L’art est expression et émotion. Sous la plume de l’écrivain, le pinceau du peintre ou le jeu du comédien. Joie, révolte ou colère, les couleurs se mélangent sur la palette des sentiments. De l’Antiquité à aujourd’hui, quels sont les dessous de la colère ?

Maîtriser les passions, discuter des sujets de vie fondamentaux, conduire à un idéal pour vivre sans négatif, ni colère était le projet des philosophes comme Platon ou Aristote

C’est du moins ce que nous confie l’archéologue et historienne grecque Angélique Mansola. Mais pas question de s’arrêter à cet idéal d’expression de paix. Car en plongeant dans les arcanes de la littérature de la Grèce antique, on n’imagine pas l’expression de cette colère qui sommeille chez les héros, les dieux. Homère base son Illiade sur la colère entre Achille et Agamemnon et débute ainsi l’œuvre : « Chante la colère, déesse du fils de Pélée, Achille, colère funeste qui causa mille douleurs aux Achéens ! » La guerre de Troie aura bien lieu. La violence est expression de la colère.

La colère, une expression des dieux ?

« Les grecs expliquaient leur colère comme la force des divinités les poussant à ces sentiments extrêmes », explique Angélique Mansola.  Des dieux représentant la colère à différents degrés : ainsi Nemesis est déesse de la « juste colère », celle qui rend justice tandis que dans le théâtre du poète Eschyle, les Erinyes (Furies chez les Romains) sont déesses de la vengeance.

Si l’expression de colère ne se reflète pas dans les sculptures qui exaltent la beauté des corps au IVème siècle avant JC, on la retrouve représentée sur les vases antiques mais aussi sur les masques du théâtre dès le Vème siècle. « Colorés, ils étaient portés par les comédiens – traduction littérale du mot « hypocrite » en grec ancien – selon leurs personnages, leur rôle, leur caractère, symbolisant leurs sentiments, joie ou colère », raconte l’historienne.

Masques du théâtre grec antique
Masques du théâtre grec antique

« La musique est la langue des émotions »

Le philosophe Emmanuel Kant avait raison. Romantique, exaltante, envoûtante …. la musique est aussi colère. De la colère des dieux à celle de Dieu, il n’y a qu’un pas. Dès le XIIIème siècle, ce sentiment s’exprime dans l’hymne liturgique Dies irae, dies illa, traduisez du latin Jour de colère que ce jour-là.

Un poème médiéval repris sous diverses compositions musicales.  Un « titre » qui a fait longtemps partie de la messe des défunts. Une expression du jugement de Dieu, de sa colère qui dévaste tout, inspirant la crainte. On la retrouve dans les Requiems de Mozart à Verdi, l’un des plus retentissants. Depuis, les reprises ont été nombreuses, sous différentes formes, par des chanteurs populaires comme Jacques Brel (La Mort) ou Michel Sardou (L’An mil)

Plus curieux, un « Dies irae », particulièrement religieux, créé sous l’Ancien Régime par le compositeur François-Joseph Gossec en 1760 fut démocratisé par les révolutionnaires pour une messe des morts, trente ans plus tard. Projet : célébrer la mémoire des citoyens qui avaient donné l’assaut à la Bastille.

Trois Glorieuses sous le pinceau de Delacroix

Colère du peuple, en quête de liberté, version Delacroix. 1830 : trois jours de juillet. Le Roi Charles X remet en cause les acquis de 1789, veut supprimer la liberté de la presse. Le peuple parisien se soulève, les Bourbons sont renversés.

La Liberté guidant le peuple - Eugène Delacroix
La Liberté guidant le peuple – Eugène Delacroix

L’œuvre de Delacroix « La Liberté guidant le peuple », toujours exposée au Louvre est née. Menant l’assaut, une femme aux seins nus, déesse mythique qui arbore le bonnet phrygien à l’image d’une esclave romaine affranchie, brandit le drapeau français. Elle entraîne le peuple sous le regard de Notre-Dame, avec les gamins de Paris, comme Gavroche décrit par Victor Hugo 30 ans plus tard dans ses « Misérables ».

De la colère de Victor Hugo à celle d’Emile Zola… au cinéma

La plume des auteurs manifeste aussi leur colère. On la retrouve chez Victor Hugo dans les Misérables. Jean Valjean est un voleur en rédemption, Javert le commissaire à sa poursuite et Cosette est une enfant maltraitée. Le héros du XIXème siècle est immortalisé au cinéma par Jean Gabin en 1959. Les années 80 voient une reprise sur scène sous forme d’une comédie musicale signée Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg. De Londres à Broadway, les colères et révoltes sur scène font toujours recette. Un film musical réalisé par Tom Hooper en 2012 en est tiré. Il réunit sur grand écran Hugh Jackman, Anne Hathaway, Russell Crowe ou encore Eddie Redmayne. Pluie de distinctions : 3 oscars dont celui de meilleure actrice dans un second rôle. 3 Golden Globes

 « Germinal » d’Emile Zola reste un récit mythique entre misère et colère des mineurs de fond du Nord de la France. La révolte souffle dans le roman comme dans le film de Claude Berri de 1993. A sa tête, Lantier, un chômeur devenu mineur, incarné par le chanteur Renaud qui mène de la colère à la révolte Toussaint Maheu sous les traits de Gérard Depardieu. Sombre et marquant.

Le street-art, versus colère

Dépassées ces transcriptions historiques de la colère ?  Pas si sûr.  Les Gilets Jaunes manifestaient aussi sur les murs parisiens.

Pascal Boyart, street artist trentenaire (alias PBoy), qui a grandi dans le quartier de la Chapelle à Paris, a créé sur un mur du XIXème arrondissement une nouvelle version de « La Liberté guidant le peuple » de Delacroix. Marianne est moins dénudée mais les personnages qui l’accompagnent arborent des gilets jaunes. Le credo de l’artiste ? Mêler le classique au contemporain. Ses inspirations ? Bruegel, Seurat, Goya, Pollock… 

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Par  Marie-Helene Abrond ,

Journaliste professionnelle, ancien chef de rubrique culture/télévision/spectacles à Bayard, enquêtrice à « Zone Interdite » sur M6, créatrice du site d’actualités culturelles « CulturActu.com », auteur actualités/culture générale/Français pour la nouvelle collection « 60 jours de préparation aux concours» aux Editions Dunod.

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