L’exposition consacrée à Edvard Munch (1863-1944) présente une centaine d’œuvres : peintures, dessins, estampes… Cette rétrospective sur soixante ans de créations permet de redécouvrir l’homme, les drames qui l’ont frappé dès le plus jeune âge, la richesse de son art caractérisée par la déclinaison de motifs et de variantes pour un même sujet. La célèbre toile Le cri (1893) est représentée par une lithographie de 1895, coloriée à la main. L’exposition du Musée d’Orsay remet en perspective cette œuvre iconique en l’insérant parmi d’autres œuvres dans une fresque imaginée par Munch, appelée La Frise de la vie. Peintre des émotions, des tourments et de l’angoisse, Munch a été célèbre de son vivant et il continue de fasciner.

« Autoportrait à la cigarette » - Edvard Munch, 1895, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design, Oslo – Norvège © Fatma Alilate
« Autoportrait à la cigarette » – Edvard Munch, 1895, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design, Oslo – Norvège © Fatma Alilate

Les anges noirs

Dans la première salle du Musée d’Orsay, l’Autoportrait à la cigarette (1895) accueille le visiteur. Le jeune dandy au regard embrumé semble surpris comme s’il venait d’être découvert dans les coulisses d’une fête. A cette période, Munch fréquente la bohème de Kristiania – l’actuelle ville d’Oslo -, qui se réunit autour de l’écrivain sulfureux Hans Jæger (1854-1910). Cet ami de Munch a eu une influence sur le jeune peintre, il considérait que l’autobiographie devait être la source principale de la création artistique. Autour de cet autoportrait de jeunesse, on découvre ses sœurs Inger et Laura au regard absent (Heure du soir – 1888). Laura a souffert de troubles psychologiques et a été internée.

Les drames ont nourri l’œuvre de Munch.

Il a perdu sa mère à l’âge de cinq ans, près d’une dizaine d’années plus tard, sa sœur aînée Sophie décède à son tour de la tuberculose. Son frère meurt jeune. Les anges noirs comme il les a qualifiés – la maladie, la folie et la mort – ont poursuivi l’artiste. Une de ses plus grandes passions amoureuses s’est terminée dans un affrontement violent par lequel il a été blessé à la main par un revolver. Munch a également été interné. L’exposition du Musée d’Orsay rappelle ses traumatismes et ses tourments, elle approfondit aussi la connaissance de l’artiste, ses sources d’inspiration et son processus créatif.

Dès ses débuts, sa peinture désarçonne le public.

L’Enfant malade (1896) fait scandale. Munch y a retranscrit sa souffrance, la toile est raturée comme s’il s’agissait d’écorchures. Accompagnant son père médecin à ses visites, la vue de cette enfant malade lui avait fait revivre l’agonie de Sophie. D’autres toiles évoquent ce drame. Le lit de mort (1895) représente Sophie couverte d’un drap, entourée de visages fantomatiques dont le plus cadavérique est celui de sa mère pourtant morte près de dix années avant le décès de Sophie. Pour cette peinture, Munch convoque l’ensemble de sa famille. Son père qui s’était réfugié dans la religion est très abattu.

Une gravure présente également cette même scène dont la thématique réapparaît dans une autre toile aux dimensions monumentales, La lutte contre la mort (1915). Cette œuvre rappelle les masques de James Ensor (1860-1949), les visages ont des traits grossiers presque clownesques. Munch est considéré comme un des précurseurs de l’expressionisme.

« Le lit de mort » - Edvard Munch, 1895, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design, Oslo – Norvège © Fatma Alilate
« Le lit de mort » – Edvard Munch, 1895, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design, Oslo – Norvège © Fatma Alilate

Un cycle avec des thèmes universels et intemporels

Si sa peinture des années 1890 est en partie inspirée du symbolisme, le peintre norvégien n’a appartenu à aucun courant pictural. Il a su s’affranchir et créer son propre univers iconographique dans une certaine radicalité. Sa peinture assez obsessionnelle revient constamment sur les mêmes motifs et chaque sujet est retravaillé sur différents supports. Pour l’artiste, ses œuvres s’inscrivaient dans une continuité, un tableau permettant la naissance d’un autre tableau. Jusqu’à la fin de sa vie, Munch a gardé près de lui ses œuvres – pièce originale ou variante de l’œuvre initiale –, qu’il a réunies pour expliquer son travail.

Très tôt dans son parcours, Munch a souhaité rendre accessible sa peinture, essentiellement associée à des scandales. Il a conçu un cycle avec des thèmes universels et intemporels : « La Frise de la vie a été pensée comme une série cohérente de tableaux qui doivent donner un aperçu de la vie. (…) J’ai ressenti cette fresque comme un poème de vie, d’amour et de mort. »

Au fil de cette foisonnante exposition, les toiles sont en résonance.

Désespoir (1892) serait la première œuvre du Cri. Pour le motif du Baiser initié par un dessin de 1889-1890, les visages sans contour forment une même chair. Ce sujet est traité sur différents supports, de la gravure sur bois à la peinture. Une série est consacrée aux femmes notamment à la Madone (1895). Le peintre éprouve des sentiments ambivalents pour ces beautés aux longs cheveux qui peuvent devenir des vampires.

Pour le tableau Femme en pleurs (1907-1909), le visage d’un corps nu est barbouillé de rouge-sang. L’Allée (1895) offre une tonalité plus légère en montrant le succès d’une courtisane de la Belle Époque, séductrice d’hommes en chapeaux haut-de-forme.

Une section de l’exposition est consacrée aux influences du théâtre.

Le peintre admiratif d’Henrik Ibsen (1828-1906) s’est représenté sous les traits de certains de ses personnages. Munch a aussi travaillé pour le théâtre – décors, scénographies, affiches et illustrations de programmes -, les mises en espace de ses toiles ont été façonnées par cette expérience. La partie consacrée aux grands décors, avant l’épilogue et les derniers autoportraits, est illuminée par Le Soleil (1912), source de renaissance et de savoir. Cette section est plus apaisée, les sujets ne sont pas en lien avec la vie personnelle du peintre.

« Le Baiser » - Edvard Munch, 1894-1895, Musée Munch, Oslo - Norvège © Fatma Alilate
« Le Baiser » – Edvard Munch, 1894-1895, Musée Munch, Oslo – Norvège © Fatma Alilate

L’exposition, très dense, est ponctuée d’œuvres magnifiques.

Danse sur la plage (1899-1900) est rythmée par des impressions colorées au bord de l’eau. Soirée sur l’avenue Karl Johan (1892) met en scène la promenade urbaine de la bourgeoisie de Kristiania, de drôles de personnages aux yeux exorbités s’amassent au premier plan de la toile. Mélancolie (1894-1896) révèle la tyrannie de la jalousie. La passion amoureuse réapparaît dans nombre de toiles mais les regards des personnages ne se croisent plus.

Tout au long de sa vie, Munch travaille obstinément ses œuvres et les insère dans un cycle poétique constamment renouvelé. L’exposition du Musée d’Orsay montre l’ampleur de cette production artistique qui a su révéler le paroxysme des sentiments, au-delà du Cri.

Fatma Alilate

Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort

Musée d’Orsay

Esplanade Valéry Giscard-d’Estaing

75007 Paris

Tél. : +33(0)1 40 49 48 14

Commissariat : Claire Bernardi, directrice du Musée de l’Orangerie, avec la collaboration d’Estelle Bégué, chargée d’études documentaires au Musée d’Orsay.

Jusqu’au 22 janvier 2023

1 Comment

  1. MME LAVALLETTE BRIGITTE Répondre

    Merci pour votre article si documenté,lorsque l’on ne peut se déplacer pour voir cette exposition cela nous permet de la vivre un peu

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