Nous avons rencontré Cristo à l’occasion du film GraffBox 360 au sein de l’espace de projection 360° de l’exposition HIP-HOP 360 à la Philharmonie de Paris. Le film propose une expérience immersive unique au cœur de l’art urbain. La prochaine et dernière projection du cycle aura lieu le 15 Mai 2022 de 18h à 20h à la Philharmonie de Paris.

La Fondation Desperados pour l’Art Urbain

Elle est née de la collaboration avec le collectif historique 9ème Concept qui rassemble une communauté d’artistes urbains aux techniques variées et complémentaires. Depuis 2018 elle s’engage autour de deux principales missions que sont la promotion et diffusion de l’art urbain et le soutien à la création artistique.
Les trois projections du film GraffBox 360 , constituent une de ses récentes actions extérieures, en collaboration avec la Philharmonie de Paris.

Cristo, pourrais- tu te présenter en quelques mots ?

Je suis né en 1981. Adolescent j’ai tout d’abord été spectateur du mouvement Hip-Hop qui a connu à cette période son âge d’or. J’ai ensuite voulu moi-même expérimenter ces pratiques et je me suis donc mis à tagguer et rapper.

Cristo, Portrait, 2022
Cristo, Portrait, 2022

A 23 ans j’ai réalisé mon premier court métrage, je suis alors tombé amoureux de l’ambiance des tournages, de la fabrication de belles images. Je me suis dit assez rapidement qu’il fallait que je fasse cela aussi pour le graff. Montrer les différentes étapes de création. C’est ainsi que j’ai lancé « Artistik Performance » , qui explore la création artistique et principalement celle de rue (Tag, Graffiti, Peinture de rue, Street-art…). L’idée est d’entrevoir
ce qui n’est pas vue habituellement, les actions cachées et furtives. Depuis plus de 10 ans ce sont des dizaines de vidéos artistiques que je monte et qui sont diffusées et toujours visibles sur la plateforme Vimeo.

Sachant que je n’ai monté et montré qu’une petite partie des vidéos tournées. Il y aurait encore beaucoup de matière à voir.

Quelles sont les inspirations et la genèse de la GraffBox ?

Le film Le Mystère Picasso de Clouzot, m’a particulièrement marqué. J’avais trouvé cela génial de montrer le processus de création. Alors bien-sûr il s’agit de Picasso mais j’ai pensé que cela avait aussi du sens pour le Graff avec des artistes connus ou peu connus qui la plupart du temps n’aiment pas se mettre en avant. Le sous-titre de la GraffBox est d’ailleurs « Le Mystère Graffiti », clin d’oeil direct au film de Clouzot.

Dans ce film Clouzot avait déjà eu l’idée des systèmes de calques. Le Graff est par nature éphémère et il soulève cette difficulté de retranscrire l’acte créateur, de prendre l’artiste sur le fait. La calque est apparu comme la bonne idée. Une sorte de 4ème mur.

La conceptualisation et création de la GRAFF BOX remonte à 2015 lors d’une exposition au sein de l’ancien espace culturel Confluences situé à Paris dans le 20ème et organisée par Elise Herszkowicz et son association (Art Azoï ). C’est en 2017 que le projet prend de l’envergure. Je participe avec la GRAFF BOX à deux résidences artistiques, une première à la Villa Belleville puis dans l’atelier de l’association Le M.U.R. à Oberkampf. Durant cette période je vais inviter de nombreux artistes à poser leurs tags, throwups et graffs sur des calques. Mon ambition serait de collecter les calques d’au moins 300 artistes. Ainsi la GRAFF BOX aurait une forte influence et j’aurais réussi à dresser un véritable panorama de ce qui se fait en France.

J’ai encore un peu de travail !

Cristo, s’il fallait décrire la GRAFF BOX ?

La GRAFF BOX est une boite, en forme de grand pupitre doté d’une surface en plexiglas transparent sur laquelle on vient accoler une feuille de calque. Derrière ce système, une caméra HD vient capturer en temps réel le geste de l’artiste et l’œuvre qui est en train de se créer. L’image est capturée et enregistrée à l’envers, et c’est en post-production qu’elle est retournée.

L’artiste n’est donc pas visible, à l’exception de sa main quand elle vient se coller au calque, le regard est donc focalisé sur le tracé qu’il exécute, les formes ou les lettres qui se construisent. L’artiste donne à voir sans être vu. La caméra filme à vitesse réelle, en 25 images/secondes, et imprime ainsi de manière totalement fluide la création de l’artiste.

GraffBox 360, par Cristobal Diaz, Artiste, Clement Laurentin ©photo Nico Giquel
GraffBox 360, par Cristobal Diaz, Artiste, Clement Laurentin ©photo Nico Giquel

Tout le monde a les mêmes outils avec différentes tailles de marqueurs. Je souhaitais du noir car très souvent on pense que le Graff c’est uniquement coloré. Mais le marqueur noir donne une unité et l’on voit l’essence de l’artiste. Pour certains graffeurs c’est un peu déstabilisant, car là il n’y a pas de filet.

L’effet masquant du calque m’a permis d’accueillir de nombreux graffeurs qui souhaitent garder leur anonymat.
Une autre force de la GRAFF BOX c’est que l’ensemble des calques peuvent ensuite être exposés, notamment avec un système de rétro-éclairage. Et de manière plus complexe en faisant des installations mêlant calques et vidéo.

Cristo, comment est née cette commande de film artistique inédit ?

Lorsque j’ai parlé de ce projet en 2019 à Stéphane Carricondo, directeur artistique de la Fondation Desperados pour l’Art Urbain, il m’a immédiatement montré son enthousiasme. Grace à son soutien et celui de la Fondation j’ai pu refaire la GRAFF BOX, mais cette fois de manière plus poussée et avec du matériel, notamment vidéo, plus actuel. J’ai ainsi refait des sessions de graff sur calque.

Puis la Fondation m’a mis en relation avec le commissaire de l’exposition « HIP-HOP 360 » à la Philharmonie de Paris, François Gautret. Ce dernier fait un travail remarquable et est un grand animateur de la communauté Hip-Hop en France. Ensemble ils m’ont proposé de participer à l’exposition en y présentant un film spécialement édité pour l’occasion avec les vidéos de la GRAFF BOX.

La grande motivation a été la salle à 360 degrés. J’ai ainsi dû créer une vidéo qui corresponde à ce format spectaculaire. Le plus délicat fut de faire des choix sur les dizaines et dizaines d’artistes invités à l’expérience
de la GRAFF BOX. Le film dure une vingtaine de minutes mais en réalité il faut le voir plusieurs fois pour bien appréhender l’ensemble.

GraffBox 360, par Cristobal Diaz, Artiste Deba ©photo Nico Giquel
GraffBox 360, par Cristobal Diaz, Artiste Deba ©photo Nico Giquel

La GRAFF BOX n’est-elle pas réductrice pour un artiste urbain habitué des supports marginaux et extérieurs et souvent sans cadre ?

L’outil principal des artistes urbains est la bombe, mais le deuxième est sans doute le marqueur. Ils n’étaient donc pas perdus avec l’outil mis à disposition. Ensuite bien-sûr certains se sont sentis contraints ou mis en difficulté notamment pour ceux qui n’avaient pas l’habitude de « la ligne continue ». D’autres auraient souhaité ajouter de la couleur.

Mais la plupart étaient intrigués par le support du calque, comment cela allait réagir. Le calque c’est un peu comme un mur lisse Je pense que l’ensemble des artistes qui ont répondu à l’invitation ont vécu ce moment comme une expérience. Pour eux la proposition était nouvelle.

GraffBox 360, par Cristobal Diaz, Artiste, Nebay 1 ©photo Nico Giquel
GraffBox 360, par Cristobal Diaz, Artiste, Nebay 1 ©photo Nico Giquel

On réduit souvent la culture Hip-Hop à son expression musicale, que penses-tu de la place du graff dans le Hip-Hop ?

On peut considérer que la Graffiti est lié à 90% au Hip-Hop. Mais je dirais que tout est imbriqué. Aux origines du Hip-Hop, les B-boy savaient tout faire. Par exemple le DJ Dee Nasty est aussi un graffeur et un danseur. Joey Starr et Kool Shen ont également graffé avant de se faire connaitre comme rappeurs.

Et de la même manière l’on s’habille avec le code Hip-Hop. Aujourd’hui l’évolution est grande. Tous les graffeurs n’écoutent pas du Hip-Hop, pour certains cela peut-être de l’electro et pourquoi pas tout autre type de musique. C’est devenu une culture de masse. Mais paradoxalement le graff lui-même n’est pas reconnu. Doit-on attendre que deux générations de graffeurs meurent pour une reconnaissance ?

La plupart des amateurs voir même collectionneurs connaissent souvent des artistes à la mode, grand public, comme Jonone, Space Invader, Zevs, l’Atlas.

Cristo, quel est l’artiste du street-art qui t’a particulièrement marqué avec la GRAFF BOX ?

Je pense immédiatement à SAN, c’est le doyen des artistes qui ont participé à la GRAFF BOX. Il fait partie des 93MC un des plus vieux crew de paris. Ce fut une grande fierté qu’il participe à ce projet. Pour moi c’est un grand nom du graffiti français et c’est très important qu’il soit présent dans l’aventure.

Ton film « GraffBox 360 » apparaît lui-même comme une performance artistique ? Cristo est-il un artiste ?

J’ai tagué pendant des années. Mais aujourd’hui je me considère plus comme un directeur artistique et un réalisateur. Disons que je sais mettre en scène, recueillir. Avec la GRAFF BOX, je suis devenu aussi archiviste. Pour étudier l’histoire particulière de l’art urbain et le richesse de ce milieu ( entre calligraphie et art abstrait). Mes différentes expériences me conduisent je crois aujourd’hui à pouvoir me revendiquer comme un expert du graffiti.

Cristo, tu sembles attiré par l’essence du graff ( gestuelle, créativité), que penses-tu de la marchandisation des artistes du street-art ?

Je souligne que cette collection liée à la GRAFF BOX est une et indivisible. Rien n’est à vendre ! Je ne cherche pas à commercialiser mes initiatives. Je considère que ma mission est de montrer la diversité du mouvement, de faire connaître les pionniers.

Il est difficile de répondre au fond à cette question. Par exemple Trane ou O’Clock, deux rois du graff parisien, auraient pu pousser la vente de leurs graff comme bien d’autres. Ils ont tout de même participer à quelques expos mais sans pousser la machine. Tandis que d’autres graffeurs, ou street-artistes plus récents se sont engouffrés dans la commercialisation de leurs graffs en utilisant le support toile et en exposant en galerie. Mais à la fin qui est le plus légitime ?

Quand Banksy excite le marché de l’art avec des oeuvres surcotées, je me dis c’est génial ! Car ce mec il représente le milieu, il en reprend les codes, il a une vraie démarche. C’est donc mérité.

Dans un contexte musical quand les anciens du rap disent ne plus se reconnaître par cette culture, c’est un peu la même question. En fait on n’y peut rien, il y a souvent de grands écarts.

As-tu déjà rêvé d’une institution qui pourrait rassembler l’ensemble de ton travail de captation autour des artistes urbains ?

Sans prétention j’aimerais que cela soit au Musée du Louvre. C’est le musée par excellence. C’est un des grands repères. Ce serait une reconnaissance et une réussite incroyable pour ce mouvement qui est souvent uniquement associé à l’esprit de destruction et de dégradation. Ce mouvement dans toute sa diversité existe depuis 40 ans, mais finalement il n’y a eu que quelques expos. On ne peut pas tout aimer dans le graff mais il y a forcément un trait, un univers, un artiste qui nous excitera.

Et surtout comme c’est un art éphémère, si on ne prend soin de l’immortaliser, il n’en restera rien.

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Propos recueillis par Nicolas Samson Agnez,

Fondateur et directeur de l'AGNEZ ART GALLERY, galerie d’art contemporain nomade, Nicolas SAMSON-AGNEZ est un fervent défenseur de l’innovation dans le monde de l’art. Il crée les Collections(é)Mouvantes , un ensemble d’expositions sur mesure, thématiques et itinérantes à l’image de la galerie. Il est également Commissaire d’exposition et Consultant en Art pour les entreprises, les collectivités et particuliers. Habitué de la prise de parole en public, dans une volonté d’échange et de partage d’expériences, il anime des conférences et accompagne les artistes.

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