Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains à Tourcoing dans le Département du Nord est une des écoles d’art les plus cotées. Sa formation est axée sur le numérique, le cinéma et l’audiovisuel.
Après un Bac+5, les candidats retenus réalisent deux œuvres (une chaque année) pendant leurs cursus de deux ans. En fin de promotion, une exposition présente les productions. La thématique choisie cette année par Marie Lavandier, directrice du Louvre-Lens, est le passage vers un autre monde, un autre côté. Elle s’est sentie elle-même de l’autre côté en observant la genèse de ces créations – films, installations. Les sujets traités sont en lien avec les doubles numériques, les moments de bascule dans des fictions par le virtuel, un écran…
Une école née de l’utopie
Les grands espaces sombres du Fresnoy sont impressionnants, aucune cloison sépare les œuvres. Une dynamique semble se créer par toutes les ouvertures. Nous assistons à un tour du monde des artistes venus de tous les continents qui pendant deux ans se sont côtoyés, enrichis.
Le Fresnoy est une école née de l’utopie d’Alain Fleischer (né en 1944), sous les années Mitterrand. Cinéaste, plasticien, photographe, Alain Fleischer avait été sollicité pour participer à un appel d’offres concernant un nouveau type d’établissement artistique. Il avait proposé un projet novateur et inédit qui à sa grande surprise avait été validé par le Ministre de la Culture, Jack Lang.
Il s’agissait de son école d’art rêvé, devenue dès son ouverture en 1997, un des établissements les plus attractifs à l’international. Alain Fleischer est toujours le directeur de cette école et il déborde de projets pour des films, des livres, des documentaires…
L’accompagnement pédagogique offre du sur-mesure avec des artistes associés et des enseignants différents pour chaque promotion.
Des moyens techniques dignes d’une grande entreprise et un budget sont également mis à disposition pour la réalisation de créations (installations, films…). Le Fresnoy réunit des artistes de différentes nationalités dans une région fortement impactée par la désindustrialisation textile. Le lieu choisi pour son implantation n’a pourtant pas été une friche industrielle, mais un établissement de loisirs de la ville de Tourcoing.
De longues décennies, la grande salle où se tiennent les expositions d’art contemporain a été un dancing qui accueillait des bals. Pendant la décennie 1980, les jeunes venaient y faire du patin à roulettes. Pour l’exposition en cours, L’autre côté, Marie Lavandier a relié les problématiques qui ont intéressé les étudiants. Des thématiques communes invitent à entrer dans la fiction des installations et des dispositifs filmiques.
Fantôme numérique
De nombreuses œuvres s’inscrivent dans une dynamique en évoluant en temps réel. Au plafond de la nef du premier espace, nous découvrons l’empreinte astrale d’Anna Cleveland. Cette fille des étoiles a été créée par Guillaume Thomas pour son installation Ad Astra. D’étranges visages flottants captivent le visiteur pour s’évaporer et réapparaitre comme des planètes.
Dans le même espace, Mourning Cloud de Magalie Mobetie propose à chaque visiteur de constituer son fantôme numérique. Cette installation-application est aussi matérialisée par un nuage de gypsophiles sous lequel il est possible de faire des offrandes. Magalie Mobetie s’est interrogée sur les questions d’héritage et sur les doubles numériques qui pullulent sur Internet. Après un décès, elle a été en recherche d’informations généalogiques, de traces familiales. Que laisse-t-on volontairement ou pas sur Internet ?
Une autre création renvoie aux filtres numériques des réseaux sociaux.
Invisible Filter d’Ethel Lilienfeld est inspiré d’un fait divers – une dame avait dissimulé son véritable âge en créant un avatar. L’artiste raconte un conte moderne où la personne plus jeune verse des larmes pour rajeunir la femme plus âgée. Dans Je(u) de Jisoo Yoo, nous entrons dans un cercle et apparaissons après un laps de temps sur un écran par des mouvements de particules scintillantes. Cette création interactive est amusante et rencontre un grand succès. Une forme fugitive finit par rejoindre le sol et les particules d’autres visiteurs.
Le message à retenir est qu’aucun individu n’est isolé, nous sommes façonnés par les rencontres et les échanges. Justine Emard qui est artiste associée explore les relations entre nos existences et la technologie. Elle met en connexion les magnifiques images de la Grotte Chauvet-Pont-d’Arc et l’intelligence artificielle. Des architectures de rêve en impression 3D représentent les archives cérébrales d’astronautes collectées pendant leurs sommeils. Face à ces images en constante métamorphose, nous avons l’impression d’assister à des crépitements du feu.
D’autres œuvres traitent de l’écologie, du recyclage, notamment de l’impact des déchets permanents (Sabrina Ratté – Objets-mondes).
L’écologie d’affichage est également dénoncée – Hugo Pétigny pour Electrographie de l’argent.Derrière chaque achat, quelle est l’empreinte carbone et qui ont été les esclaves modernes d’un panneau solaire fabriqué en Chine ? Julie Ramage – Ghostmarkets – adopte une démarche sociologique par la reconstitution d’une cellule de prison et le partage d’une expérience collective en milieu carcéral.
L’autre côté, c’est une cinquantaine d’œuvres à découvrir dans les domaines du son, de la création numérique et de l’image. C’est passionnant d’aller à la rencontre du travail de ces jeunes artistes qui sont au cœur de l’émergence. Ils apportent un regard neuf sur les préoccupations actuelles et préfigurent de nouveaux sujets.
Par Fatma Alilate
Exposition Panorama 24 L’autre côté
Le Fresnoy- Studio national des Arts contemporains
22 rue du Fresnoy
59200 Tourcoing
Tél. : 03 20 28 38 00
Commissariat : Marie Lavandier
Jusqu’au 31 décembre 2022