Focus sur Marie Ndenga Hagbe, chargée des relations presse et médias de l’organisme Survival International.

Survival International, dédié à la protection des peuples autochtones à travers le monde nous donne l’occasion de mettre en lumière la situation critique des peuples natifs d’Amazonie et la destruction croissante du poumon vert de la planète.

Déforestation dans le territoire autochtone d'Arariboia.
© Sarah Shenker/Survival International
Déforestation dans le territoire autochtone d’Arariboia.
© Sarah Shenker/Survival International

Bonjour Marie, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Je suis Marie Ndenga Hagbe. J’ai été journaliste pendant trois ans et demi au Brésil pour France 2 et France 24. J’ai fait des études pour travailler en ONG dans le domaine de la solidarité et de l’humanitaire. Depuis un an, je travaille à Survival International. Survival International est la seule organisation dédiée à la défense de peuples autochtones. Défendre les droits des peuples autochtones c’est aussi défendre le droit à la diversité. C’est se battre contre le racisme, défendre l’écologie et l’environnement et préserver la biodiversité. C’est une organisation globale. Actuellement, je suis chargée des relations presse et médias à Survival International francophone. Je réponds à des interviews, je communique sur les réseaux sociaux. Parfois, j’écris des tribunes et on organise des conférences.

Des Indiens non contactés au Brésil vus du ciel lors d'une expédition du gouvernement brésilien en 2010
© G. Miranda/FUNAI/Survival International
Des Indiens non contactés au Brésil vus du ciel lors d’une expédition du gouvernement brésilien en 2010
© G. Miranda/FUNAI/Survival International

Quelles sont les missions de Survival International ?

On se définit comme un mouvement et on travaille en partenariat avec des peuples autochtones afin d’amplifier leur voix et leurs poids sur la scène internationale. Le but c’est de changer radicalement la société en mobilisant l’opinion publique et faisant pression sur les gouvernements, les organisations et les grands décideurs. Il y a plusieurs piliers dans nos missions. D’abord, l’indépendance. On ne reçoit aucun argent public, aucun argent du gouvernement et des grandes entreprises qui pourraient violer le droit humain pour garder toute notre intégrité. L’autre pilier, ce serait l’alliance car ça fait 51 ans qu’on travaille et on a des relations fortes avec plus d’une centaine de communautés autochtones dans le monde. Nos enquêtes sont effectuées par nos chercheurs qui partent sur le terrain. Il y a aussi le plaidoyer : des activités de lobbying et de mobilisation de l’opinion publique avec les médias, les réseaux sociaux.

Survival a été l’une des premières à recourir à l’envoi massif de lettres au gouvernement. La signature des pétitions et l’envoi de mails sont des actions qui fonctionnent au sein de campagnes globales (plaidoyer, recherches…)

Un exemple de campagne menée ?

L’une de nos campagnes, consiste à empêcher la création d’une aire protégée dans le bassin du Congo, à Messok Dja. L’aire protégée allait se faire sans le consentement des peuples autochtones qui en plus subissaient des violences s’ils voulaient retourner sur leurs terres. Avec les Baka, on a donc fait pression sur les grands bailleurs en dénonçant ce qui s’est passé. L’UE et l’ONU ont fini par retirer leurs financements. Nos campagnes sont essentiellement basées sur de la recherche et de la mobilisation de l’opinion publique et c’est comme ça qu’on fait en sorte de faire changer l’opinion publique sur les peuples autochtones. On travaille avec des organisations brésiliennes comme l’APIB et Hutukara.

Famille awá.
© Sarah Shenker/Survival International
Famille awá.
© Sarah Shenker/Survival International

Vos campagnes ont-elles des effets visibles ?

Notre campagne Messok Dja a très bien fonctionné. Le gouvernement américain a décidé à l’avenir qu’ils allaient faire attention dans leur attribution de fonds aux organisations. L’ONU et l’UE ont retiré leurs financements au projet. On a participé à la délimitation du plus grand territoire autochtone qui est le territoire Yanomami en 1992 avec une organisation Yanomami. Ces campagnes ont mis du temps à porter leurs fruits. C’est un travail de longue haleine. Le but c’est de changer durablement l’opinion publique sur des peuples autochtones qui n’est pas un peuple arriéré. Il y a aussi des petites victoires. Les gouvernements et l’opinion publique comprennent de plus en plus cette importance de protéger les territoires autochtones.

Actuellement, quelles sont vos actions pour défendre les communautés au sein de l’Amazonie ?

On a une campagne qui s’appelle « Stoppez le génocide au Brésil ». Bolsonaro est ouvertement anti-autochtone. Il a déclaré la guerre à ces peuples et montre son soutien aux géants de l’agrobusiness responsables de la déforestation. Il encourage le vol des territoires et au contact forcé. Les peuples autochtones sont fragilisés par ses lois alors qu’elles l’étaient déjà avant. Ils doivent affronter les invasions depuis toujours mais le mandat de Bolsonaro a encore renforcé cela. Les invasions ont augmenté de 135 % en 2019 et la déforestation a atteint le triste record de plus 11 000 km² entre août 2019 et juillet 2020.

On travaille beaucoup avec les Gardiens de l’Amazonie comme Paulo Paulino qui a été tué en 2019. Cela montre comment les populations autochtones travaillent et leurs luttes quotidiennes pour protéger la forêt. On appelle aux gens à les soutenir. On a aussi réussi à demander avec d’autres organisations le renvoi du missionnaire Ricardo Lopez Dias à la tête du département des Indiens non contactés de la Funai, placé par le gouvernement de Bolsonaro. Il était pro-contact. Il a été renvoyé deux fois.

Olimpo Guajajara, Gardien de l'Amazonie. Territoire autochtone d'Arariboia.
© Sarah Shenker/Survival International
Olimpo Guajajara, Gardien de l’Amazonie. Territoire autochtone d’Arariboia.
© Sarah Shenker/Survival International

On a également une action qui est de demander à toutes les grandes enseignes et plus particulièrement Carrefour et Casino en France qu’ils n’achètent pas des produits alimentaires au Brésil issus de la déforestation.

Au Pérou on travaille notamment pour demander la protection des territoires des peuples non contactés et avec les Ayoreos au Paraguay. On a des chargés de campagne pour chaque région. Ce sont les chercheurs qui vont sur place.

Que penses-tu de la situation actuelle de l’Amazonie ?

C’est vraiment grave. La forêt Amazonienne est dévastée. La cause principale est humaine. Ce sont des personnes qui brûlent les forêts. Dans de nombreux pays d’Amazonie, les gardiens sont harcelés et assassinés parce qu’ils défendent leurs terres. Les organismes gouvernementaux ne font presque rien pour les protéger. Bolsonaro a tout fait pour affaiblir ces organismes de protection de la forêt : travailleurs sur le terrain et experts. Il a réduit le budget ce qui les a beaucoup affaiblis. Certains scientifiques alertent pour que les choses se fassent maintenant. Le gouvernement a même organisé des faux voyages pour montrer que l’Amazonie ne brûle pas voire pour accuser les peuples autochtones de brûler eux-mêmes la forêt.

Les conséquences de la déforestation sont quantifiables car il y a des instituts dont l’Institut de recherche spatiale brésilien qui dresse régulièrement des constats. Il y a 34 % de déforestation en plus par rapport à la saison précédente. La déforestation en Amazonie est démontrée. En matière de feux, par exemple, 11 000 kilomètres carrés sont partis en fumée soit la taille d’un pays comme le Qatar et le Monténégro. Le plus haut pic depuis 2008.

Des photos prises depuis le ciel au-dessus de l'Amazonie brésilienne en 2008 montrent l'installation d'un peuple non contacté.
© G. Miranda/FUNAI/Survival International
Des photos prises depuis le ciel au-dessus de l’Amazonie brésilienne en 2008 montrent l’installation d’un peuple non contacté.
© G. Miranda/FUNAI/Survival International

Le COVID touche-t-il de plein fouet les communautés autochtones ?

Bolsonaro nie complètement la pandémie. Ces populations sont plus sensibles au COVID pour de nombreuses raisons. Lors du premier contact, elles ont été décimées à plus de 90 %.  Certains ont développé des maladies respiratoires. Ils sont aussi loin des organismes de santé et n’ont pas les moyens financiers pour développer leurs propres moyens. Bolsonaro a même fermé un programme qui permettait à des médecins d’être dans les zones les plus reculées notamment là où vivent ces populations autochtones. Le gouvernement ne leur a pas non plus donner accès aux tests et aux masques.

Est-ce que les précédents gouvernements au Brésil étaient plus conciliants avec ces populations ?

Les autres gouvernements n’étaient pas anti-autochtones. Ce qui est foncièrement le cas avec Bolsonaro même s’il y avait déjà une invasion sur les terres vues qu’il y avait déjà des bûcherons et des éleveurs en Amazonie. Bolsonaro affiche clairement son soutien aux exploitants, éleveurs, bûcherons et à l’agro-industrie. Il considère que l’Amazonie est une perte : trop de territoires sans habitants ou exploitations. Sans compter que les envahisseurs de terre ou les orpailleurs ont l’impression d’avoir l’aval du gouvernement. Ce qui entraîne un sentiment d’impunité. La plupart des meurtres ne sont pas résolus. Et il est rare qu’ils doivent s’expliquer devant la justice.

Des mineurs d'or travaillent illégalement sur les terres des Yanomami, Brésil, 2003.
© Colin Jones/Survival International
Des mineurs d’or travaillent illégalement sur les terres des Yanomami, Brésil, 2003.
© Colin Jones/Survival International

Y a-t-il des pays qui ont essayé de contrer Bolsonaro ?

Pas grand monde n’essaie mais des pays tentent actuellement de bloquer les accords du MERCOSUR. A l’échelle internationale, ce sont vraiment les associations qui luttent contre sa politique. Les populations autochtones se retrouvent à devoir elles-mêmes se défendre.

Que peut-on faire pour réduire la déforestation ?

Il faut rejoindre les campagnes des organisations comme Survival International pour soutenir les communautés autochtones. Il faut envoyer des mails et qu’on en parle autour de nous. Et vérifier la provenance des produits qu’on achète que ce soit le soja ou le bois dur. Il y a beaucoup d’organisations de peuples autochtones au Brésil comme l’APIB qui demande aux supermarchés de ne pas acheter des denrées alimentaires quand la chaîne d’approvisionnement ne peut pas être certifiée. Casino et Carrefour ont justement été accusés de ça.

Quelles régions de l’Amazonie sont les plus touchées ?

Il y a le Para et la région du Mato Grosso au Brésil. Le pire c’est la déforestation du Para où il y a eu la plus importante perte de forêt d’août 2019 à juillet 2020. Une des raisons est que ce sont des régions liées à l’agrobusiness. En Colombie aussi, on observe une déforestation notable car leur président a une politique similaire à Bolsonaro. 

Globalement dans le monde il y a toujours des problèmes avec les défenseurs de l’environnement. Il y a un rapport qui est sorti sur le nombre de meurtres de défenseurs de l’environnement : en 2019, c’était l’année la plus meurtrière pour eux. Les deux principaux pays concernés par ces meurtres étaient la Colombie et les Philippines.

Quand cette déforestation a démarré d’après toi ?

Avec Survival, on a commencé nos missions en 69 à Londres à cause du génocide qui avait lieu contre les peuples autochtones d’Amazonie. Ça fait beaucoup d’années que ça dure car ce sont des territoires riches en biodiversité. Depuis la colonisation, il y a une volonté d’investir ces territoires-là.

En Amazonie, il y a toujours eu des ruées vers l’or ainsi que des ruées vers le caoutchouc. Dans les années 80, le gouvernement a souhaité construire une autoroute en Amazonie qui traversait les territoires Yanomami. Leur situation est grave : 80 % de ce peuple est mort à cause des maladies transmises.

Des femmes et des enfants yanomamis se reposent dans un jardin forestier, au Brésil. Les Yanomami cultivent environ 60 plantes dans ces jardins, qui représentent 80 % de leur alimentation.
© Fiona Watson/ Survival International
Des femmes et des enfants yanomamis se reposent dans un jardin forestier, au Brésil. Les Yanomami cultivent environ 60 plantes dans ces jardins, qui représentent 80 % de leur alimentation.
© Fiona Watson/ Survival International

Que peux-tu nous dire sur la biodiversité en Amazonie ?

Il y a une incroyable diversité. Comme tu le sais la forêt amazonienne a un rôle majeur dans la diminution du réchauffement climatique car elle absorbe les gaz à effet de serre. Il y a aussi 80 % de la biodiversité mondiale qui se trouve en territoire autochtone. C’est prouvé, ce n’est pas un fantasme. Quand tu regardes les images satellites, les territoires les mieux préservés sont ceux sous contrôle autochtone. Si on veut conserver cette biodiversité, il faut donc sécuriser les territoires autochtones. L’orpaillage pollue les cours d’eau et empêche ces peuples de vivre de la pèche. Les Yanomami ont une connaissance très forte de la biodiversité : ils peuvent utiliser des milliers de plantes en un jour pour cuisiner ou se soigner.

Quel est le rôle de la France dans cette déforestation ?

La France continue l’exploitation d’or comme en Guyane. Elle n’a pas non plus signé la convention 169 de l’organisation internationale du travail relative aux peuples autochtones et tribaux de l’UNESCO. Nous, on demande que la France la signe. Cela permettrait de faire reconnaître les droits de ces populations face à des projets comme « Espérance » (nouveau nom pour « la Montagne d’Or »). Ces peuples n’ont pas non plus de bases juridiques suffisamment fortes alors que tous les pays frontaliers de l’Amazonie, ciblent leurs ressources.

Que penses-tu des nouvelles technologies pour contrer cette déforestation ?

C’est super car les peuples autochtones peuvent surveiller la forêt avec des drones et des GPS, la cartographier et donc se prémunir et se protéger plus vite.

Nous remercions Marie et Survival International pour nous avoir accorder son temps si précieux !

Vous souhaitez en savoir plus sur la défense des peuples autochtones, découvrez le parcours de Rigoberta Menchu !

Par Audrey Poussines,

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Journaliste web et print passionnée par les faits de société, la culture, l'environnement, le sport et bien d'autres rubriques. En matière de sport, je suis très intéressée par les sports extrêmes. Je suis aussi une fan d'art urbain et d'art moderne, de gastronomie du terroir et exotique, captivée par tout moyen d'expression : danse, littérature, musique...

1 Comment

  1. Brigitte Lavallette Répondre

    Que va rester à ma petite fille ??? Ses soi-disants Chefs de Gouvernement ne pensent qu’à s’enrichir personnellement….!!!

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