Aventurier audacieux, tyran sanguinaire, mystique illuminé : autant d’adjectifs opposés pour définir un seul homme. Levons le voile sur la légende noire de l’explorateur du Nouveau Monde.
Tour à tour courageux ou héroïque, cruel ou fanatique, Christophe Colomb est un personnage ambigu, indéfinissable. Navigateur téméraire à la recherche des Indes, il a découvert sans le savoir l’Amérique. Entré dans l’Histoire, il est devenu le héros d’une nouvelle ère, celle des Temps Modernes.
Cependant, au fil des siècles, sa légende dorée s’est peu à peu muée en légende noire. Il est aujourd’hui violemment critiqué pour avoir oppressé et massacré les peuples autochtones des Antilles et des Caraïbes. Sa personnalité complexe, marquée par un mysticisme religieux proche de la folie, ne plaide pas en sa faveur. Retour sur le parcours et la postérité d’un héros devenu accusé.
Le rêve d’une vie : atteindre l’Est par l’Ouest
Né à Gênes en 1451, Christophe Colomb est un aventurier des mers. Il rêve d’atteindre les Indes orientales (Chine et Japon) par une route jusqu’alors inconnue : celle de l’Ouest. En effet, la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453 empêche les Européens de rejoindre l’Orient via la Méditerranée. Un rêve audacieux…qui repose sur une grave erreur de calcul de la circonférence de la Terre ! Rejetant des évaluations plus réalistes, Colomb choisit de s’appuyer sur l’estimation de Marin de Tyr, géographe grec du Ier siècle. Ce dernier, en réduisant les dimensions de la Terre, imagine l’Asie bien plus proche de l’Europe qu’elle ne l’est en réalité.
Le projet de Colomb, jugé impossible, sera de nombreuse fois rejetée par le Portugal puis par l’Espagne. Cependant, après la prise de Grenade en janvier 1492, les souverains espagnols acceptent enfin de financer une première expédition.
À la recherche des Indes
Le 3 août 1492, Colomb, nouvel « Amiral de la Mer Océane », largue enfin les amarres. Direction les Indes ! Le 12 octobre 1492, le navigateur génois pose le pied sur une île des Bahamas. Persuadé d’avoir atteint les confins des Indes, il explore l’archipel caribéen à la recherche de métal précieux. A son retour en Espagne, Colomb est accueilli triomphalement et reçoit les subventions nécessaires pour monter une seconde expédition dès 1493.
Celle-ci marque le début de la colonisation des Caraïbes avec la construction de la ville d’Isabela sur l’île d’Hispaniola (Haïti). Colomb, malgré ses fonctions de gouverneur, ne cesse pas ses explorations. Au cours de deux autres voyages, en 1498 et 1502, il sillonne les Antilles et les côtes américaines. Il refuse de croire en l’existence d’un 4ème continent et cherche en vain les rives de la Chine.
Gouverner par la force
La colonisation du Nouveau Monde ne se passe pas sans heurts entre les colons espagnols et les peuples autochtones. Malgré de premiers échanges pacifiques, les relations se détériorent considérablement dès le retour des Espagnols aux Amériques. En tant que vice-roi des Indes et gouverneur d’Isabela, Colomb mène la vie dure aux Amérindiens : travail forcé, châtiments…
La cause d’un tel revirement de situation ? Le massacre de 39 marins rescapés du naufrage de la Santa Maria, au fort d’Hispaniola en 1493. Pour Colomb, le bon sauvage n’existe pas et il est nécessaire de gouverner ces « Indiens » par la force. Ses méthodes tyranniques, tant envers les Amérindiens que les Espagnols réfractaires, seront sévèrement critiquées de son vivant. En 1500, les souverains espagnols exigent l’arrestation et le retour de Colomb en Europe pour y être jugé.
Amener la foi au monde
L’aspect religieux se révèle être très important dans la personnalité de Christophe Colomb. La fin du XVème siècle est troublé par l’annonce de l’Apocalypse, c’est-à-dire l’avènement du Christ à la fin des temps. La prise de Grenade, qui marque la fin de la domination musulmane en Espagne, exacerbe le désir de délivrer Jérusalem. Et, du même coup, de chasser les Ottomans de Constantinople.
Nourri de lectures bibliques et de prophéties diverses sur la fin des temps, Colomb se croit investi d’une mission divine. Celle d’apporter la foi chrétienne en Asie afin de prendre en tenaille le monde musulman. Pour l’explorateur génois, les Indiens sont « des pages blanches sur lesquelles on vient inscrire le nom de Dieu ». Une inscription de plus en plus brutale au fur et à mesure de la colonisation espagnole… Le mysticisme de Colomb, proche de la folie, l’associe davantage aux croyances médiévales qu’aux Temps Modernes.
De héros à accusé : la postérité de Christophe Colomb
À sa mort en 1506, l’explorateur du Nouveau Monde est déjà une figure controversée. Cependant, dès le milieu du XVIème siècle, la responsabilité des exactions commises au sein des colonies est attribuée uniquement aux Espagnols. Colomb, d’origine italienne, n’est plus accusé mais seulement célébré pour sa découverte. Cette célébration connaît son apothéose au XIXème siècle sous la plume des poètes romantiques. Pour Hugo, Lamartine ou Heredia, Colomb incarne une âme libre qui s’affranchit des contraintes. Des voix s’élèvent même pour le faire béatifier !
Mais, dans les années 1970, c’est le début de la descente aux enfers. Pour le 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique, un procès s’ouvre à Fort-de-France qui condamne l’explorateur. Cinq ans plus tard, au Honduras, un deuxième procès se termine par l’exécution symbolique du navigateur génois. Aujourd’hui, Colomb tombe littéralement de son piédestal aux Etats-Unis et en Amérique centrale, où l’on déboulonne les statues le représentant sous le phénomène de la cancel culture.
Cinq siècles après sa mort, Christophe Colomb ne cesse d’intriguer et de diviser. Si on peut admirer son audace de navigateur, on critique ouvertement sa gestion tyrannique des colonies et le massacre des populations autochtones. Bien que ses actes soient entièrement condamnables, il est cependant intéressant de considérer le contexte dans lequel a vécu Colomb. Au XVème siècle, l’esclavage comme les conversions brutales n’étaient ni inconnus ni condamnés…
Difficile pour l’historien de juger à cinq siècles de distance. Mais cela ne le dispense pas d’enseigner les erreurs du passé afin qu’elles ne se reproduisent plus.
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Par Béatrice de Place,