Des sœurs jumelles, des couleurs pastel, des marins, des forains, et des musiciens, des danseurs, des chapeaux et des concertos. Le tout à Rochefort avec humour et en musique, c’est en ce moment en VOD sur Canal+. Et c’est tout de suite dans C’est comme la confiture.

Crédits : Podcast proposé par Cultur’easy
Concept de Marion Labbé-Denis
Écriture et Voix de Marion Labbé-Denis
Musique Originale de Lucas Beunèche
Montage & Mixage de Lucas Beunèche
Conseil artistique : Caroline Garnier
Production artistique : Elodie Bedjai

Que vous soyez Poisson, Lion ou Cancer, si je vous dis “Nous sommes deux sœurs jumelles” ! A priori vous me répondrez “Nées sous le signe des gémeaux”. Cette chanson, vous l’avez très certainement, comme moi, entendue à maintes reprises. C’est marrant, d’ailleurs parce que j’ai l’impression de l’avoir toujours connue. Comme Starmania ou Les Aristochats, enfin comme tout ce qui est né avant moi quoi en fait. Mais ce que je ne connaissais pas du tout jusque très tard, c’est le film dont cette chanson est extraite. Les demoiselles de Rochefort de Jacques Demy.

Je l’ai découvert un soir où j’assistais à une double-séance, spéciale “Cinéma-couleur”

Je me souviens d’avoir été subjuguée par ce film du début à la fin, alors que je ne m’y attendais pas du tout. C’était le deuxième long métrage de la soirée. J’étais fatiguée, je crois même que j’avais hésité à filer en douce à l’entracte. Et puis finalement, j’étais restée. Et j’ai été bluffée. Je ne sais pas comment vous dire, c’est que… Ce film a illuminé ma soirée, il a allumé plein de petites guirlandes de toutes les couleurs dans ma tête. Ce film, c’est un peu une guinguette en plein après-midi. 

Les demoiselles de Rochefort, c’est un film devant lequel on sourit. Tout est joué, voire surjoué, orchestré, dansé, chanté. Et, bien sûr, les comédies musicales ça embellit nécessairement un peu la vie. Mais là vraiment, celle-ci c’est, un bonbon arlequin, c’est un bonbon acidulé et colorés qu’on finit souvent par croquer.

Les Demoiselles de Rochefort c’est une comédie musicale de Jacques Demy sortie en 67. 

Jacques Demy il est originaire de Nantes, enfin de Pontchâteau, Pontpont pour les intimes. Son père est garagiste et sa mère est coiffeuse. Il étudie aux Beaux-Arts de Nantes, enfin il suit des cours du soir. Puis il devient l’assistant de Paul Grimault le réalisateur du film : Le Roi et L’oiseau. Il réalise ensuite ses premiers court-métrages, documentaires d’abord puis de fiction ensuite.

Il est assez proche du mouvement de la nouvelle vague, d’ailleurs il apparaît dans Les 400 coups de François Truffaut. Et c’est le producteur d’À bout de souffle de Godard qui produit aussi son premier long-métrage, Lola en 1961. Au moment de la sortie des Demoiselles de Rochefort, il est déjà relativement connu puisqu’il a réalisé Les Parapluies de Cherbourg. Qui a reçu la Palme d’or au festival de Cannes en 1964. C’est un film musical du début à la fin, ce qu’il appelle lui-même un film en-chanté. Je l’aime beaucoup aussi celui-là, mais les parapluies, il est plus sombre, moins lumineux. En même temps ça s’appelle les parapluies, ça paraît logique.

Pour vous donner une idée, Jacques Demy il a beaucoup inspiré Damien Chazelle, le réalisateur de La-la-land. Mais il a aussi influencé Christophe Honoré qui a réalisé Les Chansons d’amour et Les bien aimés. Des films dans lesquels il pleut pas mal mine de rien. Dans les films de Jacques Demy, comme dans ceux de Christophe Honoré ou de Damien Chazelle, ce qui est mis en avant ce sont les aléas de la vie. Le hasard des rencontres, de ceux que l’on croise, des conséquences de nos choix aussi. Ce sont des thèmes qui lui sont chers et qui sont présents dans tous ses récits. Et particulièrement dans Les Demoiselles de Rochefort.

Ce film, c’est l’histoire de deux sœurs jumelles, Delphine et Solange. 

Elles vivent à Rochefort, donnent des cours de danse et de musique. Elles rêvent de vivre de leur art, de monter à Paris et de rencontrer le grand amour. Autour d’elles, virevoltent tout un tas de personnages. Leur petit frère Boubou, leur mère Yvonne Garnier, qui tient un café sur la place de Rochefort, Josette, la serveuse qui travaille avec elle. Leur grand-père qui fait des maquettes à longueur de temps. Et puis d’autres, qu’elles croisent ou qu’elles ne croisent pas justement. Maxence, un marin qui cherche son idéal féminin et fréquente le café d’Yvonne. Simon Dame, qui vend des pianos, Étienne et Bill, deux forains qui voyagent de “ville en ville” pour présenter des motos et des bateaux. Et qui sont de passage à Rochefort pour la Foire.

Parce que, je ne l’ai pas encore dit, mais le film se déroule sur un week-end. Un week-end où il y a : Kermesse. Et puis, juste avant la kermesse, les deux jeunes femmes qui accompagnaient Étienne et Bill, qui devaient présenter avec eux un spectacle, les quittent. Pour suivre des marins, parce que “les marins sont bien plus marrants que tous les forains réunis”. Les deux forains se retrouvent comme qui dirait, dans la panade… Alors ils proposent à Delphine et Solange, de les remplacer.

Les deux sœurs jumelles sont jouées par Catherine Deneuve et sa sœur aînée Françoise Dorléac. On connaît tous très bien Catherine, mais on connaît moins sa grande sœur Françoise. Pourtant c’est grâce à elle qu’elle a démarré sa carrière dans le cinéma. En fait, c’est Françoise Dorléac qui a poussé Catherine Deneuve à passer des bouts d’essai pour jouer sa sœur. Dans un film des années 60 qui s’appelle Les portes claquent et c’est comme ça qu’elle a commencé Catherine Deneuve.

Elle dit elle-même qu’au départ ça ne la tentait pas trop. 

Et que, si elle n’avait pas rencontré Jacques Demy avec qui elle a tourné sur Les Parapluies de Cherbourg, elle n’aurait peut-être pas eu la carrière qu’on lui connaît dans le cinéma Français. Françoise Dorléac, elle, elle a joué dans pas mal de films. Notamment La peau douce de François Truffaut et L’homme de Rio avec Jean-Paul Belmondo. Son histoire est assez tragique, puisqu’elle est décédée à 25 ans dans un accident de voiture. Quelques mois seulement après la sortie des demoiselles de Rochefort.

Mais donc pour résumer, Les demoiselles de Rochefort, c’est l’histoire de deux sœurs jumelles. D’une kermesse et d’une galerie de personnages avec lesquels elles évoluent. Ces personnages sont interprétés par Gene Kelly, Danielle Darrieux, Michel Piccoli et Jacques Perrin pour ne citer qu’eux. Bon ce ne sont pas eux qui chantent sur le film. À priori, je ne suis pas la seule à avoir une justesse approximative. Ils sont tous doublés par des chanteurs sauf Danielle Darrieux. Respect. Elle, elle chante toute seule tout son rôle. En même temps c’est pas n’importe qui Danielle Darrieux. Elle a joué dans une centaine de films en presque 80 ans de carrière. Ça nous en bouche un coin, n’est-ce pas ?

Le film est très coloré. Pour le tournage, ils ont repeint des volets de la ville de Rochefort. Mais aussi des façades de la place Colbert, la place de Rochefort où se déroule la kermesse. Et mine de rien ça fait beaucoup, beaucoup de façades. Genre pas beaucoup dix ou vingt, beaucoup 40.000 m2 de peinture. Le décorateur, Bernard Evein, voulait aussi repeindre le pont transbordeur de Rochefort … en rose pour la scène d’ouverture du film.

Bon, là, je pense que le maire et les habitants ont mis un stop à la folie des grandeurs. 

En mode : “Bon les gars on est déjà bien là, niveau village des polly-pockets. Il faut peut-être pas pousser le vice trop loin”. C’est dommage, mais ça s’entend.

Dans la série des anecdotes, je suis tombée à plusieurs reprises sur une histoire de coiffeur que j’affectionne particulièrement. Dans le film, le personnage de Maxence, joué par Jacques Perrin est très blond et la légende raconte que c’était pas franchement fait exprès. C’est que les coiffeuses sur le tournage étaient trop occupées. Alors on a envoyé Jacques chez le coiffeur et par erreur ils ont mis sa tête dans une bassine d’eau oxygéné. Et bah blond platine qu’il est ressortit le Jacquot. Je ne sais pas à quel moment tu plonges la tête de quelqu’un dans une bassine d’eau oxygénée “par accident”. Ni si c’est réellement comme ça que ça s’est passé, mais enfin, à priori ce sont des choses qui peuvent arriver. Il y a de quoi se méfier, un accident est si vite arrivé.

La musique du film est composée par Michel Legrand… Ah Michel Legrand… C’est le compositeur d’un paquet de chefs d’œuvres et notamment des Moulins de mon cœur. Michel Legrand il est parisien, il est né à Ménilmontant, son père aussi était compositeur. Il a étudié au conservatoire national de musique de Paris. Il aimait le Jazz, il a fait des arrangements de façons plus ou moins officielle. En travaillant pour et avec son père sur certains films. Et il savait jouer une douzaine d’instruments.

C’est pas incroyable ça ? 

Dans les années 50, il a sorti un album chez Colombia. Où il reprend des airs français mais en un peu plus jazzy et ça a fait un carton. De là, renommée internationale. À la fin des années 50, il enregistre même avec Miles Davis, John Coltrane et Bill Evans, des monstres du Jazz Moderne. 

En même temps, j’avoue que Michel Legrand c’est un monstre aussi. Dans les années 60, avec l’arrivée de la nouvelle vague, il fait de plus en plus de musiques de film. Il commence à travailler avec Agnès Varda, la complice de Jacques Demy, sur son film à elle, Cléo de 5 à 7. Puis avec Jean-Luc Godard, et enfin… Jacques Demy ! Et MON DIEU QUEL BONHEUR ! Ils ont travaillé ensemble sur beaucoup de projets et sur les films en-chantés de Jacques Demy. Les parapluies de Cherbourg, Les demoiselles de Rochefort, ou encore Peau d’âne.

Et cette musique ! Mais ça me fait mal au ventre tellement c’est beau. Chacun des personnages du film a une petite musique, un thème, et parfois ils s’entremêlent. On les reconnaît avant même qu’ils arrivent à l’image en fait. Je ne sais pas comment vous le dire, mais la bande son des demoiselles de Rochefort, moi ça me rend très heureuse. Et je sais, ce n’est pas cohérent d’avoir mal au ventre quand on est heureux, mais pourtant c’est vrai. Je dodeline de la tête en fermant les yeux, et je chante -faux-, mais à pleins poumons.

Parce que ce n’est pas juste chanter, c’est chanter des histoires. 

C’est chanter des gens. Les demoiselles de Rochefort c’est la chorégraphie de la vie, c’est des gens qui se croisent. C’est le hasard des rencontres, que l’on ne voit bien que de loin. C’est se laisser porter par le rythme parfois effréné du retour de ce à quoi on avait renoncé, c’est :

« Chanter la vie, chanter les fleurs. Chanter les rires et les pleurs. Chanter le jour, chanter la nuit. Chanter le soleil et la pluie »

Comme ils disent.

Et puis, pour tout vous dire, dans ce film, il y a mille détails, mille engagements. Mille visions de la vie qui sont dissimulées derrière une esthétique lisse en apparence. Ça passe par des choses si simples, si discrètes, à côté de l’exubérance des pas de danse. Et des couleurs pastel qu’on les remarque à peine, et pourtant elles sont bien là ! Jacques Demy par exemple, a insisté pour que quelle que soit leur classe sociale, les femmes puissent arborer les mêmes robes. Du personnage de la serveuse à celui de sa responsable. À travers, le personnage de Maxence, il donne comme un contrepoint au cliché du militaire. Puisque Maxence est peintre et poète, délicat, sensible et rêveur. Yvonne Garnier, elle a élevé seule trois enfants, en étant responsable de son propre établissement. Et à aucun moment ses choix de vie ne sont un sujet.

Alors oui, ça chante, ça danse, ça semble dire des banalités, mais ce n’est pas tout à fait avéré. Il y a pas mal de second degré quand on regarde de près.

Quand les jumelles choisissent leurs robes rouges à paillettes pour le spectacle de la kermesse. 

Solange dit à Delphine, “Tu n’as pas peur qu’on fasse un peu pute ?” **Et c’est drôle ! C’est drôle parce que c’est en décalage avec la forme, avec l’environnement tout propret dans lequel on baigne depuis les premières images. Si on n’y fait pas attention on pourrait se croire dans une sorte de Disney, pourtant il y a plein d’éléments qui le démentent. Le film fait semblant d’être innocent, mais il n’est l’est pas vraiment. Et c’est symptomatique de tout un double discours, il y a un passage où on voit des policiers essayer d’évacuer une rue. Et ils ont beau se dandiner eux aussi, ils disent, en chantant certes. Mais quand même des phrases comme “Ne nous forcez pas à vous cogner dessus”. 

Cette esthétique très pastel, très propre, très enchantée, mais sans arrêt contrebalancée par des éléments pragmatiques, très terre à terre me plaît beaucoup. Il y a derrière ce vernis pastel des tas d’éléments qui donnent à penser. Il y un discours qui se dessine en filigrane sur nos désirs, nos fuites et nos inconstances. Le film est parsemé de symboles, des plus évidents aux plus discrets. Il y a un jeu constant avec une certaine forme d’exubérance, de jeu dans le jeu et moi, ça me fascine.

Franchement, quand je vois que le film a récolté une note de 3,7/5 sur Allociné, j’ai envie de faire un scandale. J’ai envie de rencontrer les gens qui n’ont pas mis 5 au film. Et de leur demander : “Mais vous n’aimez pas la vie ?” Alors, oui c’est vrai, on lui reproche d’avoir une esthétique un peu bourgeoise et puis pour ceux qui sont allergiques aux comédies musicales. Je peux comprendre que ce soit légèrement indigeste, mais quand même faites un effort.

Vous l’aurez compris, j’aime ce film, très fort. 

Et c’est amusant parce que je n’ai pas besoin de le voir pour qu’il me fasse du bien. Lui et moi, on se connaît bien désormais. Alors, il suffit que je dépose le diamant de ma platine sur le vinyle de la bande originale du film pour qu’il me dessine un sourire. Ce qui fait que, parfois, je m’oublie dans mon petit contexte. Et qu’en fin de soirée, après avoir fait passer en force Aya Nakamura et Céline Dion. Avec un certain succès, il m’arrive de tenter un titre des Demoiselles de Rochefort. “Vite fait, nan mais juste comme ça, nan mais, parce qu’on sait jamais, allez s’il te plaît.” Alors que : “Si, Marion, on sait.” 

En plus, je ne mets même pas la chanson des jumelles que tout le monde connaît. Parce que ce n’est pas ma préférée et que comme je la connais depuis plus longtemps que les autres chansons, elle n’a pas leur fraîcheur à mon sens. Non, moi je vais jusqu’au bout de l’abus de pouvoir et je lance De Delphine à Lancien. L’une des plus belles chansons de rupture que je connaisse, durant laquelle Delphine quitte Guillaume. Parce qu’il ne saura jamais pourquoi elle aime sourire. Il ne saura jamais pourquoi elle aime danser. Pourquoi elle aime passer mon temps à rêvasser.

C’est beau, non ? Ou alors je change un peu de registre et dans les bons jours je tente vainement de déchaîner les foules. Avec La Chanson de Maxence qui cherche son idéal féminin.

Parce qu’il ne connait rien d’elle et pourtant il la voit. Il a inventé son nom, il a entendu sa voix.

Et bon, sans surprises, à chaque fois que j’arrive à faire passer l’un de ces deux morceaux, je plombe l’ambiance. Je plombe l’ambiance, mais… Je suis contente. Oui, non mais j’ai jamais dit que j’étais quelqu’un de très fréquentable.

Mais je m’étale, je vous le conseille si vous aimez les Arlequins, les guinguettes et les alexandrins. J’ai toujours eu du mal à exprimer pourquoi il avait tant d’importance à mes yeux ce film. Mais Les demoiselles de Rochefort c’est du soleil plein la tête quelle que soit la météo. C’est de belles histoires qui se terminent pour des raisons qui n’en sont pas ou des histoires qui paraissent évidentes. Et qui pourtant pourtant semblent ne vouloir jamais commencer, c’est un condensé d’espièglerie, d’apparente légèreté et de complicité. On voudrait que tous nos lundis aient cette même énergie. Ça donne envie de bouger, de se dandiner, de chanter, de porter du jaune et de mettre des bérets.

Alors voilà, n’hésitez pas !

Bisette,

PS : Ah et je vous conseille aussi le merveilleux épisode de podcast de Cinérameuf sur le sujet

Pour en savoir plus sur l’esthétique Camp de l’œuvre de Demy. C’est le feu et c’est disponible sur toutes les plateformes d’écoute.

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