Le père (Paul Minthe) rentre chez lui, à Turin en Italie. Il serre dans ses mains l’urne funéraire de son fils, suicidé dans les eaux du Lambro. Il était travesti et prostitué. A un arrêt de bus, face au public du Théâtre du Rond-Point, le père commence un dialogue avec son fils qu’il ne voyait plus depuis plusieurs années.

Paul Minthe est à l’initiative de la création de cette pièce d’Antonio Tarantino (1938-2020). Le comédien interprète avec intensité ce texte dans une mise en scène épurée de Jean-Yves Ruf.

« Vêpres de la Vierge bienheureuse » d’Antonio Tarantino avec Paul Minthe © Alban Van Wassenhove
« Vêpres de la Vierge bienheureuse » d’Antonio Tarantino avec Paul Minthe © Alban Van Wassenhove

Une langue admirable, très imagée

Il s’agit de la deuxième collaboration entre Paul Minthe et Jean-Yves Ruf pour une pièce d’Antonio Tarantino. Il y a une dizaine d’années, ils avaient créé Passion selon Jean du même auteur. Tarantino est venu tardivement à l’écriture. Il a été peintre et sculpteur. Il a commencé à écrire pour le théâtre au début de la décennie 1990, le succès a été immédiat. C’est par hasard que Paul Minthe a découvert l’auteur, il a fait découvrir ses textes à Jean-Yves Ruf.

Tous deux ont rencontré Tarantino et ça a été un coup de cœur pour ce personnage anarchiste, engagé qui a mis son talent au service des marginaux et des plus pauvres. Avec émotion, Jean-Yves Ruf se souvient de cette rencontre. Tarantino était venu à Paris accompagné de deux amis qu’il avait sortis d’un hôpital psychiatrique. Dans un restaurant alors qu’il s’efforçait de faire manger de la soupe à ses amis, le dramaturge avait signé sur un bout de nappe l’autorisation des droits de la pièce.

Pour la mise en scène des Vêpres de la Vierge bienheureuse, Jean-Yves Ruf privilégie la sobriété afin de valoriser cette langue admirable, très imagée avec des moments décalés.

Une chambre en écho accueille la musicalité des voix. Il s’est inspiré de l’Art brut en convoquant des moments de fulgurance, des glissements de séquences. Paul Minthe se sent intimement lié à Tarantino. Il est reparti récemment sur ses traces, découvrir sa maison d’enfance, les lieux de vie qu’il fréquentait à Turin. Le comédien vient de traverser une terrible épreuve, il a souffert d’un cancer – il a publié un livre sur cette expérience très intime, La promesse de Samothrace aux Editions Les Lettres Mouchetées.

Depuis deux ans, il lit le texte des Vêpres dont la forme et le contenu déboulent et embarquent – un texte brut, une succession de virgules et aucune didascalie. Paul Minthe a proposé le projet d’une adaptation à Jean-Yves Ruf, et Jean-Michel Ribes le directeur du Théâtre du Rond-Point a également adhéré à cette première création. Sur scène, c’est avec des pas hésitants que le père apparaît.

« Vêpres de la Vierge bienheureuse » d’Antonio Tarantino avec Paul Minthe © Alban Van Wassenhove
« Vêpres de la Vierge bienheureuse » d’Antonio Tarantino avec Paul Minthe © Alban Van Wassenhove

Paul Minthe alterne les rôles

Le père tient dans ses mains l’urne funéraire de son fils.

Des mots abrupts, un parler vulgaire, il se défend face à la culpabilité qui le submerge. Tout à coup, la voix s’adoucit. Dans ce soliloque, Paul Minthe alterne les rôles. Il est aussi le fils, la mère, les copains des bistrots… Dans la première partie, nous assistons à une mise au point avant de véritables adieux. Acculé, le père est maladroit. Oui il a entraîné son fils dans un cambriolage, il ne l’a pas alerté sur les dangers et la surveillance des douaniers.

En quête de vérité, la petite voix du fils continue à interroger mais finit par s’essouffler. Dans un sursaut d’amour, le père se ressaisit, il rappelle qu’il ne l’a jamais lâché alors qu’il se travestissait et se prostituait à Milan. Le père a dû supporter les moqueries : « Et moi dans ce bar à souffrir. Joli le fiston, disaient les gens. » Enfermé dans son silence, il n’a pas condamné ce fils qui était affublé du surnom de la « la Vierge bienheureuse ». Il y a-t-il plus belle déclaration ?

Accablée par la honte, la mère vocifère :

« Bâtards, culs-terreux, sales porcs toi et ton père. » A plusieurs reprises, elle crie de rage et raconte ses malheurs. Montrée du doigt, elle n’ose plus sortir. Elle a renoncé à faire les ménages dans un marché de la ville. Par un flot de paroles, elle déballe tout : les bars, les « putes » du père, les dettes, les jeux de cartes, et cette terrible honte.

Dans ce brouhaha, la petite voix devient plus insistante. Le fils ne veut pas rester coincer dans cette existence de reproches et d’insultes, il demande de l’aide pour sortir de la boîte. Le père accepte de l’accompagner à un dernier voyage vers l’Eternité où se mêlent mythologie et poésie de la langue. Une complicité les relie, les échanges sont plus tendres même si des mots rudes et directs resurgissent. Le fils est conciliant, il approuve son père comme pour le rassurer ou plutôt pour « se rassurer » puisqu’il s’agit du même personnage qui fait face au travail du deuil.

Pour cette ultime traversée, le père donne des conseils. L’urne à la main, il se lève, marche, parle avec émotion : « Tu dois pas tomber (…). Il est sûr que si tu tombes, tu peux plus te redresser et t’es piétiné par ceux qui suivent. »

« Vêpres de la Vierge bienheureuse » d’Antonio Tarantino avec Paul Minthe © Alban Van Wassenhove
« Vêpres de la Vierge bienheureuse » d’Antonio Tarantino avec Paul Minthe au Théâtre du Rond-Point © Fatma Alilate

Paul Minthe, seul en scène, réussit à rendre limpide ce texte sensible à plusieurs voix.

La performance est difficile. Ce poème d’amour d’un père à son fils est porté par une interprétation élégante et pudique, une gestuelle minimaliste. Paul Minthe confie ne pas avoir l’impression de jouer la même pièce car chaque représentation est bouleversante – le temps est compté pour les deux personnages. Il y a de très beaux passages avec différents registres de langue. Vêpres est un hymne à la tolérance, un hommage aux sans-grades, à ces vies cabossées dont Tarantino a fait la matière de ses livres.

Fatma Alilate

Infos pratiques :

Vêpres de la Vierge bienheureuse d’Antonio Tarantino

Théâtre du Rond-Point

2 Bis avenue Franklin D. Roosevelt

75008 Paris

Tél. : 01 44 95 98 21

https://www.theatredurondpoint.fr

Avec Paul Minthe

Texte Antonio Tarantino, publié aux Solitaires Intempestifs

Traduction Jean-Paul Manganaro

Mise en scène Jean-Yves Ruf

Scénographie Laure Pichat

Création sonore Jean-Damin Ratel

Lumières Christian Dubet

Production : Chat Borgne Théâtre, Compagnie conventionnée Drac Grand-Est et Région Grand-Est, Coproduction Le Volcan – Scène nationale du Havre. Avec les soutiens du Garage à Cosne-sur-Loire et de la Fonderie au Mans.

Durée : 1h10

Jusqu’au 30 octobre 2022

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