Photographe

Quand le mythe de l’artiste solitaire s’effondre au profit de la création collective, c’est alors toute la notion d’œuvre d’art qui est redéfinie. Tour d’horizon de la fusion artistique.

On a souvent une vision erronée de l’artiste

Celle d’un être asocial, mal compris, négligé, avec une mauvaise hygiène de vie et habitant dans un taudis. Cette image du génie solitaire nous vient de l’antiquité avec la figure du philosophe Diogène qui vivait au milieu de la ville d’Athènes dans un tonneau. Ce stéréotype a été entretenu, plus tard, avec le courant du romantisme. Pourtant on sait de source sûre que les artistes de la Renaissance comme Rembrandt, Michel-Ange ou Raphaël ne travaillaient pas seuls mais qu’il y avait un véritable vivier autour de ces prodiges.

Street art

Mais les clichés ont la vie dure et souvent cette image populaire subsiste malgré tout. C’est pourquoi nous allons essayer de vous prouver que l’artiste est au contraire quelqu’un d’ouvert sur le monde et la société, que l’unicité d’une création n’est pas forcément limitée à un artiste ou à une discipline. 

Une autre idée de l’art

Après la première guerre mondiale, l’art évolue et veut réinventer le monde. Il tend à être plus proche du peuple et davantage en phase avec la société. Les artistes bousculent les consciences, provoquent, prennent position aussi bien politiquement que dans la dénonciation sociale. La création collective permet une nouvelle forme d’expression mais aussi d’expérimenter et d’appréhender l’art d’une façon inattendue.

L’école de Bauhaus

Walter Gropius
Walter Gropius

Il me semble difficile de parler de la fusion des arts sans évoquer l’école allemande de Bauhaus, qui est née en 1919, de l’alliance de l’Académie des beaux-arts et de l’école des arts décoratifs. À l’initiative de cette réunion il y a Henry Van de Velde, architecte, peintre et décorateur belge et Walter Gropius, designer et architecte allemand.

L’idée de l’enseignement artistique est révolutionnaire. On rapproche l’artiste de l’artisan, l’œuvre de l’architecture et la création de la production. Ici l’art ne peut s’affranchir de la technique. Cette école est devenue légendaire grâce à son apprentissage unique au monde. On peut lire dans le manifeste de l’école :

Le but final de toute activité plastique est la construction ! […] Architectes, sculpteurs, peintres ; nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu’il n’y a pas d’art professionnel. Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan. […] Voulons, concevons et créons ensemble la nouvelle construction de l’avenir, qui embrassera tout en une seule forme : architecture, art plastique et peinture […]

En 1933, les nazis font fermer l’école à qui il reproche d’enseigner “un art dégénéré”. Les membres de Bauhaus trouvent refuge aux Etats-Unis et à Tel-Aviv.

Le mouvement Fluxus

Théâtre de rue Fluxus-Ben Vautier
Théâtre de rue Fluxus-Ben Vautier

Le mouvement Fluxus a vu le jour à New York en 1960. Il est largement influencé par le dadaïsme de John Cage, Marcel Duchamp et Allan Kaprow.

C’est Georges Maciunas qui est à l’origine de ce mouvement, qui replace l’art au centre de la société et de la vie. L’artiste n’est plus centré sur lui, mais ouvert aux autres et sur le monde dans lequel il vit. L’art n’a plus mission d’être réservé à une élite, il devient participatif et transdisciplinaire.

On y trouve des artistes d’Europe, du Japon ou des Etats Unis, qui viennent d’univers différents et qui n’ont pas le même mode d’expression artistique. Fluxus veut montrer également que l’art est divertissant et que dans cet état d’esprit, il représente une véritable manière de vivre.

Des événements sont organisés et les diverses disciplines (théâtre, musique, peinture, etc.) se mélangent et créent une vision parfois éphémère de l’œuvre d’art. Ils vont jusqu’à contourner les canaux de diffusion habituels avec ce qu’il nomme le Mail Art où ils distribuent l’art par voie postale. Les bases de l’art contemporain sont posées.

La Factory d’Andy Warhol

La Factory d’Andy Warhol a ouvert ses portes en 1964 à New York. À la base, cet endroit s’appelait La Silver Factory en référence aux papiers d’argent qui recouvraient les murs. Warhol l’avait destiné au groupe de rock The Velvet Underground afin qu’il puisse à la fois enregistrer des compositions et jouer devant un public.

Andy Warhol était un artiste boulimique qui touchait à tout : peinture, sculpture, musique, photographie, cinéma, etc. La Factory, c’est un peu comme un laboratoire d’expérimentation artistique et de mélange des genres. Le nom “Factory” qui veut dire “Usine” n’a pas été choisi au hasard. C’est une manière pour lui d’imposer sa vision de l’art et du processus de création. L’artiste n’est plus seul dans son atelier, mais plusieurs créateurs collaborent et travaillent ensemble dans une usine. Comme dans le mouvement Fluxus, Warhol souhaite rapprocher l’art de la vie. Il y a également une référence évidente au monde du travail et à l’idée qu’une œuvre peut être assimilée à une fabrication industrielle ou un produit de consommation.

Malheureusement, la Factory est souvent vue comme un simple lieu de rencontre où tous les excès sont roi, alors qu’elle a révolutionné véritablement la conception artistique en établissant un lien et un échange entre différentes disciplines. Il n’y a aucun doute sur le fait qu’Andy Warhol était un visionnaire.

Quand l’amour et l’art s’entrechoquent et se complètent

Lorsque l’on parle de couples d’artistes, on pense tout de suite à Camille Claudel et Auguste Rodin, Dora Maar et Pablo Picasso, Gala et Salvatore Dali et bien d’autres. Même s’il y a dans ces couples une alliance artistique, il s’agit plus d’un rapport de muses à mentors.

Là où l’analyse de l’œuvre est encore plus intéressante c’est lorsque celle-ci a été réalisée à 4 mains, quand il y a un réel équilibre entre les deux artistes. Voici quelques exemples concrets :

Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely

Image tirée du film documentaire de Catherine Aventurier “La fée et le Machiniste”
Image tirée du film documentaire de Catherine Aventurier “La fée et le Machiniste”

Niki de saint Phalle est une autodidacte dans l’art. Dans les années 50, elle effectue un voyage en Espagne et découvre l’œuvre d’Antonio Gaudi, qui l’inspirera beaucoup. C’est à partir de cette période qu’elle décide de se mettre à la sculpture. Elle est connue également pour sa série de performance “Tirs” où elle peint des toiles en projetant la peinture à l’aide d’une carabine.

Jean Tinguely est sculpteur, peintre et dessinateur. Lui, est très inspiré par les travaux du Bauhaus. Il pratique le recyclage et redonne vie à des objets par l’art du mécanisme. Il réinvente l’architecture.

Ils se rencontrent en 1956. Leur collaboration va par exemple donner naissance au projet “hon” où le visiteur va pénétrer par le vagin d’une sculpture géante de femme nommée “Nana” pour y découvrir des œuvres de Tinguely. En 1983, ils créent la fontaine Stravinski devant le centre Pompidou à Paris. Elle est faite de 16 sculptures en mouvement, qui lancent des jets d’eau. C’est une œuvre unique et fascinante.

Pierre et Gilles

Pierre et Gilles, c’est l’alliance de la photographie et de la peinture. Gilles Blanchard est peintre et Pierre Commoy est photographe. Ils travaillent ensemble depuis 1976. Leur travail se concentre sur le portrait. Leur processus créatif se passe ainsi :

  • Pierre prend une photo d’un sujet, au sein d’un décor et d’une mise en scène travaillée ;
  • La photo est tirée sur toile ;
  • Gilles peint sur le cliché et lui donne ainsi une nouvelle dimension.

Leurs modèles sont avant tout des stars populaires de la chanson, du cinéma, de la mode. Leur style est reconnaissable : ils subliment la beauté jusqu’à la sacraliser. Les photos-toiles deviennent des icônes presque religieuses. Les couleurs sont exagérées pour embellir la réalité, on peut même dire que cela va jusqu’au kitsch.

Voici quelques noms qui sont passés devant leur objectif : Jean-Paul Gaultier, Serge Gainsbourg, Madonna, Iggy Pop, Marilyn Manson, Mireille Mathieu, Sylvie Vartan, Isabelle Huppert, Arielle Dombasle, Catherine Deneuve, Karl Lagerfeld, Salvatore Dali…

Lucy et Jorge Orta

Photo prise lors de la performance “Modular achitecture,The unit x10”
Photo prise lors de la performance “Modular achitecture,The unit x10”

Lucy Orta a un diplôme de design de mode, elle commence à travailler en 1989 en tant que plasticienne à Paris.

Jorge Orta a étudié l’architecture et les beaux-arts. Le couple se rencontre en 1991 et monte le studio Orta en 1992 afin d’y développer leurs œuvres et leurs idées. Leurs créations sont centrées sur les problèmes sociaux, politiques et la survie de l’homme. Ils explorent les barrières et les similitudes entre l’architecture et le corps. Ils étudient la place de l’homme dans son environnement et la migration des peuples.

Lucy Orta travaille beaucoup sur le vêtement qui serait transformable selon les besoins. Elle imagine un textile qui pourrait à la fois servir de refuge, de réserves de survie ou même de transport.

Et le studio Orta n’hésite pas à faire appel à d’autres disciplines artistiques pour faire passer leur message comme dans la performance “Modular architecture, The unit x10” faite à la fondation Cartier à Paris en 1996. Ils ont imaginé plusieurs structures liées entre elles dans lesquelles des danseurs se sont introduits et se sont approprié l’espace le temps d’une chorégraphie. Des inscriptions sur le sol poussaient le spectateur à la réflexion. On a pu lire par exemple : “Le lien physique tisse un lien social”. Ici, les danseurs apportent une dimension et un sens à l’œuvre qui n’existerait pas si celle-ci avait été seulement statique.

Créer de l’inédit à plusieurs

De nos jours, il est assez courant de voir naître des collectifs d’artistes qui veulent expérimenter l’art sous une forme différente. La rédaction avait publié un article sur une émission « Kick Eat » où l’art de la gastronomie rencontre la culture hip-hop. C’est la réunion de deux univers où l’improvisation et la capacité d’adaptation sont inévitables et c’est ce qui rend le concept intéressant.

Voici quelques exemples de cette volonté d’abattre les frontières et de trouver plus de force dans la diversité.

Agnès Varda et JR

Agnès Varda et JR, voilà deux personnalités différentes et à la fois tellement complémentaires. Elle est cinéaste, réalisatrice et fait de la photographie. Lui est photographe, street-artist et s’est déjà essayé à la réalisation. C’est JR qui est à l’origine du projet de partir sur les routes dans un drôle de Van aménagé en photomaton, à la rencontre de la France des campagnes et des quartiers ouvriers. Il y a l’idée de mettre à l’honneur les gens qui travaillent en usine ou sur un chantier.

Leur périple durera deux ans et donnera naissance à un film documentaire primé à Cannes en 2017 « Visages, Villages”. C’est un film très touchant où l’on voit la complicité de deux artistes de générations différentes avec deux regards et deux sensibilités. Les œuvres monumentales et éphémères créées par JR sur des objets ou directement sur le paysage, sont splendides. Ce documentaire nous montre la force de l’art en tant que créateur de lien.

Collectif Dance X Art

Le collectif Dance X Art est un 1er projet développé par AT Production label lyonnais hip-hop fondé par Aristée Thévenon où la danse, l’art et la musique se mêlent.

6 couples d’artistes de la ville de Lyon participent au projet. Les univers de chacun y sont représentés. Ici, c’est clairement la culture de la rue qui est mise en avant.

Collectif MxM

C’est Cyril Teste, comédien et metteur en scène qui fonde en 2011 le collectif MxM, celui-ci réunit le théâtre et le cinéma. Il réalise des performances filmiques autour d’une pièce de théâtre. Pendant que la pièce se joue face au public, un film est créé en direct. Le spectateur assiste en temps réel au tournage, au montage et à l’étalonnage du film issu de la pièce de théâtre. Pour avoir personnellement assisté à 2 de ses performances avec “Nobody” et “Festen”, l’expérience est captivante. Tous les codes sont bousculés car il s’agit d’une écriture théâtrale, et d’une réalisation cinématographique éphémère. La précision du jeu des comédiens et la maîtrise de ceux qui tiennent la caméra sont éblouissantes.

Danser la peinture

“Danser la peinture” est une idée du photographe Laurent Paillier. Il demande avec l’aide de Philippe Verrièle critique de danse, à onze chorégraphes de danser selon la réalisation d’un artiste. Chaque chorégraphe s’est vu attribuer l’œuvre d’un plasticien.

Cette expérience est retranscrite dans un livre en onze chapitres. Chaque chapitre correspond à la séance qui a été dansée et photographiée. On trouve également un texte, à chaque session, sur le ressenti du plasticien et du chorégraphe. Les clichés sont d’une puissance visuelle extraordinaire.

Il y a certainement des tas d’autres exemples d’associations artistiques originales…

ou des façons nouvelles d’aborder une œuvre dont je n’ai pas parlé et qui participent à l’évolution de l’art. N’hésitez pas à partager en commentaire certaines performances multidisciplinaires auxquelles vous avez assisté et qui vous ont marqué.

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Par  Laure Techer-Grue,

Rédaction de contenus

Laure, 45 ans et Varoise depuis toujours. Diplômée de Lettres Modernes, j’ai été longtemps assistante commerciale. Très curieuse, avec une soif d’apprendre intarissable, j’aime lire, écrire et le pouvoir des mots me fascine. Je suis aujourd’hui rédactrice web et ce métier me permet de me reconnecter à mes envies et mes passions.

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