendant de mes amis qui avaient les studios. J’étais dépendant de leur savoir et de la façon dont il faut s’y prendre pour composer de la musique. Je me suis dit que j’allais apprendre tout seul. Ça m’a pris du temps… Je n’ai pas vraiment eu de professeur qui m’a montré comment faire. Heureusement j’ai pu compter sur Jean-Philippe Rykiel, un pianiste de génie, qui m’a montré quelques petits trucs.

Et du coup, qu’avez-vous appris ?

J’ai appris les programmes de musique, tous les logiciels pour faire des arrangements. Maintenant je ne vais plus chez les gens pour travailler, je fais tout moi-même. Petit à petit, je me suis amélioré. J’ai fait des orchestrations. Ce n’était pas beau au départ mais ça a évolué. Des gens m’ont appelé pour des projets, ça a validé mon travail.

Repartir de zéro, ça ne vous a pas fait peur ?

On te dit tu vas d’un point A à un point B et le point B est meilleur. Pour arriver au point B, il faut que tu saches ça, ça et ça. Ce n’est qu’un voyage ! C’est comme quand tu décides de t’installer dans une maison au bord de la mer. Tu ne connais personne, mais c’est nouveau, c’est positif ! Tu peux apprendre à connaitre des gens et côtoyer des personnes qui n’ont pas d’idées reçues sur toi. Là tu peux recommencer à zéro, tu fais attention à ne pas blesser les gens. Et non, ça ne fait pas peur !

Et pourquoi il y avait cette envie d’agrandir le champ de ce que vous faisiez ?

Dans ma tête, les notes se bousculaient. J’entendais des musiques. Je voyais un film, je me disais « mais pourquoi il n’a pas mis ce son là plutôt ? ». Donc j’ai voulu le faire moi-même. Mais avec la batterie, tu es très vite limité, j’ai donc dû apprendre d’autres instruments ! Le plaisir de faire ta salade toi-même, y mettre ce que tu veux. Ça m’a libéré ! Donc ce n’est pas pénible quand tu vas vers la libération… Mais quand je commence à faire une musique, je commence très souvent par la batterie ! C’est ce que je sais faire de mieux (rires).

Portrait de Félix Sabal Lecco
Portrait de Félix Sabal Lecco

A la batterie, Félix Sabal Lecco ne fat pas ce qu’il veut ?

Je suis un des batteurs ici en France qui connait sa place. Batteur, ce n’est pas moi la vedette ! Je suis juste un chauffeur, qui conduit la voiture de quelqu’un. Un batteur est là pour accompagner. Quand on me dit « vas-y brille« , là je fais mon solo en rapport avec la chanson et ce qui se passe sur scène. Mais tant que ce n’est pas ton moment, tu te contentes d’accompagner et servir humblement la musique. Il y a des gens qui veulent en mettre partout parce qu’ils ont besoin de briller. Ils ne sont plus à leur place. Dans la vie, quand tu es chauffeur, tu conduis le ministre, tu ne vas pas commencer à faire des dérapages et des pointes de vitesse pour prouver ta dextérité. La musique c’est comme ça.

Est-ce qu’il y a des personnes avec qui vous aimeriez collaborer ?

Oui mais certains ne sont plus vivant, c’est bien sûr Aznavour. Johnny, Gainsbare aussi. Pour Bernard Lavilliers, son disque « O Gringo » m’a bien accompagné pendant mon installation en France au lycée. Maintenant ses excellents musiciens sont mes potes. Ils m’impressionnent et continuent de m’émerveiller. J’ai gardé mon âme d’enfant.

Quelles sont les influences musicales de Félix Sabal Lecco ?

J’écoute des musiques de style différents. Les gens me cantonnent souvent à un style particulier. Mais non ! Ce que tu vois en concert, ce n’est pas forcément ce que j’écoute tout le temps ! J’aime écouter un peu de tout.

Vous l’avez compris, je suis très fan de Charles Aznavour. Même quand je fais des solos de batterie, je pense à lui. Ça n’a aucun rapport mais… cette romance, cette mélancolie… cet « à propos » … Il te décrit une situation, et tu te plonges dans l’histoire.

En France, on a tendance à négliger souvent nos icônes. Il y a des monuments comme Henri Salvador ou Nougaro qu’on a viré des maisons de disque. Mais ce sont eux qui ont fabriqué le patrimoine français ! Ce sont eux qui ont fabriqué les lits sur lesquels on dort aujourd’hui ! S’il n’y avait pas eu Aznavour, Croisille, Distel, Nougaro,… les Français n’auraient peut-être pas connu certains standards de jazz! Lavilliers a apporté aussi la salsa…Johnny a souffert de ça aussi, mais c’est quand même lui qui nous a amené Jimmy Hendrix ici. On est parmi les meilleurs mélodistes du monde ici en France. Les gens vont vers des trucs plus faciles maintenant, avec un langage souvent insultant. Ce n’est plus très mélodieux ou romantique, alors que la France était connue aussi pour ça. C’est dommage…

Comment faire pour que le patrimoine musical soit plus reconnu en France ?

Déjà il faut retrouver la liberté de jouer où tu veux. Quand on considère que la musique ne fait pas partie des « essentiels », je ne comprends pas. Toute la musique que tu écoutes en permanence, elle vient d’où ?

Et ensuite il faut reconnaitre que la musique est un métier sérieux, pas un truc de troubadour !  Les gens ne prennent pas la musique au sérieux. Quand j’ai dit à mon père que je voulais faire de la musique, il m’a dit « mais tu es un rigolo en fait« . On me demande encore souvent de quoi je vis réellement quand je dis que je suis musicien… Tout vient déjà de là !

Et puis il faut faire attention à certains débats sur la culture qui peuvent exclure. Quand j’entends Marine Le Pen parler de culture française, elle fait référence à quoi ? C’est nous tous qui apportons cette culture, c’est nous qui la faisons. C’est Aznavour qui vient d’Arménie qui vient apporter sa culture. C’est Manu Dibango qui vient du Cameroun. Claude François qui vient d’Egypte. Mike Brant qui vient de Jérusalem. Jacques Brel qui vient de Belgique… Les gens sont choqués que je me revendique français, pourquoi ? Parce que je suis noir ? C’est mon pays, la France. Je la défends aussi, je l’aime et je la connais autant sinon mieux que toi même. Ce débat est inutile.

Vous écrivez aussi aujourd’hui des musiques de films et de documentaires. Ça vous plait comme expérience ?

Ça fait déjà 15-20 ans que je fais ça. Sans avoir vu le film même parfois, je commence à créer des ambiances qui ont vraiment un bon rapport avec les bandes qu’on m’envoie après.

Comment trouvez-vous l’inspiration ?

Je me projette en visualisant une certaine scène. Je te donne un exemple : « tu roules lentement dans une ruelle de New York, la nuit, avec une grosse limousine des années 60, tous feux éteints » J’ai une mélodie qui va me venir en tête, qui colle parfaitement à cette ambiance. (Il me fait écouter une musique de jazz «Miles Davis ascenseur pour l’échafaud ») Et rien qu’avec le texte, j’essaie de restituer un climat et le faire matcher avec des sonorités. Le sens et le poids des mots… Et quand j’ai les bandes, je réajuste tout. La musique peut te transmettre vraiment des choses profondes, des sensations, des émotions. Ce sont ces émotions qui te font toucher un truc juste. L’émotionnel comme on dit en développement personnel…

Vous aimez le développement personnel ? Qu’est-ce que ça vous apporte en tant que musicien et en tant que personne ?

Je lis beaucoup. En tant que musicien, ça m’apporte beaucoup d’humilité et d’apaisement. Avant, j’étais très impulsif et très sanguin. Avec les Accords Toltèques, je fais plus attention à ce que je dis… et à la façon dont je le dis…Je visualise beaucoup des situations futures. Je pratique beaucoup la visualisation créatrice. L’univers que j’ai envie d’avoir devant moi, je le crée avec la force de la pensée, la volonté et l’intention.

Vous l’avez découvert récemment ?

Ça fait un moment. Il y a des événements qui font que tu te diriges naturellement vers ça. Ce sont des expériences de la vie qui font que tu t’apaises et que tu deviens plus humble. Même si tu sais jouer de la batterie vite et très fort, même si tu es talentueux et que tu brilles dans certains endroits, ce n’est pas pour autant que tu dois écraser les autres. Je trouve que le développement personnel t’aide à ça. Ça s’appelle aussi le bon sens.

Comment avez-vous pratiqué la musique avec la crise sanitaire ? Est-ce que ça change quelque chose dans votre façon de jouer ?

Techniquement parlant non ça ne change rien… Ce sont plutôt les proximités et les accolades qui ont changé. On reste un peu plus loin les uns des autres.  Et c’est comme si on te mettait une cloche de verre au-dessus de toi. J’espère qu’on pourra vite retrouver l’énergie, les cris, la sueur du public en concert !

Pour découvrir la chaine Youtube de Félix Sabal Lecco, c’est par ici !

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Par Ségolène Lhommée,

Issue d’une formation en valorisation du patrimoine culturel, je suis devenue aujourd’hui consultante en communication digitale. Je m’implique dans des projets éditoriaux multiples alliant mes deux passions. Mes petits faibles, la peinture de la Renaissance italienne, les châteaux mystérieux et… TikTok !

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