Peintresses ? Peintres femmes ? Comme appeler ces femmes artistes ? Où sont-elles dans les musées et plus largement dans l’Histoire de l’Art ? Elles brillent davantage par le silence qui les entoure que par leur renommée…

Guerrilla Girls, Do Women Have To Be Naked To Get Into the Met. Museum?, 1989 © Guerrilla Girls
Guerrilla Girls, Do Women Have To Be Naked To Get Into the Met. Museum?, 1989 © Guerrilla Girls

Si la pratique artistique et le métier d’artiste sont aujourd’hui à la portée de toute femme, il n’en a pas toujours été ainsi. Parce que faire partie des femmes artistes est encore aujourd’hui affaire de travail acharné et d’affirmation de soi. J’ai choisi de vous emmener à la rencontre de douze femmes en particulier qui ont marqué cette Histoire de l’Art. Rendons hommage à ces personnalités au destin et au talent remarquables, mais qui, malgré la célébrité qu’elles ont pu connaître de leur temps, ont parfois sombré dans l’oubli, effacées d’une Histoire à dominante masculine, écrite par une majorité masculine… Pour chacune de ces femmes artistes, je me suis attachée à questionner l’Histoire pour tenter de comprendre comment et pourquoi elles sont passées de la reconnaissance à l’oubli. Finalement, auront-elles marqué l’Histoire de l’Art par leur rayonnement ou par leur absence de nos manuels scolaires ?

J’ai bien peur qu’avant d’avoir vu le tableau vous ne m’ayez trouvée arrogante et présomptueuse […] Vous me trouvez pitoyable car avant même de poser les yeux sur son travail, le nom d’une femme soulève des doutes. 

Artemisia Gentileschi

Pas de place, pas de place !

Au-delà du poids des codes moraux et sociaux, des préjugés sexistes, l’une des réponses réside dans le fait que les femmes n’ont, pendant très longtemps, pas eu accès à l’éducation artistique. Les écoles et académies ne leur étaient pas autorisées. Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que des progrès sensibles se font jour. Mais les femmes font alors encore figures d’exception dans le domaine. En France par exemple, il faut attendre le XVIIe pour qu’une femme entre à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture. Et seulement l’année 1900 pour que l’École des Beaux-arts ne les acceptent comme élèves. 

On constate en outre que les rares femmes artistes qui ont réussi à percer dans ce milieu sont généralement liées à un homme. Père ou mari, actif dans le milieu artistique et par lequel elles sont généralement initiées ou introduites. Étudier l’art pour le plaisir oui, exercer la profession d’artiste, sûrement pas ! Et c’est bien là que le bât blesse…

D’abord amatrices, elles parviennent néanmoins à en faire peu à peu leur métier.

Ces femmes artistes parviennent même à mener une véritable carrière. Certaines ont eu la chance de connaître la gloire de leur vivant, d’autres ne l’ont été qu’à titre posthume. Souvent plusieurs décennies voire siècles après leur mort. Et pourtant, elles ont dépeint la féminité, la maternité. Portraituré les grands de leur temps. Certaines ont osé rivaliser avec leurs confrères sur le plan de la grande peinture d’Histoire. S’attaquant à des sujets hautement plus « virils », tels que la peinture animalière. Elles ont sans cesse fait preuve d’une passion et d’un dévouement incontestables à leur art, au point parfois d’en perdre la raison.

Souvent engagées mais rarement admises à l’égal de leurs confrères. Elles ont toujours dû lutter pour trouver leur place dans un milieu où nom, argent et pouvoir prédominent. Où la reconnaissance sociale ne va pas toujours de pair avec le talent.

Portrait de Marie-Josèphe Bonnet
Portrait de Marie-Josèphe Bonnet

C’est une lutte, c’est un rapport de force. Il aura fallu des femmes géniales et très très douées pour arriver à trouver une place dans un domaine où rien n’était prévu pour elles. 

Marie-Josèphe Bonnet, historienne de l’art et écrivaine

1ERE PARTIE : LES PIONNIERES

Cet article sur les femmes artistes est prévu en trois parties. La seconde sera diffusée dans les jours suivants celle-ci. Nous nous attacherons dans celle-ci aux pionnières, celles par qui tout commença !

Artemisia Gentileschi ou la rage de peindre

Autoportrait en allégorie de la peinture, 1639,  Artemisia Gentileschi
Autoportrait en allégorie de la peinture, 1639, Artemisia Gentileschi

Fille du peintre Orazio Gentileschi, Artemisia Gentileschi (1593-1656) baigne dans l’art dès sa naissance. Sa carrière s’en trouvera bien entendu facilitée, mais aussi entravée par cette paternité célèbre. Elle bénéficie de sa première formation artistique à Rome, dans l’atelier même de son père, peintre à la réputation déjà bien installée et proche du Caravage. Elle se perfectionne ensuite dans l’atelier de l’artiste Agostino Tassi, chargé par Orazio de lui enseigner la perspective.

Mais le maître finit par commettre l’irréparable : il viole et déflore la jeune fille. S’ensuit un procès qui défraie la chronique et au cours duquel Artemisia est humiliée publiquement en subissant le supplice des sibili ou des Sibylles : on lui broie les doigts pour savoir si elle dit la vérité. Après cet épisode terrible et faisant preuve d’une prodigieuse force intérieure, « elle parvient à surmonter la violence sexuelle subie pour en faire un manifeste du pouvoir créateur des femmes » (M.-J. Bonnet).

Elle propose dès lors des œuvres innovantes

Judith et sa servante avec la tête d’Holopherne, 1624,  Artemisia Gentileschi
Judith et sa servante avec la tête d’Holopherne, 1624, Artemisia Gentileschi

Sous l’influence du Caravage auquel elle doit son ténébrisme et son fort réalisme dans la représentation des figures humaines, mais avec son langage propre. D’ailleurs, plusieurs de ses œuvres, autrefois attribuées au maître du clair-obscur ou même à son père, lui sont aujourd’hui réattribuées. Elle ose en outre travailler sur des sujets à tendance « masculine », avec un sens du drame particulièrement fort, voire violent et cru, à l’instar de sa célèbre Judith décapitant Holopherne (1612, Naples) : on y voit l’héroïne biblique, aidée de sa servante, tuer sans vergogne son ennemi pour libérer sa ville. Peindre une mort pour illustrer une naissance : la sienne, en tant qu’ancienne victime et surtout qu’artiste.

Peintre de cour à succès sous le mécénat des Médicis et de Charles 1er d’Angleterre, elle connaît la gloire et compte parmi les plus grands artistes baroques de sa génération. Son père dira même d’elle : « Artemisia est devenue si habile que je n’ai aucun mal à affirmer qu’elle est aujourd’hui sans égal. En effet, elle a produit des œuvres qui démontrent un degré de compréhension que même les grands maîtres de la profession n’ont peut-être pas atteint. » Elle légitime ainsi, par son génie, la pratique artistique des femmes. Et pourtant, comme d’autres, elle sombre dans l’oubli après sa mort et ne sera redécouverte qu’au début du XXe siècle.

A lire : Alexandra Lapierre, Artemisia, un duel pour l’immortalité, Robert Laffont, 1998

Angelica Kauffmann, l’idole de son temps

Autoportrait, 1775,  Angelica Kauffmann
Autoportrait, 1775, Angelica Kauffmann

Née en Suisse, fille de Johann Joseph Kaufmann, peintre de la cour de l’évêque de Coire (Suisse), Angelica Kauffmann (1741-1807) connaît une ascension sociale fulgurante et devient l’une des grandes protagonistes du néoclassicisme. Comment cette jeune femme issue d’un milieu modeste est parvenue à se hisser au sommet de la société et de l’Art ? A cette époque, les femmes étaient cantonnées à leur rôle d’épouse et de mère ; on estimait qu’elles n’avaient pas les capacités intellectuelles suffisantes pour créer. L’une des seules possibilités pour accéder à une éducation artistique étaient alors d’avoir un parent artiste. Angelica Kauffmann a eu cette chance, mais surtout, elle su en tirer profit. 

Considérée comme une référence européenne au point que l’on parle dans toutes les cours d’« angelicamania ». Egérie des milieux mondains, elle devient l’un des membres fondateurs de la Royal Academy of Arts de Londres. Avec Mary Mother, elle sera la seule femme à y être admise jusqu’au XXIe siècle ! Malgré cela, elle reste méconnue en France. Elle mérite pourtant d’être redécouverte en tant que peintre car son talent n’a rien à envier à ses collègues masculins.

C’est une des premières femmes à mener une grande carrière de peintre

Portrait de femme en vestale, 1737,  Angelica Kauffmann
Portrait de femme en vestale, 1737, Angelica Kauffmann

 A la fin du XVIIIe siècle, à Rome, Londres, Naples et jusqu’à St-Pétersbourg on s’extasie devant ses tableaux. Aristocrates, savants, acteurs célèbres, tout le gotha du Siècle des Lumières sollicitent ses pinceaux. Une seule artiste à l’époque connaît une gloire comparable : la Française Élisabeth Vigée-Lebrun. Mais la popularité d’Angelica est plus grande encore. A Rome, où elle passe les vingt dernières années de sa vie, elle est enterrée en grande pompe. Une longue procession suit son corbillard, ses œuvres sont portées en triomphe derrière son cercueil, une scène jamais vue depuis la mort de Raphaël ! Son buste est exposé au Panthéon depuis 1807. Et pourtant, qui se souvient d’elle aujourd’hui, à part les érudits ?

Élisabeth Vigée-Lebrun, portraitiste royale

Madame Vigée-Lebrun et sa fille, Jeanne-Lucie-Louise, dite Julie, 1789,  Élisabeth Vigée-Lebrun
Madame Vigée-Lebrun et sa fille, Jeanne-Lucie-Louise, dite Julie, 1789, Élisabeth Vigée-Lebrun

Je n’ai eu de bonheur qu’en peinture

Élisabeth Vigée-Lebrun

Fille de peintre, Élisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) accède à la célébrité dès l’âge de quinze ans en portraiturant les grandes dames de la capitale française. Copiant les grands maîtres tels Rubens et Van Dyck, elle perfectionne sa technique. Elle épouse par la suite un grand marchand de tableau parisien qui lui ouvre les portes du marché de l’art.

Mais son réel tremplin vers la gloire est sans conteste sa rencontre avec la reine Marie-Antoinette qui lui commande son portrait. Fait extrêmement novateur : c’est la première fois en France que le pouvoir monarchique féminin met en valeur une femme artiste ! La souveraine impose la nomination de sa portraitiste à l’Académie royale, où elle entre en 1783.

Son autre atout est qu’elle a su comprendre les attentes des grands de son temps

Marie-Antoinette, dit « à la rose », 1783,  Élisabeth Vigée-Lebrun
Marie-Antoinette, dit « à la rose », 1783, Élisabeth Vigée-Lebrun

En exaltant la beauté de ses modèles ! Avec les symboles liés au pouvoir, mais en osant aussi les aborder de manière différente. Innovante pour son temps, dans leur intimité, provoquant parfois stupeur voire rejet chez le public. Par ailleurs, ses célèbres autoportraits avec sa fille, conservés au Louvre, sont pour l’époque très modernes. En effet, les enfants sont confiés à l’époque chez une nourrice et peu présentés de façon aussi tendre et réaliste. Représentation quasi sacrée de la mère et l’enfant et de leur lien fusionnel qui renvoie sans conteste aux madones d’un Raphaël. Malgré cela, à la suite des événements de la grande Histoire, elle aura ce mot amer qui laissait peu d’espoir à ses successeuses et à la postérité des femmes artistes en général : « Les femmes régnaient en souveraines et la Révolution les a détrônées. »

A voir : plusieurs de ses tableaux conservés au musée du Louvre ; le film Le Fabuleux destin d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun, peintre de Marie-Antoinette, Arte éditions, 2015.

Rosa Bonheur, l’art et la vie à contre-courant

Regard déterminé, chevelure coupée court et franc parler, Rosa Bonheur (1822-1899) incarne LA figure transgressive qui brise les tabous. Elle bouleverse les codes de la féminité de son époque. Elle affirme ouvertement son homosexualité en entretenant deux longues histoires d’amour avec deux artistes peintres. Adopte aussi sans gêne des comportements « masculins » en fumant et en portant le pantalon. Grâce à l’obtention d’un permis de travestissement (le pantalon est interdit aux femmes à l’époque), justifié par son métier d’artiste qui fréquente les foires aux bestiaux.

Dotée d’une force extraordinaire, elle peint des tableaux allant jusqu’à cinq mètres de long. Elle s’impose au salon officiel puis dans tout le monde de l’art. En s’emparant de ce genre particulier et mineur qu’est la peinture animalière et sous un format monumental, elle innove et scandalise. Cette formidable spécialiste des « portraits » animaliers pose sur eux un regard quasi naturaliste. Exécutant des tableaux d’un immense réalisme, fait extrêmement rare à l’époque, qui plus est pour une femme.

Ses tableaux à la cote très élevée lui confèrent une aura qui dépasse les frontières de l’Hexagone

La foire du cheval, 1855,  Rosa Bonheur
La foire du cheval, 1855, Rosa Bonheur

Adulée en Angleterre et aux États-Unis, elle a même le privilège de portraituré Buffalo Bill, qu’elle rencontre lors de sa tournée internationale. En 1865, elle est la première femme artiste à recevoir la Légion d’Honneur, remise par l’impératrice Eugénie, puis à être promue au grade d’officier en 1894. L’année 2022 voit la commémoration du bicentenaire de sa naissance, occasion de célébrer – à juste titre même si très tardivement – l’ensemble de son œuvre, aujourd’hui encore trop peu connu.

A visiter : le Château-Musée de Rosa Bonheur à By-Thomery (77).

FIN de la 1ERE PARTIE de notre dossier sur les femmes artistes, la suite ici

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Par  Azza Frossard ,

Parisienne de naissance et boulimique de culture, j’ai posé mes valises depuis 10 ans en Savoie. C’est de là que, après moult pérégrinations entre le Maghreb, l’Inde, l'Italie et la France, et riches expériences et rencontres entre festivals, lieux de patrimoine, musées, galeries, associations et collectivités où j’ai exercé, je prends ma plume pour faire ce que j’aime le plus : transmettre ! Avec pour domaines favoris – et une insatiable curiosité ! – l’art, l’histoire, la littérature jeunesse, le cinéma d’animation et les musiques du monde.

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