En l’an de grâce 1066, Guillaume, duc de Normandie affronte près de la ville d’Hastings, Harold, roi d’Angleterre. En ce quatorzième jour d’octobre, le bâtard normand devient « le Conquérant » et rentre de plein pied dans l’Histoire.
Affrontement célèbre entre tous, la bataille d’Hastings marque une victoire décisive dans la conquête de l’Angleterre par les Normands. La culture populaire européenne est encore toute imprégnée de ce combat, embelli et magnifié par les chroniqueurs.
Pourtant, malgré ce que les sources médiévales laissent entendre, cette bataille n’était pas gagnée d’avance. Les analyses récentes d’historiens anglais ont permis de renouveler notre compréhension de cet évènement majeur. Retour sur cet affrontement médiéval hors-norme pour le contrôle du royaume d’Angleterre.
Deux prétendants au trône d’Angleterre
5 janvier 1066 : Edouard le Confesseur, roi d’Angleterre, rend son dernier souffle. Sa mort, sans héritier, fait éclater au grand jour une crise dynastique qui couvait depuis plusieurs années. Parmi les prétendants qui se pressent pour ceindre la couronne, deux hommes sortent du lot :
Guillaume, duc de Normandie (v.1027-1087)
Fils unique mais naturel de Robert le Magnifique, sa naissance illégitime lui vaut le surnom de « Guillaume le Bâtard ». En 1035, à la mort de son père, il devient à 8 ans, le septième duc de Normandie. Ses premières années de règne sont marquées par la rébellion de ses vassaux et de nombreux complots dans son entourage. À partir de 1047, Guillaume reprend en main son duché et parvient à asseoir son autorité.
À la même époque, le roi Edouard le Confesseur, sans héritier, lui promet son trône. Fils d’une grand-tante de Guillaume, le souverain anglais renoue ainsi avec le duché dans lequel, exilé, il a passé son enfance. Mais Edouard cherche également à rejeter la tutelle des Wessex, dont le fils aîné, Harold, est pressenti pour être son successeur.
Harold Godwinson, comte de Wessex (v.1022-1066)
Fils cadet du comte de Wessex et beau-frère du roi, Harold fait partie d’une riche et puissante famille. En 1042, son père Godwin, a soutenu l’avènement d’Edouard le Confesseur, offrant à sa famille une place à la cour. À sa mort en 1053, le comté de Wessex, le plus grand du royaume, revient à Harold. La fortune et le pouvoir de ce dernier n’ont alors d’égal que ceux du roi lui-même. Harold s’oppose avec force aux conseillers normands dont le roi s’est entouré. Il devient peu à peu l’homme fort du pays.
Le 5 janvier 1066, sur son lit de mort, le roi Edouard désigne finalement Harold et non Guillaume pour lui succéder. Or, dans la tradition anglo-saxonne, cet ultime testament, annule tous les autres. La noblesse anglaise, anti-normande, se rallie à Harold et celui-ci est couronné roi le 6 janvier 1066 à Westminster.
Un moment favorable
Outre-Manche, Guillaume ne tarde pas à être informé de la mort d’Edouard et du sacre d’Harold. Loin de s’avouer vaincu, le duc de Normandie choisit de reconquérir le trône qui lui a été promis. Outre la situation politique anglaise, le moment est favorable pour se lancer dans une telle aventure. Le duché de Normandie est une puissante principauté du Nord-Ouest de l’Europe, tant sur le plan politique que sur le plan économique. Il n’a pas à redouter les assauts de voisins trop puissants, ses adversaires français et angevins étant encore jeunes. Enfin Guillaume peut compter sur le soutien de divers alliés : Flamands, Francs, et Bretons. Toutes les conditions semblent réunies pour se lancer dans de grandes aventures de l’autre côté de la Manche.
Hastings : une bataille gagnée d’avance ?
Il assembla ainsi une immense armée, des Normands, des gens de Flandres, de Francs et de Bretons, et ses vaisseaux se trouvant prêts, il les remplit de bons chevaux et d’hommes vigoureux, munis de cuirasses et de casques
Extrait de Guillaume de Jumièges, Gesta Normannorum ducum, v. 1070
La traversée de la Manche : succès logistique et avantage stratégique
L’expédition normande nécessite de longs mois de préparation. Une fois ses alliés convaincus, Guillaume doit rassembler ses combattants, les équiper et les nourrir. Il fait également construire et réquisitionner de nombreux bateaux afin de pouvoir transporter ses hommes. Le 28 septembre 1066, environ 8 000 soldats et 5 000 chevaux s’embarquent pour l’Angleterre. La traversée, retardée par le mauvais temps, se fait sans encombre.
La flotte anglaise, qui surveillait les côtes depuis le mois de mai, a été congédiée, faute de vivres. L’armée se trouve au nord du pays, où elle vient de défaire les troupes d’un autre prétendant, venu de Norvège. Guillaume aurait-il repoussé son départ afin de profiter de ces conditions favorables ? Les historiens restent partagés car les chroniqueurs normands, « prompts à vanter les talents tactiques de Guillaume, ne le mentionnent pas ».
Guillaume et Harold : à armes égales
Sitôt prévenu du débarquement des troupes normandes, Harold se précipite à la rencontre de Guillaume. Le duc de Normandie déplace ses hommes à Hastings, dans le comté de Wessex, au cœur du fief d’Harold. C’est là que les deux prétendants vont se livrer bataille, le 14 octobre 1066.
Le roi d’Angleterre a l’avantage du terrain. Il place ses troupes sur les hauteurs de la colline de Senlac, qui contrôle la route vers Londres. Son armée, bien que victorieuse a subi de lourdes pertes et ses hommes sont harassés de fatigue. Ils vont pourtant défendre chèrement leur position en élevant un « mur de bouclier ». Les Normands, situés en contrebas, ont l’avantage des armes grâce à leurs archers et leurs cavaliers. La flotte anglaise empêche toute retraite par la mer, la pente escarpée de Senlac, tout repli en bon ordre. C’est un combat à mort qui s’engage.
Hastings : « La plus longue bataille du Moyen Âge »
La vague normande se heurte aux boucliers anglais
Vers 9h du matin, les archers normands sont les premiers à engager le combat. Mais la portée limitée de leurs arcs et leur position en contrebas les rendent inoffensifs. L’infanterie, soutenue par la cavalerie, rentrent alors dans la bataille mais elles sont repoussées par les housecarls, troupes d’élites d’Harold. Certains historiens, à la suite des récits normands, ont pourtant fait de la cavalerie l’arme de la victoire d’Hastings. Selon Yann Coz, la durée de la bataille (environ 6 ou 7 heures) « prouve qu’il n’y eut pas d’arme miracle ».
Face à la « résistance tactique et obstinée des Anglais », les Normands, démunis, commencent à flancher. Une partie des troupes bat en retraite, encouragée par la rumeur de la mort de Guillaume. Ce dernier ôte alors son casque pour se faire reconnaître de tous. Revigorés, ses hommes se retournent alors contre des Anglais ayant imprudemment quitté leur position.
Fuir pour vaincre
Durant l’après-midi, Guillaume adopte la tactique « de la fuite simulée » afin de désorganiser les rangs ennemis. Cette stratégie requiert une grande coordination pour effectuer une volte-face destinée à surprendre l’adversaire. Bien qu’elle soit connue de longue date, elle n’a jamais été effectuée à si grande échelle.
À la fin de la journée, devant la résistance de la garde rapprochée d’Harold, le duc engage toutes ses forces. Archers, fantassins et cavaliers se lancent à l’assaut. Un groupe de chevaliers normands parvient à pénétrer les rangs anglais et à tuer Harold. La légende veut que le roi ait reçu une flèche dans l’œil. Selon d’autres versions, il aurait été achevé à coups d’épée. Quoi qu’il en soit, si la mort du roi ne met pas fin aux combats, elle brise la résistance anglaise. À la tombée de la nuit, la victoire normande est totale. Guillaume le Conquérant est né.
Et après ?
La bataille d’Hastings n’est que le commencement de la conquête de l’Angleterre par les Normands. La route de Londres reste semée d’embûches. Guillaume doit mater les barons anglo-saxons, farouchement opposés à son avènement. Son couronnement a finalement lieu à Westminster le 25 décembre 1066.
De nombreuses chroniques médiévales embellissent et magnifient le déroulé de la bataille. Cependant, le témoignage le plus impressionnant qui nous soit parvenu aujourd’hui est certainement la Tapisserie de Bayeux. Cette broderie narrative de 70 mètres de long a été réalisée en 1077. Témoignage précieux et unique de cette période, c’est une œuvre textile unique qui célèbre la conquête victorieuse.
Depuis quelques années, les historiens prennent plus de recul par rapport à ces œuvres passionnantes mais partiales. Certes, durant la bataille d’Hastings, Guillaume a su faire preuve de sang-froid et de stratégie. Mais ses adversaires, en particulier le roi Harold, n’ont pas démérités. Mais l’Histoire est cruelle car elle ne retient que le nom des vainqueurs…
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Par Béatrice de Place,