Des lunettes rondes cerclées de fer ; une casquette bombée à visière ; une salopette bleue été comme hiver ; une besace en bandoulière ; un quatuor à cordes sur le fil de l’air… Voici un inventaire à la Prévert, pour plonger dans différents univers, ceux où les héros bousculent notre imaginaire, cinéma musique opéra ou œuvre littéraire, allons à la rencontre de quelques personnages extraordinaires… les enfants de la culture.
Jeu de piste
Avez-vous reconnu qui se cache derrière chaque indice de la liste ci-dessus ? Allez ! Un petit effort vous y êtes presque ! Je vous aide : ce sont des personnages masculins, enfants, qui connaissent le plus souvent un destin tragique, semé d’embuches, de mauvaises rencontres et d’aventures qui les amènent à se surpasser. Reflet d’une époque, d’une certaine conception de l’éducation, de la relation à l’adulte et à l’environnement dans lequel ils évoluent, ils amènent les lecteurs, auditeurs ou spectateurs, souvent du même âge, à s’interroger sur des notions telles que la solitude, la maltraitance, la misère.
Attention ! L’humour n’est jamais très loin, pour dédramatiser certaines situations. Les adultes peuvent accompagner cette réflexion par leur présence, leur écoute, et surtout, la réponse aux questions qui peuvent déferler par la suite.
Un point commun réunit les héros dont il est question ici. Hormis le fait qu’ils sont tous de sexe masculin, ils sont avant tout orphelins et entrent dans la vie démunis de famille, de repères et de stabilité. Ils vont dès lors devoir déployer des ressources insoupçonnées pour exister, grandir, s’affirmer.
Les enfants vagabonds
Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n’avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c’était. — Et je m’en aperçois seulement !
L’impossible, issu d’Une saison en enfer, Arthur Rimbaud
Quand l’auteur évoque cette vie d’errance qui n’appartient qu’à soi et que l’on partage au gré de ses haltes, de ses embuscades pour espérer grappiller un peu de pitance, parfois un abri pour dormir au sec. Ça, c’est la vie de bien des personnages de littérature.
Le gamin à la salopette bleue, c’est lui, Tom Sawyer
Il naît sous la plume de Mark TWAIN en 1876. Le livre est publié d’abord en Angleterre puis aux États-Unis. Orphelin, Tom vit avec tante Polly, son demi-frère Sid et sa cousine Mary dans une ville imaginaire du sud des États-Unis. Il n’aime pas vraiment l’école, préfère quand elle est buissonnière, et s’échappe dès qu’il le peut pour faire les quatre cents coups, si possible avec ses copains Joe Harper et le vagabond Huckleberry Finn. Il plonge très souvent dans un imaginaire fait de magie pour duper une existence qui ne le fait pas rêver. Le monde des adultes n’est pas si attirant tout compte fait !
Ce livre, emblématique d’un xixe siècle où l’écriture sociale occupe une place à part, mêle à la fois fiction et réalité puisque son auteur a puisé dans sa propre enfance pour le composer. Grâce à un langage simple, il parvient à évoquer les travers d’une société via les aventures malicieuses d’un gamin dont on ne connaît pas vraiment l’âge.
Pourquoi les jeunes lecteurs s’identifient-ils à lui ?
Est-ce parce qu’il est débrouillard, intrépide, justicier redresseur de torts quand il le faut ? Sans doute un peu de tout ça à la fois. Quel enfant n’a pas souhaité… rêvé un jour d’être un héros « pour de vrai » ?
Quarante ans auparavant, de l’autre côté de l’Atlantique, Oliver Twist, gamin orphelin qui vit dans un orphelinat de l’Angleterre victorienne, ouvre la voie des histoires à caractère social
L’enfant survit au milieu de ses compagnons d’infortune. Mal nourri, exploité, il est placé dans une entreprise de pompes funèbres où, là encore, il ne connaît que privations et mauvais traitements. Oliver endure tout, jusqu’au jour où une provocation de trop le pousse à s’enfuir vers Londres. Si Charles DICKENS a choisi de raconter l’histoire de ce gamin – qui deviendra plus tard emblématique de son œuvre, puisqu’il s’agit ici seulement de son deuxième roman – c’est avant tout pour dénoncer les grandes difficultés sociales de ce premier tiers du xixe siècle : la pauvreté, l’exploitation du travail des enfants et la criminalité urbaine.
Publiée en 1838, l’histoire est contemporaine de la « Poor Law », Loi sur les Pauvres, votée à Londres en août 1834
Son principe : mettre fin à l’assistance à domicile aux indigents, considérée comme trop onéreuse, et instituer leur enfermement en workhouses (hospices). Charles DICKENS en fustige la dureté à travers l’histoire d’Oliver Twist. Il se sert de cet enfant, persécuté dans un hospice pour pauvres, comme vecteur d’une attaque contre les institutions, les usages et les abus. Il inaugure ainsi solennellement la veine de la fiction à vocation sociale ; il donne une voix aux sans-voix et fait d’Oliver une icône d’injustice, victime de la charité officielle, de l’église et de la loi.
Les enfants rebelles
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à… [Rousseau]
Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois, il s’abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler.
Victor HUGO, Les Misérables, Cinquième partie, Livre premier, chapitre XV, 1862
Nous sommes en France, dans le premier tiers du xixe siècle. Des bouleversements majeurs soulèvent le pays, la misère gangrène Paris et essaime en Province. L’injustice fait loi. Victor HUGO rédige Les Misérables, un roman épique, vaste fresque historique et sociale, pour rendre hommage et dénoncer. Rendre hommage aux oubliés, ces Misérables, opprimés, gens du peuple qui luttent pour leur survie.
Dénoncer l’époque, cette société qui pousse au crime, le manque d’éducation
Plusieurs personnages de misère vont s’entrecroiser : Fantine, Cosette, Petit Gervais, Marius. Mais il en est un, emblématique, un enfant des rues, un « joyeux va-nu-pieds » livré à lui-même, qui va porter haut les couleurs de l’insurrection et du courage : Gavroche. Il connaît Paris comme sa poche – sa mère de substitution –, trouve mille astuces pour survivre sans jamais se plaindre.
Il ne semble avoir peur de rien ni de personne. Au contraire. Lorsque le peuple se soulève et dresse les barricades dans Paris, il, harangue la foule et jubile. Son destin sera funeste. Il aura auparavant marqué de son empreinte la lutte contre l’oppression.
Si l’œuvre de Victor HUGO, Les Misérables, est avant tout littéraire, le personnage de Gavroche est apparu trente ans plus tôt dans le tableau d’Eugène DELACROIX
C’était un garçon bruyant, blême, leste, éveillé, goguenard, à l’air vivace et maladif. Il allait, venait, chantait, jouait à la fayousse (N.D.A. Jeu consistant à introduire le maximum de pièces ou de cailloux dans un trou), grattait les ruisseaux, volait un peu, mais comme les chats et les passereaux, gaîment, riait quand on l’appelait galopin, se fâchait quand on l’appelait voyou. Il n’avait pas de gîte, pas de pain, pas de feu, pas d’amour ; mais il était joyeux parce qu’il était libre.
Victor HUGO, Les Misérables, Troisième partie, Livre premier, chapitre XIII, 1862
La révolte de Juillet 1830, l’assaut final, trois jours dits « Trois Glorieuses » – les 27, 28 et 29 juillet. Plus tard, d’autres arts contribueront à faire connaître cette fresque historique : cinéma, théâtre, comédie musicale.
Les enfants désobéissants
Changeons de siècle et de registre. Passons au xxe siècle et glissons vers l’opéra avec Pierre et le loup, imaginé, écrit et composé par Sergueï PROKOVIEF en 1936. Nous sommes en Russie. Ce conte symphonique, destiné aux enfants, raconte l’histoire de Pierre, un garçon, qui, malgré les avertissements de son grand-père, capture un loup et sauve ses amis les animaux. Cette pièce musicale a été commandée à l’artiste par la directrice du théâtre central pour enfants de Moscou.
Elle souhaite proposer aux enfants des œuvres musicales didactiques, afin de les initier à la musique classique d’une part, et leur faire connaître les principaux instruments de musique d’un orchestre symphonique d’autre part. PROKOVIEF s’exécute et compose Pierre et le Loup sur le thème allégorique du « petit Pierre qui n’a pas peur du grand méchant loup » (variante du Petit Chaperon rouge). Sa musique est célèbre pour son utilisation de thèmes musicaux associés à chaque personnage, comme un air joyeux pour Pierre et une mélodie menaçante pour le loup.
Pierre, ce petit garçon désobéissant de 8 ans qui gambade dans la forêt, s’oppose ainsi à son grand-père
Il est turbulent, avide d’espace, et surtout curieux. Rester à la maison, fermer la porte et les yeux sur les mystères offerts par la nature ? Que nenni ! Il n’en fera qu’à sa tête, quitte à avoir peur et à se mettre dans des situations délicates. La morale de ce conte musical ? Avec du courage et de la ruse, un enfant neutralise l’objet de toutes les peurs. Conte initiatique qui va permettre à Pierre de cheminer, de grandir et de le porter vers son passage à l’âge adulte, qu’il franchit en observant les animaux. On apprend de son expérience et de ses erreurs. On s’émancipe pour se forger sa propre identité. Qui ne s’y reconnaîtrait pas ?
Un peu de magie
Bouclons notre tour d’horizon d’enfants emblématiques de la culture et traversons La Manche. Nous sommes en Angleterre. En 1990. Dans un train reliant Manchester à Londres, une jeune secrétaire de 25 ans se perd dans ses pensées et imagine un univers magique dans lequel grandirait un petit sorcier. La légende dit qu’elle ne possède ni crayon ni papier et développe son idée uniquement dans sa tête. Elle, c’est J.K. ROWLING. Lui, ce sera Harry Potter.
Un univers où le monde est séparé entre les sorciers et les simples humains, appelés moldus. Harry Potter, jeune sorcier orphelin de 11 ans, tente de faire face à un puissant mage noir, Lord Voldemort, en même temps qu’il apprend à dompter ses propres pouvoirs. Il sera accompagné dans sa quête par ses amis Hermione Granger et Ron Weasley. La saga compte sept tomes, chacun illustrant une année passée à Poudlard, l’école des Sorciers.
Harry Potter, c’est l’enfant qui sommeille en chacun de nous
Celui qui a besoin de s’identifier à un héros à travers des valeurs de courage, d’amitié, de loyauté, d’esprit d’équipe et de connaissance. Si l’œuvre plait autant, aussi bien aux jeunes lecteurs qu’aux adultes, c’est aussi parce qu’elle est écrite dans un langage recherché. Le vocabulaire est choisi, ciselé, pour permettre la juste compréhension des situations dans lesquelles est exposé le jeune sorcier. Le récit se nourrit de descriptions fines, détaillées, vivantes. Nous sommes là aussi dans un cheminement initiatique composé d’embûches, d’énigmes à résoudre et de peurs à affronter. Passée au cinéma, elle a continué sa route et accueille aujourd’hui une nouvelle génération de fans. Les lecteurs de la première heure ont quant à eux bien grandi…
Des personnages pour rêver, s’identifier, grandir…
N’est-ce pas là la recette pour parler d’un monde qui questionne, malmène, effraie parfois ? Se pencher sur Les Misérables, Oliver Twist, Tom Sawyer, Harry Potter ou Pierre et le Loup, c’est observer le monde par le bout de la lorgnette, repérer ses failles, ses dangers. Tous ces personnages ont en commun d’être entrés dans la vie sans en avoir goûté la douceur ou le sucré.
Orphelins, ils ont dû grandir aux côtés d’adultes pas toujours cléments, affronter leurs peurs, faire face à mille péripéties, et faire preuve d’ingéniosité pour parvenir à leurs fins. Ils sont démunis, certes, mais leur agilité d’esprit et leur débrouillardise leur permettent de se sortir des situations les plus périlleuses. Ces personnages représentent des modèles pour les jeunes lecteurs (ou auditeurs, spectateurs) auxquels ils peuvent s’identifier.
Pour découvrir encore plus d’articles inspirants, téléchargez l’application Cultur’easy sur Applestore ou Playstore.
Article concocté par Claire Bouchet ,