Dans notre monde où la nature est plus que jamais menacée, quoi de plus précieux que nos jardins ? Du petit jardin d’agrément au potager familial, du jardin historique et patrimonial aux parcs de nos villes, du jardin millénaire aux créations contemporaines, ils suscitent l’attachement, l’émerveillement et la passion.

Dieu Tout-Puissant planta tout d’abord un jardin. Et, vraiment, c’est le plus pur des plaisirs humain 

Francis Bacon

Universel dans l’espace et dans le temps, l’art du jardin se perpétue et évolue constamment. Promesse de bonheur ? De sens ? De paradis ? Chaque civilisation, selon ses convictions, y démontre son art de vivre, y crée le miroir de sa conception du monde.

Le jardin comme art de vivre

Le jardin comme art de vivre
Le jardin comme art de vivre

Depuis toujours nous interrogeons notre relation avec la nature. Nous voulons comprendre son origine, ses lois et ses vertus. L’usage que nous pouvons en faire, notre influence sur son écosystème, notre perception et notre interprétation de ses éléments. Le jardin est notre ancrage parmi les saisons, les lunes, les pluies. Il éveille nos sens à l’unisson et nous offre une protection mentale dans les limites de son territoire. Si nous portons une telle admiration à nos jardins, c’est parce qu’ils sont avant tout le fruit de notre travail. Sublimation de nos paysages, réunissant le geste humain et la matière vivante, la créativité et la science de la vie. Le travail de l’homme dans ses jardins atteint son apogée.

Le jardin comme école de philosophie

Le jardin comme école de philosophie
Le jardin comme école de philosophie

« Il faut cultiver son jardin » disait Voltaire dans Candide. Par l’exercice du travail de la main, simple et satisfaisant, nous pouvons entretenir un bonheur qui ne se détruit pas. Symbiose entre corps et esprit, harmonie de l’existence dans le temps qui passe. En enracinant la nature nous devenons témoins de sa longévité. Nous en sommes tout autant les créateurs que les spectateurs. La nature devient notre plus familière compagnie. Nous y croisons des êtres vivants anonymes. Ceux là même avec qui nous partageons l’essence de cette familiarité. Et dans un monde que l’on peut, enfin, ralentir à notre guise. Figure de la patience et du temps-long, le jardin nous rapproche d’une réflexion contemplative avant d’être intellectuelle. Le mental détaché, ce sont nos sens qui nous guident et inspirent la sagesse des lieux.

le jardin c’est de la philosophie rendue visible 

Orsenna

Les jardins japonais sont la parfaite représentation de cette idylle méditative

Jardin de Kenrokuen, Japon. Crédits @Marine Robert
Jardin de Kenrokuen, Japon. Crédits @Marine Robert

L’harmonie entre les végétaux, l’eau, le sable, la pierre (éléments essentiels du jardin japonais). Tout y est autant travaillé que le caractère unique de sa conception et de ses ornements. Entre silences et doux parfums, ombres voilées et minutieux reflets de lumière, couleurs et matières infinies. En ressort alors une complexité extraordinaire, qui n’est autre que l’expression de la nature elle-même. Nous y trouvons l’équilibre dans la dissymétrie, la beauté dans la sobriété et la tranquillité ultime au cœur d’une vie urbanisée.

Jardin de Suzhou, Chine (Crédits @Pixabay)
Jardin de Suzhou, Chine (Crédits @Pixabay)

“Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas ” enseigne Lao-Tseu, figure ancienne de sagesse chinoise. Les jardins classiques en Chine, lieu de prédilection des grands intellectuels, sont imprégnés de la philosophie Taoïste, et en transmettent les grands principes. En suivant la nature comme un guide, l’homme peut revenir à sa propre nature. Représentant l’harmonie avec l’univers, l’art du jardin chinois suit les principes du Feng Shui. Il y provoque la circulation positive du qi ; énergie vitale universelle. En se tournant vers l’action et vers sa vie intérieure, l’homme préserve la simplicité de l’existence. Il se tourne alors vers la quête de son bonheur, et de sa réussite spirituelle…

Le jardin comme paradis sur Terre

Jardins persans : aux rivages de l’Eden

Jardin persan : Eram en Iran
Jardin persan : Eram en Iran

Le jardin fait partie de nos mythes et croyances les plus anciennes. A l’origine le mot paradis vient de la racine persane « pardis », ce qui signifie « beau jardin enclos derrière des murs ». Les jardins persans, six mille ans plus tard, sont toujours des trésors de l’humanité. Neuf d’entre eux sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, tels les jardins Eram et Dolat Abad en Iran.

Lieux privilégiés, de recueillement et de méditation, les jardins perses antiques apportent aux hommes une force indispensable face à l’hostilité de leur environnement. Ils se divisent en quatre rectangles représentant les symboles de l’univers : le ciel, la terre, l’eau et les végétaux. Richesse sacrée dans les paysages désertiques, l’eau y joue un rôle essentiel. Telle un mirage issu de l’imaginaire, elle circule à travers la verdure. Les visiteurs peuvent en savourer la beauté, la musique et la fraîcheur. Le jardin établit le lien entre monde matériel et monde céleste. C’est ainsi qu’il révèle le potentiel et le pouvoir secret de la nature sur notre corps et notre esprit.

Éléments naturels et artificiels se fondent dans le jardin persan pour créer une réussite artistique unique reflétant les idéaux des concepts artistiques, philosophiques, symboliques et religieux

Unesco

Jardins monastiques : et Dieu fit don de la nature

Les jardins du Prieuré d’Orsan
Les jardins du Prieuré d’Orsan

Au Moyen Âge, ce « paradis » a été réinventé sous la forme du cloître. Incluant alors une galerie autour de laquelle circulent les moines en communion avec le ciel. Dieu est au centre de la représentation des jardins monastiques médiévaux. Lieu de méditation, de repos, de culture, la nature y est perçue comme un symbole de divinité. Fonctionnel, le jardin monastique subvient aux besoins alimentaires des moines ; les herbes potagères y sont perçues comme des symboles d’humilité. Les plantes médicinales y sont également très présentes. Bien connues par les moines, ils voyaient en leur existence une apparition de Dieu lui-même. Dans ces jardins de sérénité absolue, le divin s’exprime dans chaque rose, chaque légume ou chaque plante aromatique… plaçant l’humain en humble et dévoué consommateur.

Faire pousser des plantes suppose beaucoup d’attention et d’humilité. Il faut accepter les lois de la nature, apprendre à respecter les rythmes naturels, y compris chez ses frères. C’est une sorte d’écologie de l’âme

Dom Thierry Barbeau, de l’abbaye bénédictine de Solesmes

Le jardin comme œuvre historique

Jardin d'Etretat
Jardin d’Etretat

Combien est beau ce jardin, ce jardin où les fleurs de la terre rivalisent d’éclat avec les astres des cieux.

À cette vasque d’albâtre pleine d’une eau cristalline, que peut-on comparer ?
Seule la lune dans toute sa splendeur, brillait au milieu de l’éther sans nuage. 

Washington Irving – Contes de l’Alhambra

Les jardins inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco représentent une valeur universelle et exceptionnelle. Ils illustrent l’évolution des modes de pensées des civilisations dans le temps. Au même titre qu’une œuvre d’art dans un musée, la valeur historique et patrimoniale du jardin doit être protégée et conservée à travers les âges.

Les jardins italiens et la pensée humaniste

Villa d’Este - Crédits @Pixabay
Villa d’Este – Crédits @Pixabay

Les jardins italiens témoignent du début de l’époque de la Renaissance. La fin de l’ère médiévale et le retour aux fondements philosophiques antiques. Par ce nouveau mouvement intellectuel et artistique, l’homme s’attache à la culture et à son environnement pour construire sa pensée. Beaucoup moins influencés par la religion, les jardins s’affranchissent de leurs enclos pour s’ouvrir sur les paysages qui les entourent. De magnifiques terrasses offrent de larges perspectives sur les collines environnantes. Des végétaux taillés et géométriques encadrent les somptueux décors naturels, tandis que des rangées de statues rappellent la mythologie antique.

La Renaissance marque en outre l’essor de l’expérimentation de nouvelles disciplines scientifiques, notamment celle de la botanique. Le premier jardin botanique du monde a été créé à Padoue, en Italie, en 1545. Lieu de rencontres des savants, étudiants et scientifiques, les six mille espèces qui le composent, issues du monde entier, soignent les maux depuis plus de mille cinq cent ans. Berceau de l’essor de la médecine et de l’écologie, il continue aujourd’hui d’inspirer la recherche scientifique en œuvrant pour la conservation et la protection de la biodiversité.

Le Jardin botanique de Padoue est à l’origine de tous les jardins botaniques du monde et représente le berceau de la science, des échanges scientifiques et de la compréhension des relations entre la nature et la culture

Unesco

Le jardin à la française et la pensée cartésienne

Jardins de Versailles (Crédits @Pixabay)
Jardins de Versailles (Crédits @Pixabay)

L’art du jardin italien a fortement inspiré André Le Nôtre et l’essor du jardin à la française. Peintre à ses débuts, André Le Nôtre a porté le paysagisme au rang d’art. Notamment grâce aux commandes de Louis XIV : les jardins de Versailles, de Vaux le Vicomte et de Chantilly. Il fait naître l’art du jardin à la française, et va inspirer de nombreuses monarchies européennes. Lieux de vie de cour et théâtres improvisés de la société, ils illustrent l’excellence royale, sa finesse et son goût, et la rendent visible et admirable par tous. La conception de ces jardins a été pensée pour démontrer la puissance absolue de l’homme et son rapport de force sur la nature. Géométrie, rigueur et multiples perspectives : les mathématiques règnent sur l’horizon naturel.

Le jardin à l’anglaise et la pensée fantaisiste

Jardin anglais, place au romantisme
Jardin anglais, place au romantisme

A la fin du XVIIIe siècle, l’Angleterre initie un basculement de cette conception formelle et rigide. Elle prône alors une tout autre vision de l’art du jardin. Romantisme, poésie, singularité… Les jardins anglais sont propices à l’imagination et symboliquement opposés à l’esthétisme des jardins à la française. La nature y reprend ses droits de hasard, de désordre et de spontanéité. Favorisant l’introspection des visiteurs, chacun y est libre d’y voir son propre dessin, et d’en tirer ses propres interprétations…

Le jardin comme modèle d’inspiration

Sans doute rares sont, en effet, les arts qui rassemblent autant d’énergies créatives, aussi variées, aussi complémentaires, mais aussi autant de savoirs, de techniques et de corps de métiers différents, et ce sont ces raisons qui font que le jardin peut-être considéré comme un « Gesamtkunstwerk », c’est à dire une œuvre d’art totale, réunissant tous les autres arts.

Chantal Colleu-Dumond, directrice du domaine régional de Chaumont-sur-Loire

Recherche d’une beauté éphémère

Jardin de Giverny
Jardin de Giverny

Nombreux sont les artistes à s’être inspirés de la poétique des jardins. Le jardin de Monet à Giverny est un chef-d’œuvre tout autant que le sont ses tableaux. La contemplation de la nature étant son sujet de peinture absolu. La nature a particulièrement d’importance dans le courant impressionniste. Les artistes favorisent la peinture à l’air libre sur chevalet, laissant de côté le travail en atelier. Ils se reconnectent ainsi avec la contemplation des paysages. L’art impressionniste est profondément subjectif ; l’artiste peint librement sa propre perception de la nature. Il capture l’instant présent, l’harmonie immédiate des formes et des couleurs, et traduit la sensation instantanée qu’il procure… Son regard est unique, le paysage le devient aussi.

Qu’y a-t-il à dire de moi ? Que peut-il y avoir à dire, je vous le demande, d’un homme que rien au monde n’intéresse que sa peinture — et aussi son jardin et ses fleurs

Claude Monet

La nature comme expérience vécue

Jardins de Chaumont-sur-Loire (Crédits @Marine Robert)
Jardins de Chaumont-sur-Loire (Crédits @Marine Robert)

Comment lier l’art et la vie ? C’est la question qui fait naître le Land Art. Une nouvelle forme de création, née dans les années 70 aux Etats-Unis. Fondée sur l’utilisation de la nature comme base de l’œuvre d’art, le Land Art laisse de côté la pratique traditionnelle du chevalet. Bouleversant les codes de création artistique de l’époque, ses artistes prônent un art non monétaire et non muséal, accessible à tous. En émergent des jardins des plus extraordinaires, où les œuvres se fondent avec les éléments naturels, soumises au même titre aux conditions climatiques, et en deviennent des symboles d’existence éphémère et de vulnérabilité

Dans les jardins du Domaine de Chaumont-sur-Loire, sont exposées chaque année des créations originales d’artistes cherchant à dialoguer avec la nature et la transfigurer.

Plus que jamais d’actualité dans notre XXIe siècle

Pivoines protégés par des parapluies, Japon (Crédits @Marine Robert)
Pivoines protégés par des parapluies, Japon (Crédits @Marine Robert)

Ces valeurs existentielles de la nature deviennent une conscience nécessaire. Alors que l’humanité fait face aux multiples menaces écologiques. Que nous tentons d’adopter des vies plus responsables et respectueuses de l’environnement. Le jardin peut être considéré comme un modèle. Poumons verts dans nos vies polluées, exemples de simplicité, nos jardins peuvent être cultivés par tous, partout, et chaque jour.

Le jardin de tous, le jardin de chacun

Incarnations de nos rêves et de notre quête de bonheur, les jardins sont les refuges de nos esprits tourmentés. Nous pouvons considérer que le jardin est en soi un miracle. Un bonheur de l’instant présent, une récompense permanente, un paradis bien réel. Il nourrit, soigne, et remplit tous nos sens d’un bonheur simple et accessible à tous. Le paradis existe bien, mais il est là sous nos yeux. Qu’on le contemple ou qu’on y contribue, qu’on l’imagine ou qu’on le réalise. A défaut d’en être éloigné, chacun est aussi libre de cultiver son jardin secret, cachette de nos pensées les plus intimes et parfois inavouées…

Le grand art du jardin est ce par quoi une civilisation cherche, non point à copier la nature, mais à se servir des éléments qu’elle lui fournit pour exprimer sa conception la plus haute du bonheur

Benoist-Méchin, l’homme et ses jardins ou les métamorphoses du Paradis terrestre

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Par  Marine Robert

Parisienne, libre et spontanée, elle a décidé de prendre la vie comme une aventure en provoquant l’inattendu. Férue d’art vivant et de débats culturels, son parcours lui apporte l’émotion et l’intensité qu’elle recherche. Au service de la diversité, elle aime croiser les regards, explorer les alternatives, et partager son optimisme.

1 Comment

  1. MME LAVALLETTE BRIGITTE Répondre

    Très bel article pour les gens sensibles à la beauté et la contemplation comme moi,je connais Giverny,Versailles,Vaux le Vicomte,les Jardins de Marcoussis à côté de Toulouse,les magnifiques jardins de Chaumont sur Loire avec des oeuvres artistiques insérées aux jardins qui les rendent encore plus mystérieux où fantaisistes bref que de splendeurs

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