Que l’on soit passionné de boxe ou non, impossible de ne pas connaître le « combat du siècle ». Début des années 70, Mohamed Ali et Joe Frazier, les deux boxeurs champions du monde prévoient de monter sur le ring. Bien plus qu’un simple combat, il prend une ampleur symbolique dans une Amérique scindée entre la lutte contre le racisme et la guerre du Vietnam. Retour sur ce match mythique.
Ali et Frazier, deux personnalités opposées
Champions du monde des années 60, Mohamed Ali et Joe Frazier ont pourtant tout qui les oppose.
D’un côté, celui que l’on surnomme « l’Insolent de Louisville », Mohamed Ali, est aussi adoré que détesté. Grande gueule, à l’esprit provocateur, présomptueux, il incarne tout ce que l’Amérique conservatrice ne veut pas reconnaître. Fervent défenseur des droits civiques afro-américains et pacifique, il représente la fierté noire. Il n’a pas peur de s’engager pour défendre ses convictions et prendre position politiquement. Même si ses décisions vont le mener à être interdit de ring. De par sa personnalité flamboyante, parfois jugée excessive, Ali s’est imposé comme un symbole du contre-pouvoir.
De l’autre côté, Joe Frazier, que l’on appelle Smoking Joe, est l’incarnation de l’Amérique rangée et consumériste. Boxeur explosif au crochet gauche devenu légendaire, il appartient à un consortium d’hommes d’affaires blancs. Patriote et consensuel, il a tout le soutien des conservateurs pro-guerre des États-Unis.
Le ring, un espace d’expression
Aux États-Unis, la boxe a longtemps été une affaire de « pauvre ». Ceux qui boxaient étaient perçus comme des marginaux de la société. Les premiers boxeurs étaient eux-mêmes des esclaves qui s’affrontaient pour divertir les propriétaires de plantations de coton. Pour la communauté noire, ce sport est vite devenu un médium d’expression. Boxer leur permettait d’exprimer la colère d’un peuple opprimé et discriminé.
Nos deux champions poids lourds avaient un rapport au ring différent. Tombé dans la boxe suite à un vol de vélo enfant, Ali n’hésite pas à exprimer ses opinions et ses valeurs sur le ring et à l’extérieur. Frazier, lui, a découvert ce sport par hasard, en voulant perdre du poids. Esprit sage, il ne fait pas de grabuge. Ombre d’Ali dans la division poids lourd, il sait qu’il ne sera réellement reconnu que lorsqu’il gagnera contre Ali. S’en suit alors une volonté de confrontation.
Le match Ali-Frazier, symbole d’une résistance
8 mars 1971, Madison Square Garden, New York City. Une confrontation de boxe légendaire est sur le point d’avoir lieu opposant les deux boxeurs invaincus de l’époque. Légèrement favori, Frazier est le chouchou de la classe blanche.
Tout le gratin des États-Unis s’est réuni dans le fabuleux stade. On y trouve Franck Sinatra, au bord du ring en tant que photographe du Time Magazine, Burt Lancaster comme commentateur pour une chaîne TV. De nombreuses célébrités sont aussi aux premières loges. Parmi elles Woody Allen, Gene Kelly, Bob Dylan…
Avec plus de 20 000 places vendues, la recette du combat est fructueuse. Les finances s’envolent et les deux imbattables seront payés 2,5 millions de dollars chacun. Une première dans l’histoire de la boxe à l’époque.
Match d’envergure nationale et internationale, il signe le retour d’Ali, après 3 ans et demi de suspension suite à son refus de s’enrôler dans l’armée américaine. Le combat dépasse le cadre du sport, il devient politique. Il cristallise les luttes et les tensions présentes aux États-Unis en mélangeant religion, patriotisme et racisme.
La lutte contre la condition des afro-américains
Il faut se remettre dans l’époque. L’Amérique est fragmentée par le racisme et fait face à de nombreuses émeutes raciales. C’est dans ce contexte que monte en puissance le mouvement Black Power, incarné par Malcom X, allié et ami de Mohamed Ali.
Celui-ci a toujours été fortement engagé en faveur de l’émancipation culturelle des noirs et contre la ségrégation. Il va d’ailleurs intégrer la Nation de l’Islam, une organisation politico-religieuse afro-américaine. Puis, se convertir et changer de nom. Cassius Clay devient alors Mohamed Ali. Cette prise de position n’est pas sans conséquence, elle lui attire les foudres de toute l’Amérique conservatrice. Mais le célèbre boxeur n’en a que faire et en joue.
Le match devient alors le reflet de la fracture raciale existante aux États-Unis. Pour échauffer les esprits, avant le combat du siècle, il va jusqu’à surnommer Joe Frazier d’« Oncle Tom ». Personnage du roman éponyme d’Harriet Beecher, qui fait figure d’une véritable connotation négative aux États-Unis pour la communauté noire. Considéré comme le boxeur des blancs, Frazier prend cette insulte comme un affront, lui qui porte un lourd héritage de l’esclavage. Il gardera jusqu’à sa mort une forte animosité envers son rival. 35 ans plus tard, Ali recevra la médaille présidentielle de la Liberté pour son engagement contre la ségrégation et pour l’émancipation culturelle des Noirs.
Une opposition à la guerre
Le combat du siècle, c’est aussi le symbole de la contestation contre la guerre du Vietnam. Et ce, suite au refus d’Ali de partir combattre 3 ans et demi plus tôt. Parce qu’ « aucun vietcong ne l’a jamais traité de nègre », il rejette de prendre part à cette guerre interminable et la dénonce.
Son refus d’obtempérer lui coûte sa licence, 10 000 dollars d’amende et le bannit des rings pendant 3 ans et demi. Ali devient alors l’objecteur de conscience et un symbole de la résistance contre la guerre du Vietnam. Sa prise de position met en avant sa fierté et fait enrager une certaine opinion américaine, indignée de ce comportement.
Pour en savoir plus, les éditions Futuropolis ont sorti la bande dessinée « Le combat du siècle »
Celle-ci retrace l’histoire de Frazier et reflète l’ambiance socio-culturelle d’une Amérique fracturée. À lire de toute urgence !
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Par Margaux Simonnet,