Certaines Lois ont marqué leur époque. Celle de 1905 est de celles-ci. Elle a permis de placer la Laïcité au centre du débat politique et de permettre à des hommes d’entrer dans l’Histoire.

La cruelle actualité, entre le procès des attentats de Charlie Hebdo et le meurtre sauvage d’un professeur, nous renvoie à cette notion, très française, de Laïcité. Wolinski disait d’ailleurs que la France était « le seul pays laïc du monde » (93, rue du faubourg Saint Honoré – enregistré le 31/10/2005 et diffusé le 08/11/2005 sur Paris Première).

Pourtant, cette loi, car il s’agit d’une loi, a des origines pas ou peu connues, il serait peut-être temps de regarder dans le rétroviseur de l’histoire afin d’en comprendre la « substantifique moelle » pour paraphraser Rabelais qui n’a pourtant rien à voir avec cette affaire.

UN DEBUT REVOLUTIONNAIRE

Nous sommes dans les années 1789 : le peuple se révolte ou plutôt se révolutionne autour d’un principe simple : la fin des privilèges. On décapite à tout-va (déjà) et le Roi n’est plus le représentant de Dieu sur Terre.

C’est la première séparation des Eglises et de l’Etat, mais on ne parle pas encore de Laïcité, pour la simple et bonne raison qu’un homme, un Caporal devenu Empereur, va mettre fin à un conflit interne au pays : la guerre entre le curé et l’instituteur (ou le Maire, au choix) qui pourrit singulièrement la période postrévolutionnaire.

Caricature de la Séparation des églises et de l'état, amorce du principe de laïcité
Inspiré par Voltaire, Émile Combes s’apprête à trancher le nœud gordien entre l’Église (le pape) et l’État (Marianne) tandis qu’un moine cuve son vin. Caricature anonyme, Centre national et musée Jean-Jaurès

LE CONCORDAT

Napoléon Bonaparte, conscient de la possibilité d’avoir à gérer une guerre civile, prend l’initiative d’essayer de régler ce problème de cohabitation. Il crée le Concordat : un pacte de non-agression entre l’Eglise et l’Etat, en échange de la transformation de la religion en un service public de la Nation. Les religieux deviennent fonctionnaires, et la paix s’installe… durablement. Jusqu’en 1904.

En effet, à cette époque, le courant militaire n’est plus à la mode. L’affaire Dreyfus a rendu l’uniforme impopulaire et un autre scandale, dit des fiches, jette de l’huile sur le feu (Pour simplifier, le Ministre de la Guerre faisait surveiller ses officiers pour vérifier si ces derniers allaient à la messe durant leurs temps libres).

De plus, le gouvernement, clairement anticlérical, ferme une à une toutes les institutions religieuses, dont les bâtiments appartiennent à l’Etat depuis la Révolution.

Affaire Dreyfus

UN SCANDALE POLITIQUE POUR PROVOQUER LE DEBAT

L’affaire des fiches fait sauter le gouvernement de l’époque mais garde son aspect républicain anti-religieux. La menace de guerre civile repointe le bout de son nez. L’opposition instit/curé est trop forte, le Concordat n’est plus applicable : Janvier 1905, début des débats à l’Assemblée Nationale, avec des protagonistes vedettes que je m’en vais vous présenter :

  • Camp N°1 : les royalistes portés, entre autres, par le Comte Léon-Armand de Baudry d’Asson, grand défenseur du retour du Roi (mais sans Gandalf).
  • N°2 : Les religieux, représentés par l’Abbé Gayraud, qui défendra le Concordat.
  • N°3 : Les communistes exigeant la fin de toute représentation religieuse dans la société, et dont Maurice Allard sera le porte-parole.

UN RAPPORTEUR AU DESTIN HISTORIQUE

Au milieu de ce champ de bataille idéologique, un homme chargé de présenter une Loi prenant en compte ces concepts a priori incompatibles. Il se nomme Aristide Briand. Le débat durera jusqu’en décembre mais des éléments vont faire pencher la balance de son côté.

On pourrait croire, à première vue, que les deux premiers camps étaient associés. Si ce fût le cas au début des débats (quand débattaient les débatteurs débrouillards), l’Abbé Gayraud prit ses distances avec les royalistes, conscient que ces derniers exigeaient tout simplement le réveil de la monarchie absolue, peu compatible avec le républicanisme ambiant.

De l’autre côté, les communistes réclamaient à corps, et surtout à cris, tantôt de supprimer les fêtes religieuses en leur donnant un nom républicain (fête de l’hiver à Noël, du printemps à Pâques, etc.), tantôt en promulguant l’interdiction du port de la soutane, grandement pratiqué à l’époque.

Aristide Briand : Rapporteur de la Commission
Il obtiendra le Prix Nobel de la Paix en 1926
Aristide Briand : Rapporteur de la Commission
Il obtiendra le Prix Nobel de la Paix en 1926

LA LAICITE, UN CONSENSUS POUR L’HISTOIRE

Je rappelle le contexte. Les religieux et les républicains n’attendent qu’une chose : un prétexte pour se tirer dessus. Chacun attend une clarification de la part de l’Etat et, si cette dernière ne leur convenait pas, le mot barbarie reprendrait du service sur tout le territoire.

Aristide Briand propose donc la chose suivante :

  • Fin du Concordat : l’Etat ne finance plus le culte
  • Les cultes récupèrent l’usufruit des lieux de cultes afin de pouvoir se financer eux-mêmes
  • Il n’y aura plus de religion d’Etat
  • Chacun est libre de sa religion

UN SOUTIEN SANS FAILLE DE JEAN JAURES

Ce texte, facilement disponible sur le net, nécessitera l’appui d’un autre homme, qui a certes participé au débat mais peu parlé. Il détient la clé des votes et peut faire basculer ce texte dans le vide intersidéral des lois oubliées. Il y apportera son soutien sans aucune équivoque : un autre nom à retenir, celui de Jean Jaurès.

Pour résumer, la Loi de Séparation des Eglises et de l’Etat (le mot « Laïcité » n’apparait nulle part dans le texte) a été créée pour répondre à deux urgences : Eviter une guerre civile fondée sur la religion et rendre aux politiques leur place dans ce débat (après tout, c’est pour ça qu’ils ont été élus).

Jean Jaurès : Fondateur de la SFIO
Assassiné en 1914 à quelques jours du début de la Grande Guerre
Jean Jaurès : Fondateur de la SFIO
Assassiné en 1914 à quelques jours du début de la Grande Guerre

UNE LOI PACIFISTE

Aujourd’hui, alors que la Laïcité subit des attaques quant à sa compréhension des milieux religieux, on peut affirmer, sans trop se tromper, qu’elle a aussi permis de « calmer le jeu » il y a un peu plus d’un siècle, permettant aux croyants de pratiquer en lui interdisant de rentrer de force dans les foyers qui ne croyaient pas.

Aujourd’hui, la force a changé de forme, mais le principe reste le même : La liberté de conscience est un droit individuel, l’imposer serait totalitaire.

Par Schmoruk,

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Pour aller plus loin sur la laïcité :

  • La séparation (2005), film de François Hanss qui reprend le déroulé des débats de 1905 (pour rappel, tout ce qui est prononcé à l’Assemblée Nationale est consigné, nous avons donc les textes exacts).
  • Jesus Camp (2006), documentaire de Rachel Grady et Heidi Ewing (ton univers impitoya-a-ble) qui accompagne une colonie de vacances pour enfants de chrétiens charismatiques dans le Dakota du Nord.
  • La Laïcité, livre de Michel Miaille (ed. DALLOZ) : ce bouquin tient dans la poche (réellement) et répond aux principales questions que l’on peut rencontrer quant à ce sujet (histoire, questions de société, législation, etc.), la troisième version de ce livre est sortie le 7 octobre 2020.

Né à Maubeuge, vivant dans les Vosges mais ayant quand même survécu, Schmoruk exerce un temps le métier de héros de l’espace à domicile (libère le monde en 30 minutes chrono, sinon on vous rembourse), métier qui le poussera à fermer boutique au bout de 30 minutes. Passionné par Brassens, Renaud et les Beattles dès 8 ans malgré les techniques de pointe appliquées à l’Education Nationale, il passera le plus clair de son temps à décortiquer les textes de ses idoles et d’en découvrir d’autres. Aujourd’hui, il écrit, et ça promet.

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