Aujourd’hui, et alors qu’il est avéré depuis très longtemps que la terre est ronde, les « platistes » pensent que la terre est plate. Comment aller à l’encontre d’un consensus scientifique tel que celui-ci ?

Entre théorie du complot et méconnaissance scientifique, les « platistes », ceux qui croient que la Terre est plate, forment un mouvement antiscientifique de remise en cause de toute connaissance. La science, par définition, se doit d’être réfutable. Mais jusqu’où peut-on remettre en doute la science ?

La conception de la Terre à travers l’histoire

La Grèce antique

Pythagore eut l’intuition que la Terre était ronde, car la forme sphérique est la forme parfaite géométriquement. Platon ajoute que c’est la forme la plus rationnelle.

Aristote apporte quant à lui des preuves empiriques confirmant la rotondité de la terre : lors des éclipses, l’ombre de la Terre sur la Lune est bel et bien arrondie.

Eratosthène, à son tour, persuadé de la rotondité de la Terre, tente de mesurer l’ombre d’un bâton planté dans le sol le jour de solstice d’été à Assouan (Syène) et à Alexandrie simultanément. Il s’est ainsi rendu compte que les ombres n’étaient pas les mêmes, et a pu mesurer la circonférence de la Terre d’une très grande précision, très proche des estimations scientifiques actuelles.

Schéma du calcul d'Eratosthène de la circonférence de la Terre
Schéma du calcul d’Eratosthène de la circonférence de la Terre

Au Moyen-Âge

Le Traité de la Sphère de Sacrobosco confirme que la rotondité de la Terre est une notion qui n’est pas remise en question.

Durant la Renaissance

Par la suite, Galilée remettait en cause le géocentrisme pour affirmer que le Soleil était au centre de l’Univers et non la Terre, mais la sphéricité des planètes était acquise, et n’a jamais été remise en cause scientifiquement jusqu’à aujourd’hui.

Certains pensent que la Terre est plate

Une communauté a vu le jour depuis 1956 : la Flat Earth Society. Cette société organise des congrès annuels rassemblant ceux qui croient que la Terre est plate, les « platistes ». Ils arborent des logos détournés de la NASA avec écrit « Liars » (menteurs).

Ainsi les platistes ne croient que ce qu’ils voient, et pensent que la NASA nous ment en nous faisant croire que la Terre est ronde. Un de ces membres était sur le point de prouver au monde entier si oui ou non la Terre était plate ou ronde : Mike Hughes, dit Mad Mike. Tragiquement, il a été tué par sa propre fusée artisanale. Son but était de prouver seul et de voir de ses propres yeux quelle forme a la Terre. Méfiance, doute et suspicion : n’est-ce pas pourtant là la pierre angulaire de la démarche scientifique ?

Représentation de la Terre si elle était plate
Représentation de la Terre si elle était plate

Entre doute et suspicion

Le doute est la preuve d’une démarche scientifique. En effet, la réfutabilité, ou falsifiabilité, est un concept élaboré par Karl Popper permettant de démarquer une réelle théorie scientifique d’une autre.

La science n’est pas une simple croyance, et c’est en cela que le doute fait partie intégrante de la discipline. Ne jamais remettre en cause ce qui est dit relèverait ainsi plus de la croyance et de la foi que de la science. Cependant, faut-il douter de tout ?

Doute cartésien ou doute sceptique ?

Descartes, dans son Discours de la Méthode, utilise le doute comme outil méthodologique. Toutefois, il répugne le doute utilisé par le scepticisme. Douter de tout sans fondement mène à l’errance et au désordre. Toutes les théories se valent puisqu’il est impossible d’établir une hiérarchie, ou au moins un fondement dans celles-ci. Ainsi, Descartes utilise le doute comme un outil pour fonder une raison, pour assurer la validité d’une théorie ou d’un raisonnement. Aujourd’hui, il est vrai que la facilité que l’on a d’accéder au savoir et la facilité de l’exprimer grâce à internet mène à des débats où chaque intervenant a le lieu et la place d’argumenter. Cependant, toutes les idées ne se valent pas…

Les platistes sont-ils les nouveaux sceptiques de notre ère ? En tous cas, ils se disent zététiques. C’est un mot qui qualifie les sceptiques et qui signifie « qui cherche et examine », et ce, dans une quête de vérité.

Mais cela reste à voir, car pour eux, le doute ne concerne que les données émises par les institutions : la Science, la NASA, le gouvernement… et sont bien déterminés à prouver, coûte que coûte, la platitude de la Terre.

Cliché de la Terre pris par la NASA
Cliché de la Terre pris par la NASA

Être platiste, est-ce être antiscientifique ?

Le doute des platistes n’en est pas un mais relève plutôt de la suspicion. Tout (ou presque) paraît suspect. Et, dans une situation suspecte, nous attendons de trouver le coupable. Ainsi, la croyance en la Terre plate est-elle réellement une croyance scientifique ou l’expression d’une position antiscientifique ?

En effet, la communauté scientifique n’a jamais remis en doute la rotondité de la Terre, et ce, depuis l’Antiquité. Elle est prouvée scientifiquement. Penser que la Terre est plate relève ainsi plus de l’idéologie. Marquer sa volonté d’être antiscience, antisystème et être dans la controverse.

Un rejet de toute connaissance pour penser par soi-même

Croire que la Terre est plate, c’est faire preuve de désinformation. C’est ne pas faire confiance à la science et ne faire confiance qu’en ses perceptions. Il y a ici un fond paranoïaque selon lequel « on nous cache quelque chose ». Cela se traduit par une perte de confiance envers les institutions, les intellectuels et la science de manière générale. Ce manque de confiance génère un besoin de responsabilité : « on ne peut compter que sur nous-mêmes ».

Se recentrer sur soi-même passe également par le fait de penser par soi-même et en dehors du cadre, mais où cela s’arrête-t-il ? Et qu’est-ce que penser par soi-même ? Penser par soi-même signifie-t-il ne penser qu’à partir de ses perceptions ? En effet, sans connaissance de notions scientifiques telles que la gravité, penser que la Terre est ronde est insensé : comment font ceux qui sont de l’autre côté et qui ont la tête en bas ?

Un retour à des théories pseudo-scientifiques simples

Penser que la Terre est plate, c’est donc un retour à la simplicité. La théorie d’une Terre plate est très intuitive lorsque l’on a aucune connaissance scientifique, lorsqu’on ne la comprend pas, ou lorsqu’on éprouve un désintérêt profond pour la science.

Ce serait une recherche de vrai qui donnerait beaucoup plus de sens à l’humanité. En effet, que la Terre soit plate et au centre de l’univers serait une tentative pour justifier et légitimer un peu plus notre existence. Se dire que l’existence ne relève que d’une contingence et d’un heureux hasard est assez vertigineux. Trouver du sens en pensant que l’on est au centre de l’univers l’est un peu moins.

Une théorie du complot qui rassemble

Le platisme, c’est avant tout une théorie du complot. C’est penser que la NASA ou le gouvernement coordonne ce mensonge planétaire. Mais il n’y a pas de consensus sur le ou les accusés de ce mensonge.

Et si le but de cette théorie du complot était le besoin de communauté ? Effectivement, penser que la Terre est plate, c’est faire partie d’un mouvement au sein duquel se forme un sentiment d’appartenance. C’est aussi faire partie d’un mouvement à contre-courant, qui scelle la différenciation, la marginalité et la singularité de chacun tout en étant dans un groupe, qui pourrait, si c’était avéré, changer le monde. Ainsi, l’antiscience serait-elle la preuve d’une quête identitaire de plus en plus prégnante et profonde ?

Être un platiste, c’est pouvoir montrer sa différence

Mais montrer sa différence en étant à contre-courant d’un sujet scientifique qui n’a jamais été réfuté, c’est nécessairement être dans la croyance, dans une idéologie. C’est pourquoi il est difficile de débattre avec un platiste, qui a des preuves « irréfutables » de la platitude de la Terre.

Il n’y a pas de place pour la nuance. Croire que la Terre est plate, c’est se montrer antisystème tout en restant dans une binarité stérile. Peut-être est-il nécessaire que la science ne soit pas réservée aux élites… Mais elle ne peut tout de même pas être utilisée n’importe comment, sous peine de devenir un « désordre scientifique à revendication démocratique » (La science en question(s), Michel Wieviorka)

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Article concocté par Emilie Mezzana,

Diplômée d'un master de philosophie et de psychanalyse, je suis passionnée par l'écriture et aime manier les concepts. Intéressée par de nombreux sujets, ce qui me captive et m'émeut particulièrement : l'humain, ses failles, le tout enrobé d'un peu d'abstraction et de poésie.

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