Sport national selon certains, outil incontournable de la lutte pour d’autres. Pas toujours bien considéré par l’opinion publique, le droit de grève naît des mouvements ouvriers du XIXe siècle. 

L’histoire ancienne nous rapporte des exemples parfois cocasses de grèves. 2000 ans avant notre ère, les serviteurs du temple de Thèbes réclamaient déjà deux galettes supplémentaires par jour. Moyen ultime de faire connaître un désaccord collectif, la grève est avant tout un rapport de force. Mais de quand date le droit de grève en France ? A quoi sert-elle et en faisons-nous bon usage ? 

La grève avant le droit, un droit naturel ?

 Isaac Le Chapelier, avocat, élu Président à l'Assemblée Nationale le 4 août 1789
 Isaac Le Chapelier, avocat, élu Président à l’Assemblée Nationale le 4 août 1789

Souvent réprimées, les grèves ne sont cependant pas vraiment encadrées juridiquement avant la fin du XVIIIe siècle. 

Le Moyen-Âge est ainsi marqué par plusieurs mouvements de contestation, parfois violents, portés par les différentes corporations. Les débordements et l’atteinte à l’ordre public sont alors sanctionnés sans que le principe ne soit remis en cause. La grève permet notamment aux communautés de métier de faire valoir leurs prérogatives, leurs droits, auprès de la justice locale. 

Par conséquent, sans être officiellement reconnue par la loi, la grève peut être considérée comme un droit naturel. Cependant, ce sont surtout les corporations qui en font l’usage. En effet, la grève est avant tout un mouvement contestataire de travailleurs partageant les mêmes intérêts. Ancêtre des syndicats, les corporations (associations d’artisans) avaient justement pour rôle de réglementer et défendre les intérêts d’une profession.  

Ces corporations, conséquence de l’abolition des privilèges, sont interdites par la Révolution. Et avec elles, la possibilité de se mettre en grève. La loi Le Chapelier de 1791 supprime les corporations de métiers et interdit les coalitions ouvrières. Ce jour-là, la grève devient officiellement un délit.  

La reconnaissance du droit de grève est la conséquence des mouvements ouvriers du XIXe siècle

La révolte des canuts de 1831 se transforme en insurrection. La grève n'est qu'un des aspects de la mobilisation
La révolte des canuts de 1831 se transforme en insurrection. La grève n’est qu’un des aspects de la mobilisation

Faisons un bond de 70 ans en avant. En pleine révolution industrielle, la classe ouvrière, principal outil de production, devient un interlocuteur incontournable. Elle prend conscience de son pouvoir collectif et commence à recourir à la grève comme arme privilégiée de contestation. Le Second Empire l’a bien compris et lui tend la main. De cette façon, Napoléon III entend tout à la fois consolider son assise populaire et canaliser les revendications des ouvriers. 

Il faut dire qu’à cette époque, de la grève à l’émeute il n’y a qu’un pas, souvent franchi. La révolte des canuts, ouvriers qui tissent la soie à Lyon, en est un bon exemple. Leurs soulèvements réguliers (1831, 1834, 1848) et particulièrement violents sont autant de petites insurrections qui font des centaines de morts.  

Avec le développement de l’internationale ouvrière, les mouvements sont portés par des idées qui dépassent les frontières. Les grèves ouvrières françaises se nourrissent des tentatives et des succès en Russie, aux Etats-Unis, en Espagne ou en Italie. 

Dès lors, la loi Ollivier de 1864 réinstaure le droit de coalition pour certains métiers. La grève est enfin dépénalisée. Elle devient possible sous condition, mais demeure très encadrée. Le vote de cette loi marque une première étape importante dans la reconnaissance du droit de grève.  

Il faut cependant attendre 1884 pour que la loi Waldeck-Rousseau autorise la création des syndicats, abrogeant définitivement la loi Le Chapelier.  

En 1946, 155 ans après son interdiction, le droit de grève est finalement inscrit dans la Constitution française.  

La grève, mère des acquis sociaux

Grève des ouvriers de l'ancienne Compagnie des Mines de Thivencelle en 1936, CC
Grève des ouvriers de l’ancienne Compagnie des Mines de Thivencelle en 1936, CC

Réduction de la journée de travail, fin du travail des enfants, régimes d’indemnisation, conditions de travail, conventions collectives. Mais également salaire minimum, congés payés, délégués du personnel, diminution de la durée de la semaine de travail… Ces termes vous sont familiers. Pourtant, ces améliorations sont issues des grands mouvements de grèves de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Si aujourd’hui vous bénéficiez de 5 semaines de congés payés, rappelez-vous que c’est grâce aux grèves de 1936. 

En France, une majorité des grévistes sont issus de la fonction publique ou assimilés. Les salariés du secteur privé sont en effet plus vulnérables vis-à-vis du marché du travail. Les grèves du service public ont également des conséquences plus visibles. Paralysant totalement les transports en 1995, la grève des cheminots a fait reculer Alain Juppé sur la réforme des retraites.  

Néanmoins, malgré la médiatisation et le ressenti des Français, les grèves sont en perte de vitesse. Première raison : la baisse du syndicalisme. Il est important de rappeler que c’est l’autorisation des syndicats qui entraîne l’émergence de grands mouvements de grève coordonnés. Et oui, pour mobiliser les gaulois réfractaires, il faut un véritable encadrement ! Cependant, depuis les années 50, le nombre de syndiqués est en forte diminution. Le taux de syndicalisation des salariés passe ainsi de 30 à 10% entre 1949 et 2019.  

Seconde raison avancée par Sylvain Boulouque, historien des conflits sociaux : l’opinion publique. De moins en moins favorable aux mouvements sociaux, elle serait le baromètre utilisé par le gouvernement. Si l’opinion publique n’est pas pleinement en phase avec la grève, le gouvernement fait le dos rond. Depuis 2003, l’histoire semble lui donner raison.  

Faire la grève autrement ? 

Les syndicats, principal outil d'encadrement et de mobilisation de la grève (Paris 2019), © F. Blanc
Les syndicats, principal outil d’encadrement et de mobilisation de la grève (Paris 2019), © F. Blanc

La grève générale est une sorte de mythe identitaire et mobilisateur pour la classe ouvrière et le syndicalisme. Par nature essentiellement constituée de blocages, la grève pourrait-elle prendre d’autres formes ? Comment rallier l’opinion publique quand on perturbe le quotidien de millions de compatriotes ?  

Dans les années 70, les contrôleurs de la SNCF ont mené la “grève des pinces”, refusant de poinçonner les billets des voyageurs des trains. D’autres exemples existent, comme ces employés d’EDF remettant le courant aux foyers coupés pour impayés ou basculant les commerçants en horaires de nuit. Aujourd’hui considérée comme une faute professionnelle, cette pratique aurait le “défaut” de rassembler les grévistes et les usagers…  

Outil social, outil juridique, la reconnaissance du droit de grève a fourni un cadre aux conflits professionnels

Contestation d’abord corporatiste, la grève se drape bientôt du mythe d’un mouvement fédérateur général. Consacrée droit constitutionnel depuis 1946, la grève est pourtant l’un des plus controversés. Malgré tout, elle a montré son importance avec les grandes avancées sociales du XXe siècle. Ultime recours à la négociation ou élément constitutif de la contestation, la grève semble peu à peu perdre de son efficacité. Depuis 2006 et l’abandon du CPE, les grands mouvements de grève n’ont pas obtenu gain de cause auprès du gouvernement. Cet échec occulte pourtant des réussites locales, comme les augmentations obtenues par les salariés de TotalEnergies fin 2022. Un exemple à suivre ? 

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Article concocté par Patrick Gausserès,

Tombé dans la marmite quand il était petit, Patrick se passionne dès son plus jeune âge pour l'archéologie et l'histoire des civilisations antiques. Ses goûts éclectiques le conduisent de l'étude de l'héraldique à l'histoire du vêtement, pour finalement se consacrer à la sauvegarde du patrimoine architectural français pendant près de 10 ans. Au bout du chemin, une seule vocation demeure : la transmission.

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