Du 24 septembre au 5 novembre 2022, Paris accueille une exposition hors-norme, organisée par la galerie d’art urbain Mathgoth, consacrée à l’une des figures emblématiques du Street Art, Jef Aérosol. Lieu insolite, mise en scène immersive, œuvres originales, artiste honoré… rendez-vous face à la Bibliothèque François Mitterrand au cœur du 13e arrondissement de Paris.

En quarante ans de carrière, Jef Aérosol a eu maintes et maintes occasions d’orner les murs des villes du monde entier de ses portraits noir et blanc grandeur nature. Et même lorsque le Street Art nous est étranger, il n’en est pas de même avec les œuvres reconnaissables parmi tant d’autres de celles de l’artiste aux multiples talents (pochoiriste, peintre et musicien) Jef Aérosol. Portraits d’anonymes, de personnalités, tous ont en commun de révéler une humanité bouleversante. Le plus célèbre d’entre eux ? Un autoportrait intitulé « Chuuuttt !!! » peint sur la place Igor Stravinsky à Paris, qui est à ce jour, la fresque la plus photographiée de France.

 « Chuuuttt !!! »  de Jef Aérosol
« Chuuuttt !!! » de Jef Aérosol

A l’occasion du 40e anniversaire du premier pochoir de Jef Aérosol, l’artiste et la galerie Mathgoth ont conçu une exposition hors-norme réunissant des centaines d’œuvres créées spécialement pour cet événement. L’occasion pour Cultur’easy de converser avec l’artiste aux multiples talents (pochoiriste, peintre et musicien) et de découvrir les témoignages d’amitié de deux autres artistes, qui chacun dans leur domaine, la musique et le Street Art, ont collaboré avec Jef Aérosol, Félix Sabal-Lecco et Kelu Abstract.

Jef Aérosol, que représente pour vous cette exposition anniversaire ?

« Si on m’avait dit cela il y a 40 ans, je ne l’aurais pas cru ! Lorsque j’ai démarré, c’était une autre époque. Le contexte était différent, les moyens de communication pour faire sa place aussi. Moi, j’ai connu les fanzines, les radios libres et tout prenait du temps. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, tout va plus vite. Un jeune artiste a plus de chance de se faire connaître rapidement. Et pourtant, je suis encore là, quarante ans plus tard !  Mes œuvres ont trouvé leur public dans la rue, le bouche à oreille a fait le reste. J’ai savouré chaque moment et je dois dire que j’ai eu de la chance que la vie, « la vraie », passe en parallèle de ma vie d’artiste. Je me sens privilégié. »

Robert Zimmerman and the red Arrows, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth
Robert Zimmerman and the red Arrows, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth

Est-ce aussi parce que vous êtes un artiste touche à tout ?

« Certainement. Durant de nombreuses années, j’ai exercé le métier d’enseignant en parallèle de mes activités artistiques. Cela m’a permis de garder les pieds sur terre. Le fait de ne pas habiter Paris aussi d’ailleurs car cela m’a permis d’évoluer dans un monde en dehors du microcosme artistique parisien, qui vous rend égocentrique et déconnecté de la réalité. Même si durant toutes ces années je n’ai pas eu le statut d’artiste officiel, que ce soit dans la musique ou dans le graff, j’ai toujours fait les choses avec le souci de bien faire. Je crois pouvoir dire qu’au final, cela m’a plutôt bien réussi ! (rires) »

La Boudeuse, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth
La Boudeuse, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth

Quelles évolutions avez-vous apporté à votre technique en 40 ans ?

« En 40 ans, les outils de travail ont évolué et donc ma technique s’en est trouvée modifiée. Les papiers calques, millimétrés et le crayon avec lesquels je fabriquais des pochoirs simples dits « unicouches » ont été remplacés par les nouvelles technologies. Grâce à elles, je travaille mes créations en superposition de couches, tout en isolant les blancs et les noirs. Ceci étant, je reviens aussi aux anciennes techniques car elles me permettent d’avoir un geste plus spontané. En fait, il faut d’abord savoir ce que l’on veut dire. Ensuite, on adapte les techniques en fonction du sujet rendu. »

The Shibuya Macadam Swinger, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth
The Shibuya Macadam Swinger, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth

Pouvez-vous nous expliquer le concept de cette exposition anniversaire ?

« L’exposition est articulée autour de deux espaces, qui ne communiquent pas entre eux. J’ai volontairement fait en sorte de créer deux espaces distincts dans un lieu insolite, un plateau de béton brut en rez-de-chaussée d’un immeuble neuf et pas encore habité. Le visiteur est amené à découvrir en premier lieu l’installation immersive conçue spécialement pour l’exposition. Une œuvre en soi qui plonge le visiteur dans un chaos urbain reconstitué. Motos rouillées, matelas éventrés cohabitent avec près de 200 personnages grandeur nature en noir et blanc que j’ai créés depuis le début des années 2000. Quelques effets lumineux par ci par là et le décor est planté !

Le deuxième pan de l’expo est plus classique. Avec des toiles et des tableaux réalisés en atelier spécialement pour l’occasion. Quatre pièces sont dédiées à mes thèmes de prédilection – la musique, l’enfance, l’autoportrait et le paysage urbain – et un espace vidéo permet aux visiteurs de découvrir deux films diffusés en boucle. L’un d’entre eux, Rencontre avec Jef Aérosol, est un véritable face à face virtuel entre le visiteur et moi-même. »

Black is Beautiful, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth
Black is Beautiful, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth

Kelu Abstract est un artiste urbain passionné. Un incontournable de la métropole de Lille qui peint des visages en noir et blanc dans les rues, comme son idole, Jef Aérosol. Un parcours atypique, multi artiste à l’image de son mentor, Kelu, qui depuis deux ans parvient à vivre de son art, a accepté de nous narrer leur rencontre insolite et leur complicité naissante.

Kelu, pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Jef Aérosol ?

« Comme Jef, j’ai eu une première vie en parallèle de ma vie d’artiste. J’ai été durant plusieurs années éducateur spécialisé et j’ai eu l’occasion de le rencontrer en 2019 dans le cadre d’un projet artistique particulier. Jef devait peindre une grande fresque de portraits au cœur d’un quartier lillois. J’ai accompagné un habitant de ce quartier en situation de handicap lors du casting et nous avons été pris tous les deux en tant que modèles. Ce fut une rencontre privilégiée. Nous nous sommes ensuite recroisés dans le cadre de nos activités de musiciens et c’est seulement cette fois-là que nous avons échangé sur nos parcours respectifs et que nous avons appris à nous connaître. »

Avez-vous déjà collaboré artistiquement avec lui ?

« Oui tout à fait. J’ai eu la chance de l’assister sur la création d’une fresque à Lille et je peux vous assurer que cette expérience a été extrêmement formatrice ! Apprendre aux côtés de son idole n’est pas donné à tout le monde et moi, j’ai cette chance infinie. J’en suis très fier. C’était en plus la première fois que je peignais une grande fresque et j’ai énormément appris. Je ne me permettrais jamais de me comparer à lui car Jef est selon moi un artiste légendaire. Mais nous nous sommes découverts de nombreux points communs. La musique, le parcours de vie et les valeurs humaines… J’ai plaisir à le croiser désormais régulièrement et à chaque fois, c’est une nouvelle expérience artistique unique. »

A l’occasion de la dixième édition du festival Bluesin’(a)out, le festival a mis en scène une performance artistique durant laquelle Jef Aérosol a graffé en rythme sur une improvisation de Félix Sabal-Lecco, véritable génie de la percussion, batteur de Prince ou de Sting pour ne citer qu’eux. En plein session d’enregistrement à l’étranger, l’homme aux baguettes d’or se souvient de ce moment artistique hors du temps.

Félix, vous avez collaboré avec Jef lors du festival Bluesin’ (a)out en 2018, comment s’est passée votre rencontre ?

« La rencontre avec Jef s’est faite rapidement et très simplement… de toute façon avec Jef c’est toujours rapidement et simplement ! Ça marche ou ça ne marche pas… ça passe ou ça casse ! Et même si ça ne marche pas, il va rebondir sur ce qui ne marchait pas et créer quelque chose de nouveau et de positif par-dessus… et ça en l’espace de 5 secondes !  Je ne l’avais jamais rencontré auparavant sauf ses œuvres dans plusieurs villes et pays.

Nous n’avons jamais évoqué ce que l’on allait faire ensemble. On a beaucoup plus parlé de bonne nourriture et de musique. C’est un super musicien complètement amoureux de blues et de musique anglaise des années Beatles ou de rock. Il n’y a qu’à regarder les boots qu’il a aux pieds ; ce sont exactement les mêmes que Paul McCartney, Jimmy Hendrix ou Joe Cocker. Nous avons d’ailleurs bien ri avec ça ! Rien qu’à sa dégaine je me disais qu’il allait monter sur scène ce soir-là avec un groupe de musiciens… faire beaucoup de bruit et tout casser ! »

A Million Miles Away, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth
A Million Miles Away, Jef Aérosol (2022)©galerie Mathgoth

Comment avez-vous vécu cette communion artistique ?

« En fin d’après-midi, j’ai monté ma batterie sur une estrade à deux mètres de la sienne. Lui avait monté un support où il devait « jouer » de la bombe. Quelques heures après, nous étions en place. Un regard a suffi pour nous faire débuter le moment. J’ai commencé le premier à jouer de la batterie de manière fractale et désarticulée. Des mesures impaires et des rythmes irréguliers ! Lui, il a puisé dans tout ce que je proposais dès les premières secondes, pour donner son premier coup de bombe…  

Et après c’était parti ! De temps en temps, je m’arrêtais pour puiser dans ses gestes et les mouvements de son corps, un rythme et de l’inspiration à mon tour… la vitesse à laquelle il travaillait était impressionnante… Parfois il s’arrêtait brusquement… il m’écoutait faire des sons, et il repartait sur son œuvre en dansant. Je soupçonne d’ailleurs qu’il écoute beaucoup de rythmes africains (rires).  

Je suis descendu de ma batterie, j’ai joué parterre, j’ai joué sur le tableau qu’il était en train de faire, j’ai joué sur ses pochoirs qui étaient par terre… J’ai même joué sur lui et sur les bombes qu’il avait dans les mains. Lui, il a peint par-dessus mes baguettes… Ça le rendait fou ! On aurait dit que nous étions en transe. J’ai appris à jouer sur n’importe quoi et avec n’importe quoi mais ce moment de partage était unique ! Par moment, on aurait dit que c’est lui qui jouait de la batterie et que c’était moi qui jouais des bombes. Le public était euphorique et nous poussait dans nos extrêmes. »

Jef Aérosol et Félix Sabal-Lecco lors du  Bluesin’ (a)out en 2018
Jef Aérosol et Félix Sabal-Lecco lors du Bluesin’ (a)out en 2018

Que représente Jef pour vous ?

« Cette performance a été pour moi l’une des plus belles performances que j’ai réalisées avec un artiste peintre, dessinateur ou tagueur ! Je trouve que Jef a une facilité exceptionnelle à s’adapter au fur et à mesure que son œuvre avance. Il peut commencer sans savoir exactement où il va aller et terminer sur quelque chose d’absolument magnifique, époustouflant et ahurissant ! Mais il peut tout autant exécuter un travail minutieusement préparé durant des jours et parfois des mois à l’avance. Je suis persuadé que sa force et son génie viennent du fait qu’il ait d’autres passions aussi puissantes que ses bombes, ses peintures, et ses pochoirs. Il reste pour moi un des meilleurs… si ce n’est le meilleur de la planète, en restant tout aussi simple, humain, humble et créatif ! »

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Propos recueillis par  Celine Chaudagne,

Produit des 70’, je ne suis pas vieille mais vintage ! Femme de lettres, grande bavarde, curieuse du monde qui m'entoure. J’aime aller à la rencontre des autres et coucher sur le papier leur expérience de vie. Jouer avec les mots est dans mon ADN. La vie n'est certes pas un long fleuve tranquille, mais je vis chaque jour comme le meilleur.

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