Clash entre les deux écosystèmes générationnels présumés du rap game francophone, aux publics en apparence bien distincts. C’était (vraiment) mieux avant ?

Deux écoles de rap français coexisteraient difficilement sur la scène hexagonale

Celle des vétéran.e.s, portée par Don Choa, Dee Nasty, Joey Starr, Kery James, Akhenaton ou encore Oxmo Puccino dans les années 90 ; et celle des plus jeunes menée entre autres par Nekfeu, PNL, Damso, Jul, Lacrim, SCH et Ninho, à partir des années 2010.

L’ancienne génération du rap français semble invalider ce qu’incarne et raconte son homologue contemporaine. Plus désinvolte, cette dernière n’aurait pourtant que faire de sa bénédiction. Toutes deux sont respectivement convaincues d’incarner le “vrai” rap français, si tant est qu’il en existerait une définition unique.

En se démocratisant, la discipline du rap s’est en effet fractionnée

Diversifiée. De telle sorte qu’il est difficile d’opposer le rap à l’ancienne à une seule typologie de rap actuel. Toutefois, arrêtons-nous sur les 5 clivages les plus marqués qui divisent les deux écoles et tentons d’y voir plus clair. À ma gauche, le rap old school. Et à ma droite la nouvelle école.

Rap conscient vs. rap inconscient 

 « On est loin de notre époque, les morceaux ne sont plus engagés » déplore le rappeur LIM dans une interview accordée à DEM’S Média.

Sur ce point, l’ancienne génération semble invectiver collectivement la nouvelle scène du rap francophone. Il y aurait selon elle, un basculement des sujets traités dans leurs morceaux.

L’étendard des problèmes de société liés à l’insurrection, à la misère sociale, à toute forme de xénophobie et d’injustice qu’elle brandissait haut et fort dans les années 90, n’est plus levé par leurs héritier.e.s. Lesquel.le.s préfèreraient s’étendre sur la drogue, le sexe, l’argent et la fame.

Moins directs qu’un “Nique la police”, les discours des rappeurs et rappeuses contemporain.e.s en sont-ils pour autant moins politiques ?

Si on gratte le vernis des punchlines faciles, on s’aperçoit qu’il n’y aurait pas tant un délaissement des sujets de fond qu’un changement de perspective et de manière de révéler les dysfonctionnements évidents qui animent la société. On passe du premier degré, au second. Voire au troisième.

Aussi, Ademo et N.O.S de PNL ne parlent pas seulement de ganjas et de banditisme. Ils racontent leur quotidien dans les cités, entre culpabilité du deal et envie d’évasion.

Cette rupture qui se dessine entre les deux générations serait ainsi essentiellement corrélée à la forme. Le nouveau rap français est fictionné. Parfois absurde, à la Vald. Parfois caricatural, à la Niska. 

Les rappeurs et rappeuses de la nouvelle école expliquent d’ailleurs souvent revêtir le costume d’un personnage, tant dans leurs textes que dans leurs clips. Et que la violence dont ils ou elles font preuve parfois, se veut être le reflet imagé de leur propre réalité.

Rap littéraire vs. rap nébuleux 

La nouvelle scène du rap français serait-elle aussi pauvre en idées qu’en textes ?

On regarde souvent d’un mauvais œil ce que l’on peine à comprendre ; or certains textes des musiques urbaines actuelles nécessitent souvent une grille de lecture.

Argot de cité, néologismes, verlan, onomatopées, mots étrangers… Riche d’influences diverses et d’éléments de langage qui leur sont propres, les artistes du rap d’aujourd’hui et leurs textes codifiés déstabilisent les néophytes.

Et si le champ lexical, cryptique pour les non initié.e.s, de la révélation du rap indé témoignait de la richesse du vocabulaire banlieusard ?” s’interroge Bettina Ghio, docteure en langue et littérature française, auprès de Télérama.

Après tout, côté outre-atlantique, il semblerait que les rappeurs du Wu-Tang aient plus de vocabulaire que Shakespeare. Les français.e.s ne sont pas en reste.

À l’instar de certain.e.s poètes romantiques dont les vers ne sont pas si facilement accessibles, la nouvelle génération du rap français accorde aussi une grande importance à la musicalité des mots. Les textes sont donc plus imagés, plus métaphoriques et en apparence moins consistants.

Des mots qui sont souvent transportés par des prod’ plus travaillées, parfois entraînantes, parfois planantes. Et qui font appel à l’imagination d’un auditoire qui n’a pas nécessairement besoin de tout comprendre pour apprécier. 

Rap indépendant vs. rap commercial 

Avant réservé à quelques initié.e.s, le rap est désormais ouvert à un public plus large. Et comme toute discipline qui se popularise, il s’industrialise.

Le rap est aujourd’hui la première musique écoutée en France. Le genre musical vit un véritable âge d’or : il pulvérise les records de vente d’albums et les écoutes en streaming.

Ainsi, les labels en ont logiquement flairé le potentiel business. Beaucoup d’artistes émergent.e.s signent rapidement en maison de disques. Avec cette accélération, son lot d’avantages. Et d’inconvénients.

En donnant un cadre et des directives à un format qui se veut par essence libre, ils sont accusés de participer au formatage des créations musicales hip-hop. Lesquelles finiraient par toutes se ressembler, pour le bien des objectifs commerciaux.

Cette critique est souvent attribuée à un courant bien particulier du rap. Celui qui domine le marché : la trap. Kaaris, Dosseh, Gradur, Niro, Joke, Booba… Les grosses têtes d’affiche du rap français en ont tous repris les codes dans leurs albums.

D’un autre côté, le spectre musical du rap francophone n’a jamais été aussi riche. Cette scène est de plus en plus hétéroclite. Et c’est tant mieux. Bien qu’elles soient encore trop sous-représentées, de plus en plus d’artistes féminines émergent, à l’image de Meryl ou de Chilla.

Enfin, le hip-hop français se fait aussi connaître à l’international et inspire notamment ses collègues européen.ne.s. Des artistes comme Sfera Ebbasta, Capo Plaza ou encore Kidd Keo, pointures du rap italien et espagnol, tiennent la scène musicale française en haute estime.

Rap collectif vs. rap égoïste

Autre débat. Au-delà des sujets traités au sein des titres de musiques urbaines, l’intention des artistes ne serait plus la même qu’auparavant.

Le rap passerait d’un moyen d’expression, capable de représenter et de toucher un auditoire, à un moyen de… faire son trou.

Selon les puristes du rap, les artistes de la scène émergente penseraient donc en priorité à être vu.e.s, à gagner de l’argent et des followers, plutôt qu’à faire de la musique nihiliste dont ils et elles ne seraient que les humbles porte-paroles.

Alors, faire du rap dans le seul but d’en faire présente-t-il un quelconque intérêt ? Certainement. Notamment s’il incarne une échappatoire à un quotidien parfois morose. Morose (ouais, ouais).

Sur ce sujet, Oxmo Puccino confie d’ailleurs : « il y a en quelque sorte deux milieux parallèles aujourd’hui. Tout le monde reste sur l’affiche. Moi, je suis derrière l’affiche. »

C’est sans oublier le fossé générationnel qui sépare les deux écoles. La motivation première d’une promotion de rappeurs et rappeuses n’est certainement pas la même quand elle contribue à importer le genre dans l’hexagone, que quand elle a été bercée par un collectif d’artistes bien installé.e.s.

Face à une concurrence toujours plus accrue, les artistes galèrent pour se faire une place dans le rap game. Et l’avènement des réseaux sociaux génère aujourd’hui autant de pression que d’opportunité de percer ; à tel point qu’ils sont même devenus un des critères majeurs de la crédibilité d’un artiste.

Rap brut vs. rap autotuné

Le nouveau rap semble se parer d’artifices, tant sur le fond que sur la forme. Dernier différend qui oppose les deux écoles, et pas des moindres : l’Auto-Tune.

C’est à Booba et son album Lunatic sorti en 2010, que l’on doit l’acceptation définitive de ce correcteur de tonalité vocale dans le rap français. Depuis, il est devenu quasiment incontournable dans les nouvelles productions hip-hop.

Pourtant, il fait toujours autant débat. Les détracteurs et détractrices de l’Auto-tune voient en lui le simple outil correctif, qui viendrait porter secours à des artistes ne sachant pas réellement poser leur voix.

À ce propos, Andy Hildebrand, le créateur du logiciel Auto-Tune, confiait au journaliste Simon Clair : « Dire que corriger la justesse d’une voix est une forme de tricherie revient à dire que le maquillage est une façon de tricher. Qui suis-je pour juger ?

Plus qu’un correcteur, l’Auto-Tune a aujourd’hui une véritable fonction artistique.

« Le rap actuel privilégie la voix comme un instrument », explique l’auteur du livre Regarde ta jeunesse dans les yeux, la naissance du hip-hop français, 1980-1990, Vincent Piolet à Libération.

De même, il est souvent accusé d’apporter sa pierre à l’édifice quant à l’uniformisation des créations musicales rap. Or, comme tout instrument de musique, le résultat dépend bien évidemment de celui ou celle qui le manie.

L’Auto-Tune est comme beaucoup de paramètres de la production musicale, un outil. Capable de se mettre au service de la créativité de l’artiste et de sublimer un morceau de rap.

Et finalement ?

Le débat n’est évidemment pas seulement français

En pointant du doigt ce schisme générationnel, la communauté rap ne contribue-t-elle pas à mettre dans des cases un art qui aspire à s’en affranchir ? Le rap s’est diversifié et sa palette contemporaine est riche d’artistes aux générations, aux codes, aux techniques, aux influences, aux vécus différents. Plutôt que de désigner laquelle des deux écoles remporte cette battle, rassemblons-nous sur ce que tout ce que la première industrie musicale français a et continue d’apporter : la liberté de créer et de rassembler.

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Par  Charlotte Combret ,

Rédactrice web SEO indépendante, j’aime creuser des sujets et soulever des questions. Aussi bien adepte de la prose de Mona Chollet que de celle de Damso, mes articles sont souvent le fruit d’influences culturelles très diverses. Utopiste et hypersensible, mon écriture se veut avant tout inclusive, dans tous les sens du terme.

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