La Bastille. 1703. La mort d’un prisonnier, portant un énigmatique masque de fer, soulève dans son sillage une énigme cruelle.

Phare de toutes les espérances d’un peuple en 1789, la Bastille sous Louis XIV symbolise déjà le caractère arbitraire du pouvoir royal. Mais cette prison d’État abrite également le cœur d’une histoire macabre. Celle de l’homme au masque de fer. Sa mort laisse place à une véritable énigme, qui nous tient en haleine depuis des siècles. De quel crime s’était-il rendu coupable ? Quel secret avait-il découvert ? Mais surtout, qui était-il ? Immersion dans les geôles obscures du Roi Soleil

Le prisonnier le plus célèbre de l’Histoire de France

Gravure de 1789. Source : Wikimedia Commons
Gravure de 1789. Source : Wikimedia Commons

Le 4 septembre 1687, une gazette janséniste distribuée à la volée rapporte de bien étranges événements. Un prisonnier a rejoint la citadelle de Sainte-Marguerite, une île méditerranéenne. Auparavant incarcéré aux donjons de Pignerol puis d’Exilles, il est sous la garde de Bénigne Dauvergne de Saint-Mars, qui le ballote au fil de ses affectations.

Personne ne connaît son identité ou le motif de sa détention. Plus intrigant encore, son visage est toujours dissimulé sous un masque de fer. Son geôlier a d’ailleurs reçu pour ordre de le tuer s’il tente de parler. Il le traite malgré tout avec égards.

Lorsque Saint-Mars prend la gouvernance de la Bastille en 1698, il emmène une fois de plus son prisonnier. L’homme au masque de fer meurt le 19 novembre 1703. Il est enterré sous un faux nom (Marchioly), tandis que l’on s’empresse de brûler ses affaires et de blanchir les murs de sa cellule à la chaux…

La naissance d’une légende intemporelle

La première référence imprimée apparaît sous la plume de Voltaire en 1751 dans Le Siècle de Louis XIV. En effet, le philosophe des Lumières a lui-même été embastillé en 1717, à cause d’une satire sur Philippe d’Orléans.

Il complète au fil du temps son récit. Il décrit un homme raffiné, ressemblant au roi et bien traité. En outre, les ressorts en acier de son masque lui laissent la liberté de manger à sa guise.

« Un prisonnier dont nul ne sait le nom, dont nul n’a vu le front, un mystère vivant, ombre, énigme, problème. » – Victor Hugo.

Au milieu des années 1800, Alexandre Dumas écrit Le Vicomte de Bragelonne. Surtout, il présente l’homme au masque de fer comme le frère jumeau du roi. Il contribue ainsi à forger une légende, au cœur ensuite de nombreux romans, poèmes, films de cape et d’épée, etc.

En 1998, le réalisateur Randall Wallace reprend lui aussi la théorie de la gémellité, incarnée à l’écran par Di Caprio. Enfin, on retrouve également dans notre culture populaire plusieurs clins d’œil au mythe : la série Versailles, le jeu Assassin’s Creed Unity ou encore les histoires de Sanji dans One Piece et de Griffith dans Berserk.

L’homme au masque de fer : une existence avérée

Les Archives nationales de France ont permis d’établir en 2015 l’inventaire des biens et des écrits de son geôlier. Le gouverneur Saint-Mars entretenait une correspondance régulière avec Louvois, le ministre des Armées.

Un registre d’écrou atteste également d’une détention à la prison d’État, entre 1698 et 1703. On sait donc que l’individu transféré à la Bastille en 1698 faisait partie de ceux dont Saint-Mars s’occupait au donjon de Pignerol :

  • Nicolas Fouquet, ancien surintendant des Finances ;
  • Eustache Danger, un valet ;
  • Le duc de Lauzun ;
  • Un moine ;
  • Dubreuil, un agent double ;
  • Matthioli, un diplomate.

Les hommes de haut rang conservaient le droit d’avoir des valets à leur service. Ainsi Lauzun et Mathiolli en avaient chacun un, Fouquet deux. L’effectif de Pignerol s’élevait donc à 10 personnes.

En revanche, la plupart du temps l’homme au masque de fer portait en réalité un loup en velours noir. Le reste ne serait que le fruit de l’imagination de l’opinion publique, voire un instrument de propagande contre le régime en place.

Le symbole de l’absolutisme du Roi Soleil

Statue de Louis XIV. Source : Pixabay
Statue de Louis XIV. Source : Pixabay

Le règne de Louis XIV marque le début de la monarchie absolue et coïncide avec la période du Grand Siècle. La France s’illustre par son expansion militaire, mais aussi par son rayonnement culturel.

Aux yeux de ses détracteurs, le Roi-Soleil possède pourtant tout d’un tyran. Certes, les exécutions sommaires n’existent pas encore. Mais les lettres de cachet lui permettent de jeter en prison qui il souhaite.

Dans ce contexte, la rumeur du frère jumeau réduit au silence pour l’éloigner du trône se répand. Pour anéantir le moral des troupes armées françaises durant la Guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), les Hollandais racontent même que l’homme au masque de fer est le vrai père du roi.

On lui prête au total plus d’une cinquantaine d’identités : un fils illégitime, Molière, Henri II de Guise, etc. Elles constituent autant d’outils de propagande contre le régime, mais ne reposent sur aucune réalité historique tangible.

L’identité de l’homme au masque de fer : deux théories plausibles

Un intendant des Finances devenu trop puissant

Certains spécialistes considèrent que l’homme au masque de fer ne peut être que Nicolas Fouquet. Il est à l’époque à la tête d’une fortune colossale. La France lui doit notamment la construction du Château de Vaux-le-Vicomte. Le roi le condamne à la réclusion pour détournement de fonds et crime de lèse-majesté.

Il serait mort en 1680, mais aucun document officiel ne le prouve. Sa renommée expliquerait pourquoi on le traitait mieux que la plupart des prisonniers. Pour l’auteur Claude Dabos, deux personnes se cacheraient même derrière le masque. Matthioli aurait pris la place de Fouquet après sa mort, afin de brouiller les pistes. Son nom ressemble d’ailleurs beaucoup à Marchioly (celui inscrit sur la tombe en 1703).

Un valet nommé Danger

Mais plusieurs historiens penchent plutôt pour Eustache Danger (ou Dauger), un valet incarcéré pour avoir découvert un secret d’État. Il entre au service de Fouquet en 1675. Les modalités de sa détention deviennent alors un peu plus souples.

Mais pourquoi aurait-on flanqué un simple valet d’un masque d’acier ? Selon Jean-Christian Petitfils, Saint-Mars ne pouvait plus s’enorgueillir de prisonniers de prestige après la mort de Fouquet et la libération du duc de Lauzun. D’où cette mascarade pour redorer son image.

Longtemps populaire, la théorie du frère jumeau du Roi-Soleil est restée ancrée dans les mémoires. À la lueur des faits historiques, les noms du puissant Nicolas Fouquet et du modeste Eustache Danger apparaissent aujourd’hui comme des pistes sérieuses. Et c’est bien celui du valet qui semble depuis faire consensus ! À l’heure où certains continuent de se pencher sur cette énigme, d’autres lui préfèrent définitivement le mystère qui l’entoure…

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Par  Sandra Dall’Acqua,

     

Diplômée en Histoire, Sandra a pris le virage du digital pour cultiver son amour des mots et mettre en lumière l'expertise de ses clients. C'est en freelance depuis La Réunion qu'elle exerce son activité de rédactrice web SEO. Une île intense, qu'elle a d'ailleurs à cœur de valoriser et de préserver. Sa plume agile aime explorer une grande variété de sujets. Surtout s'ils sortent des sentiers battus !

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