Châtelet – Les Halles. Un ancien squat’, six étages, trente artistes, de la peinture du sol au plafond et des ateliers ouverts au public. C’est du mardi au dimanche de 13h à 20h au 59 Rivoli, et c’est tout de suite dans C’est comme la confiture.

Crédits : Podcast proposé par Cultur’easy
Concept de Marion Labbé-Denis
Écriture et Voix de Marion Labbé-Denis
Musique Originale de Lucas Beunèche
Montage & Mixage de Lucas Beunèche
Conseil artistique : Caroline Garnier
Production artistique : Elodie Bedjai

Moi, le 59 Rivoli, j’en avais entendu parlé maintes et maintes fois, mais je n’y avais jamais mis les pieds. Et pas parce que c’est “Un squat’ de marginaux”, même si c’est ce que j’avais entendu dire… Mais parce que je n’avais jamais pris le temps. Et puis, au détour d’un concert à Bastille, j’ai rencontré des gens qui y travaillaient. Oui, parce que oui, oui, ça bosse ! Et j’y ai vu un signe du destin. Je me suis dit qu’il était grand temps que j’aille y faire un tour.

Par contre, le samedi en fin d’après-midi, il ne faut jamais sortir du métro à Châtelet

Citymapper te dit prendre la sortie 13. Alors, tu suis les panneaux, tu descends un escalier. Tu longes un couloir, tu remontes un escalier, tu tournes à gauche, tu tournes à droite. Et puis de nouveau à droite, et là il y a plus de panneaux. Tu retournes en arrière, c’est pire qu’un demi-tour sur l’autoroute. Là, tu te prends des inconnus dans la figure parce que t’avais pas mis ton clignotant de piéton. Tu retrouves un panneau qui t’indique de tourner encore à droite et tu te dis “Non mais on se paie ma tête là. Elle existe pas cette sortie.” Mais tu finis par la trouver et tu sors de ce petit enfer en râlant.

Te voilà fin prêt à affronter les trottoirs de la rue de Rivoli un samedi après-midi.

Autant vous dire que quand tu n’as vu personne de la journée ça fait beaucoup beaucoup trop de gens d’un coup. Mais c’est pour la bonne cause ! Au beau milieu des enseignes commerciales qui clignotent dans tous les sens. Il y a un immeuble haussmannien presque comme les autres, mais pas tout à fait. La porte de cet immeuble, elle est grande ouverte. Et puis, il y a quelque chose qui diffère de l’ambiance générale de la rue de Rivoli. Quelque chose de plus chaleureux, de plus joli, de moins commercial aussi. Et pour cause !

Le 59 Rivoli, c’est un After Squat’. À l’entrée de l’immeuble, il y a une plaque sur laquelle il est écrit : Ici s’engouffrèrent le 1er novembre 1999 vers minuit, les membres du collectif Chez Robert. Électrons Libres, artistes squatteurs, puis disparurent dans la nuit, 7 ans plus tard, sans crier gare.

En fait, le 1er novembre 1999, Gaspard Delanoë, Kalex et Bruno Dumont (qui se sont fait appeler : La cellule KGB). Si si, si vous remettez les initiales dans l’orbre, ça marche : Kalex, Gaspard, Bruno, ils prennent possession des lieux. Avec un collectif d’artistes, ils se sont installés, au calme. C’est le principe du squat’. L’immeuble n’étant pas entretenu, il était dans un sale état. Et à priori quand ils sont arrivés, ça sentait fort le pigeon qui aurait mal vieilli. Pardon pour cette image. Cela dit, ça ne les a pas empêchés, et ça dès le départ, d’ouvrir le lieu aux visiteurs.

Au tout départ, l’immeuble appartenait au Crédit Lyonnais, …qui a fait faillite.

L’immeuble a été abandonné et il devait être vendu par les pouvoirs publics. L’immeuble -vide- appartenait donc dans les faits, à l’État. Et… l’État, au bout d’un moment ils ont un peu dit, “Euh… Non, non, en fait” et ils ont porté plainte pour occupation illégale. La justice a décidé qu’effectivement c’était pas réglo réglo et qu’il fallait qu’ils partent. Mais bon, comme il y avait pas urgence, que les mecs étaient déjà installés. Qu’avant eux ça faisait un petit moment qu’il était vide le bazar et puis que la vente, ça allait prendre un peu de temps. Ils ont eu le bon goût de pas les mettre dehors tout de suite, et de leur laisser un peu de temps. Ils ont laissé un petit délai de 8 mois à peu près.

Et c’est bien tombé parce que ces 8 mois de répit. C’est arrivé pendant la campagne municipale de 2000 qui opposait Philippe Séguin et Bertrand Delanoë à Paris. Pendant sa campagne, Bertrand Delanoë il est passé au 59 rue de Rivoli. Il a dit : “Mais c’est super ici, si demain je suis à la mairie de Paris, j’achète !” Je sais pas si il parle comme ça mais bon. Bon à ce moment-là ça faisait 70 ans que la mairie de Paris était à droite. Donc le collectif, ne se faisait pas trop d’illusions sur une éventuelle élection de Bertrand. Mais SURPRISE, Philippe Séguin fait une mauvaise campagne. Il se prend les pieds dans le tapis et c’est Bertrand qui est élu ! Il avait promis qu’il ferait en sorte de sauvegarder le lieu et c’est ce qu’il a fait.

La mairie de Paris rachète donc l’immeuble à l’État français et fait quelques travaux. 

Parce que, il pleuvait un peu à l’intérieur quand même. À la fin des travaux la mairie signe une convention avec le collectif qui devient une association (sans quoi ça ne marche pas, on peut pas signer des papiers). Cette convention c’est une convention d’occupation et elle est renouvelée tous les trois ans. Et c’est ainsi que le 59 rue de Rivoli est devenu officiellement un lieu de création, un lieu d’art et d’exposition.

Et quel lieu ! C’est devenu au fil du temps un incontournable à Paris, il figure dans tous les guides touristiques. Pour vous donner une idée, en 2009, je sais ça commence à remonter. Mais en 2009 c’était, à priori, le 3ème centre de diffusion d’art contemporain après le Jeu de paume et le Centre Pompidou. Oui, oui. Alors, moi récemment je n’ai pas été recompté les gens, mais ça fait du monde ! Dans cet immeuble, il y a en permanence 30 artistes en résidence. Il y a en a quinze qui sont là tout le temps, et puis quinze qui changent tous les trois à six mois. Ils ne vivent pas là, mais ils y travaillent. C’est à dire que pour 150€ par mois, une cotisation qui permet de régler une partie des frais administratifs liés à l’activité de l’asso, ils ont un espace dans l’immeuble, un atelier.

L’idée de cet endroit c’est à la fois pour les artistes de gagner en visibilité. Parce qu’il y a énormément de passage et que c’est quand même un lieu médiatisé. Mais aussi d’échanger avec d’autres artistes, d’avoir un espace où travailler, où rencontrer le public. D’échanger avec les gens qui passent dans une forme d’effervescence qu’on espère stimulante. 

Je suis bluffée par la capacité de ces artistes à continuer à travailler alors que c’est le défilé du 14 juillet tous les week-ends.

C’est marrant parce que c’est un bordel pas possible dans les escaliers, ça parle fort, ça fait du selfie à tout va. Mais dans les ateliers, les gens se taisent un peu comme dans une église. Il y a une telle diversité des pratiques dans cet endroit, c’est fou. De la peinture, des sculptures, de la mosaïque, du dessin, de la broderie sur image. Si, si. C’est un vrai truc, elle s’appelle Pilar Olivero. C’est une artiste argentine qui s’intéresse aux procédés photographiques analogiques et qui les fait dialoguer avec d’autres disciplines. Notamment la broderie. Elle travaille beaucoup sur la plasticité de l’image, dans une démarche de soin presque. Elle répare quelque chose en réunissant plusieurs mediums au sein d’une même œuvre.

Il y a aussi Gaspard Delanoë, enfin c’est son pseudo, qui est là depuis toujours puisqu’il faisait partie du KGB. (Non, je ne vais jamais m’en remettre de cette blague). Et qui, entre autres choses appose des mots sur des tableaux. Et moi ça, ça m’a beaucoup amusée. Ah ben j’adore l’humour, donc tout ce qui est marrant je rigole. Donc par exemple sur une peinture représentant le petit Moïse qu’on met dans un panier sur un fleuve il va écrire en gros et par-dessus : “Allô Chéri, on est dans la Moïse”. Ou sur une peinture de port : “Balance ton port”. Mais Gaspard Delanoë il a aussi créé un Parti politique dit fantaisiste.

Le Parti faire un tour, que l’on appelle aussi le Pffft et qui je cite :

A pour vocation de faire un tour. Un tour sur soi. Une rotation. C’est-à-dire, si l’on se réfère au dictionnaire, une révolution. (« Rotation complète d’un corps mobile autour d’un axe. ») Ce en quoi le Parti Faire un Tour est un Parti Révolutionnaire. Le seul objectif que s’est fixé le Pffft est de changer le monde. Car le monde, tel qu’il se présente actuellement, est tout simplement insupportable. Afin de changer le monde, le Pffft a décidé de s’appuyer sur le Songe. Car l’homme descend du Songe. C’est pourquoi il n’y a pas de militants au Pffft, mais seulement des agents dormants ».

Voilà, ça c’est le pitch.

En 2008 il a présenté sa candidature à la mairie de Paris face à Bertrand Delanoë

Le maire sortant et rentrant pour le coup puisqu’il a de nouveau remporté les élections municipales. Mais Gaspard Delanoë lui s’est présenté, avec le slogan suivant : VOTEZ GASPARD DELANOË, LE VRAI DELANOË. Ça m’a tuée. Franchement, je vous conseille de lire son programme qui est disponible sur les internet. Parmi les 90 mesures proposées il y a :

  • Mesure N°1. Augmentation de 100 % des impôts locaux (afin de financer la construction des logements sociaux).
  • Mesure n°3. Transformation du funiculaire de Montmartre en tire-fesses et instauration de Paris-Schuss l’hiver sur la Butte, pendant de Paris-Plage l’été sur les berges.
  • Mesure N°33. Mise à pied du français et instauration de l’anglais, langue officielle avec apprentissage obligatoire du Wall Street English dans toutes les crèches.
  • Mesure n°62. Un concours de poésie sera lancé dans toutes les mairies d’arrondissement afin de changer le nom des « abri-bus » car il est bien évident qu’aucun bus ne peut s’abriter là-dessous.
  • Mesure n°65. Prolongement du boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer.

Voilà, mais ça ce n’est qu’une infime partie du programme pour les municipales de 2008. Il y aussi celui de 2012 et puis le programme des régionales, des présidentielles et des législatives. Ça vous donne un petit aperçu de la personnalité de ceux qui ont fondé le 59 Rivoli et ça me semblait important de le souligner.

Bon depuis, plein d’autres les ont rejoint.

Il y a Sandra Cheres qui protège les mots parce qu’ils sont précieux. Il y a les mosaïques de Luigi La Ferla, qui travaille beaucoup sur la notion de lumière, de réverbération. Les pleins et les creux, là où la lumière passe et là où elle s’efface. Il y a l’immense fresque des Yeux d’Eduardo Fronseca. Mais aussi le travail de Jeremie Baldocchi. Un artiste peintre contemporain qui a réalisé la sculpture fabuleuse qui s’appelle le tentacule géant et qui trône tout en haut de la cage d’escalier.

Tout ça n’est en rien exhaustif, ce sont juste des petits flashs de ce qui m’a marqué moi, la toute première fois. Simplement pour vous donner envie d’y aller, de pousser la porte déjà ouverte de plein d’univers différents. C’est un peu un temps suspendu cette visite. On sait bien qu’on ne perçoit qu’un dixième de ce qu’il y a à voir et à comprendre. Mais ce n’est pas grave, c’est comme si on avait jamais fini son assiette. C’est le genre d’endroit où semble pouvoir se vivre une certaine liberté, de penser, de croiser, de créer. C’est grisant. Et follement joyeux.

Il y en a partout, du sol au plafond, on surprend des conversations d’œuvres en train de se faire, de se disputer. On peut s’interroger tout seul, mais on peut poser des questions aussi. C’est une forme de médiation qui n’est pas à disposition et que je trouve vraiment intéressante. On ne retrouve jamais les mêmes instants quand on y revient. Des choses ont changé, certaines œuvres ont évolué ou disparue. Les artistes sont là dans leurs ateliers ou pas, ils discutent ou non, avec toi ou avec d’autres. Il y a une sorte de renouvellement constant des conditions de réceptions des œuvres qui y sont.

Au 6ème étage, il y a une très jolie verrière. 

Et un jour où je passais, il y avait des oiseaux de papiers accrochés au plafond. Et en passant à cet endroit-là ce moment-là j’ai entendu l’un des artistes, Arthur Capmas je crois, constater la chute d’un des petits volatiles et dire à haute voix : “Ben alors mon Johnny tu t’es cassé la gueule ?” Et je ne sais pas, c’est le genre de scène que je trouve précieuse.

Cet endroit sur six étages, il regorge d’instants parfois volés, parfois partagés. C’est un peu comme une maison de poupées dans laquelle il se passerait 50 micro-événements à la minute. Dans tous les sens et à tout moment sauf que nous aussi on est dedans. Alors on est un peu obligés de lâcher prise et de s’ouvrir à ce qui se passe sans chercher à le retenir ou à s’y accrocher à la volé. Parce qu’au fond, nous, on ne fait que passer.

Mais je m’étale, je vous le conseille si vous aimez vous laisser surprendre, en prendre plein les yeux et la tête aussi. Si vous aimez monter des escaliers en disant : « on n’est pas fatigués ». Si vous aimez les joyeux bordels, les rencontres improbables et les éclats de voix. J’oubliais, c’est gratuit ! Après bien sûr, si vous pouvez et que vous voulez soutenir l’association, vos dons sont les bienvenues. Je vous conseille de vous y rendre avant 18h si vous voulez accéder à la galerie qui présente régulièrement des expositions collectives et assez souvent, si vous voulez voir passer le temps.

Voilà, Bisette,

PS : Ah et je pense que cet endroit mériterait un podcast à lui tout seul pendant lequel on entendrait parler un artiste en particulier à chaque épisode.

Voilà, si quelqu’un veut sponsoriser le projet, qu’il n’hésite pas, nous on est là !

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