C’est l’une des histoires d’amour les plus connues dans le monde entier. Tragédie shakespearienne, Roméo et Juliette met en scène deux jeunes gens qui s’aiment éperdument malgré la haine que se vouent leurs familles respectives. Amour impossible, temporalité, politique, destin et hasard, Roméo et Juliette aborde les grandes problématiques de l’époque. Mais en sommes-nous revenus aujourd’hui ? Les thèmes évoqués sont-ils toujours d’actualité ? Résumé et analyse 2.0 de l’œuvre d’un des plus grands dramaturges de l’Histoire.

La genèse

Première édition de Roméo et Juliette, 1597 © DR
Première édition de Roméo et Juliette, 1597 © DR

La date exacte de rédaction de l’œuvre de William Shakespeare n’est pas connue et ne peut qu’être déduite. Dans la pièce, il est question d’un tremblement de terre survenu dix ans auparavant, est-ce une référence au tremblement du 6 avril 1580 ? Les ressemblances stylistiques entre Roméo et Juliette, Le Songe d’une nuit d’été, Richard II ou encore Peines d’amour perdues, semblent indiquer une rédaction entre 1591 et 1595. Mais rien de certain. En revanche, les racines de l’œuvre de Shakespeare sont claires.

Roméo et Juliette puise ses origines dans les histoires d’amour tragiques de l’Antiquité. Comme le mythe de Pyrame et Thisbé (Métamorphoses d’Ovide), où les parents des deux amants se haïssent et le héros croit à tort à la mort de sa dulcinée.

On note aussi des points communs avec les Éphésiaques de Xénophon d’Éphèse.

Dans cette œuvre, on retrouve la séparation des amoureux et une potion induisant un sommeil semblable à la mort. Les noms de familles rivales apparaissent dans Divine Comédie (1303 – 1321) de Dante. On trouve aussi une ébauche de l’intrigue chez Masuccio Salernitano, en 1437, dans sa nouvelle Mariotto e Ganozza.

En 1530, Luigi da Porto adapte l’histoire sous le titre Giulietta e Romeo. Il s’inspire notamment du mythe de Pyrame et Thisbé. C’est dans cette version que se dessinent des caractéristiques définitives de l’œuvre : le nom des amants, leur sort final, le cadre véronais et la rivalité entre Montecchi et Capuleti (Montaigu et Capulet). L’auteur présente cette histoire comme authentique, s’étant déroulée sous le règne de Bartolomeo II della Scala.

En 1554, Mathieu Bandello publie sa version de Roméo et Juliette.

Il y accentue la dépression de Roméo et la querelle des familles. Il introduit également le personnage de la nourrice. Cette version a été traduite en français par Pierre Boaistuau, en 1559, dans une mouture plus sentimentale et moralisatrice.

Ce sont toutes ces œuvres qui ont inspiré notre ami Shakespeare. Alors, oui, comme ça, on pourrait dire qu’il n’a finalement rien fait, rien inventé, mais ça n’est pas le cas. Le « Barde immortel » (Shakespeare), a donné plus de profondeur et de caractère à ses personnages mineurs, notamment à la nourrice et Mercutio. On lui doit aussi la structure de la pièce qui alterne entre scènes tragiques et scènes comiques, mais aussi la forme poétique de ses personnages. Notez qu’au fil de la pièce, Roméo s’exprime de plus en plus en sonnet.

Alors vous me direz, elle nous vend un résumé et une analyse 2.0 de la pièce de théâtre et elle nous fait une diatribe sur l’origine de l’œuvre. Patience, j’y viens !

Roméo et Juliette, un petit récap’ 

Vérone est gangrénée par la rivalité qui oppose les Capulet au Montaigu. Roméo, l’héritier des Montaigu, est amoureux de Rosaline. Repoussé continuellement, il sombre dans une profonde mélancolie. C’est alors que ses amis vont le persuader de s’inviter au bal donné par les Capulet en l’honneur de Juliette.

À cette soirée et malgré la haine qui dévore leurs deux familles, Roméo et Juliette, tombent follement amoureux l’un de l’autre. Bravant la volonté de leurs familles, les deux jeunes gens vont décider de s’unir secrètement devant Dieu. Mais les provocations entre les deux clans redoublent lorsque Tybalt, cousin de Juliette, tue Mercutio, l’ami de Roméo…

Ce dernier n’a alors d’autre choix que de venger son ami en tuant Tybalt. Roméo se retrouve banni tandis que Juliette lui pardonne. Mais voilà que les problèmes recommencent pour Juliette… Face au mariage forcé que son père lui impose, elle décide d’avaler un puissant narcotique qui la fait passer pour morte. Devant le corps de Juliette conduit au tombeau, Roméo s’empoisonne, persuadé de la mort de sa bien-aimée. À ce moment, Juliette se réveille et voit l’être aimé expirer. Elle se poignarde, puis meurt aux côtés de l’homme qu’elle aime. Les Capulet et les Montaigu sont alors unis à jamais.

Roméo et Juliette, Frank Bernard Dicksee, 1884 © DR
Roméo et Juliette, Frank Bernard Dicksee, 1884 © DR

Roméo et Juliette une pièce aux multiples thématiques

Analysons un peu l’œuvre. La pièce ne se cantonne pas à un unique thème dominant, mais en propose plusieurs : l’amour, la dualité, le temps, la précipitation et ses dangers, le communautarisme, la politique mais aussi la découverte par les personnages que l’être humain n’est ni totalement bon ni totalement mauvais. Ces thèmes, imbriqués de manière complexe ne font pas l’unanimité chez les critiques, pourtant William Shakespeare les évoquent bien dans son œuvre.

L’amour

C’est le sujet principal, même si l’on considère que chaque thème à un caractère mineur, on considère souvent celui-ci comme thème général. Les personnages éponymes sont devenus le symbole même de l’amour impossible. On peut aussi affirmer que la pièce de théâtre associe l’amour et le sexe à la mort. Roméo et Juliette évoquent la mort comme une entité ténébreuse, la mort est souvent personnifiée. Par exemple, lorsque Roméo découvre la mort feinte de Juliette il décrit la mort comme quelqu’un qui aurait défloré sa fille (Acte IV, scène 5). Juliette, juste avant de se tuer s’exclame : « Oh ! bienheureux poignard, voici ton fourreau, tu peux t’y rouiller ; laisse-moi mourir. » (Acte V, scène 3).

La destinée

Le rôle du destin et du hasard est discuté dans la pièce. Les personnages sont-ils vraiment condamnés à mourir ensemble ? Ou les évènements ne sont-ils que le produit de hasards malencontreux ? Cette interprétation est en soit libre à chacun. Les critiques ne sont pas tous d’accord sur ce point, pour certains il s’agit du destin, les amants sont décrits comme « star-cross’d » (référence croyance astrologique liée au temps), autrement dit les étoiles ont prédéterminé leur futur. Pour d’autres, il s’agit simplement de hasards malencontreux.

Juliette juste avant l'ingestion de la potion par Albert Tschautsch © DR
Juliette juste avant l’ingestion de la potion par Albert Tschautsch © DR

Le rapport au temps

Le temps joue un rôle important dans l’intrigue de la pièce. Face aux rivalités familiales, Roméo et Juliette tentent de préserver un monde imaginaire où le temps ne s’écoule pas. Par exemple, Acte II, scène 2, Roméo jure son amour pour Juliette sur la Lune, laquelle lui répondra de ne pas jurer dessus, car la Lune est soumise au temps (« Ah ! ne jure point par la lune, l’inconstante lune, qui chaque mois change la forme de son disque; de peur que ton amour ne soit variable. »).

Les personnages éponymes sont décrits comme « star-cross’d » en référence à une croyance astrologique, selon laquelle les étoiles contrôleraient le destin des hommes ; au fil du temps, le mouvement des étoiles dans le ciel reflèterait le fil des vies humaines. Au début de la pièce, Roméo parle d’un pressentiment lié au mouvement des étoiles, et en apprenant la mort de Juliette, il proclame sa volonté de se libérer du joug des étoiles.

Le temps est aussi abordé d’une autre manière, par son passage rapide, un thème plus personnel à William Shakespeare cette fois. Selon le critique, G. Thomas Tanselle, le temps est « particulièrement important pour Shakespeare » dans cette pièce : le dramaturge parle de « temps court » pour les amants, par opposition au « temps long » associé à la « vieille génération », afin d’accentuer l’idée d’« une ruée vers le destin ». Roméo et Juliette luttent contre le temps pour que leur amour dure à jamais. Finalement, le seul moyen de vaincre le temps, c’est la mort. Elle les rend immortels grâce à l’art.

La dualité, clair-obscur

« Le Barde » use abondamment d’images liées à la lumière et aux ténèbres. On interprète la lumière comme un symbole d’amour et de beauté et les conflits familiaux sont alors les ténèbres. Roméo et Juliette voient chacun l’autre comme une lumière au cœur des ténèbres. Montaigu, décrit même Juliette comme un faisceau lumineux, tantôt semblable au soleil tantôt un joyau étincelant dans la nuit. Même a priori morte, il dit de Juliette « sa beauté fait de cette voûte un séjour de fête plein de clarté » (Acte IV, scène 3).

Le contraste entre la clarté et l’obscurité est développé métaphoriquement dans les oppositions amour/haine et jeunesse/vieillesse. Ce qui est parfois ironique, car lorsqu’on y pense, l’amour de Roméo et Juliette est une lumière, mais qui se vit en pleine nuit, dans les ténèbres, à chacune de leur rencontre. Alors que les affrontements entre les deux familles se déroulent en plein jour, une haine qui est pourtant l’obscurité même. Un paradoxe qui laisse entrevoir un autre thème, celui de la loyauté. Les deux amants sont face au dilemme de la loyauté familiale et la loyauté de leur amour.

Roméo et Juliette de nos jours

La société a bien changé depuis la fin du XVIè siècle, on pourrait supposer que tous les thèmes évoqués ne sont plus d’actualité, mais est-ce bien le cas ? Petit check-up.

L’amour impossible existe-t-il toujours ?

Bien bonne question l’ami ! Dans la mesure où nous sommes ancré dans le XXIème siècle, j’ai presque envie de dire non, mais malheureusement si. Dans certaines sociétés, aimer et épouser celui ou celle qu’on aura choisi ne pose aucun inconvénient aux familles respectives, mais dans certains pays ou certaines cultures ce n’est pas le cas.

Qu’ils s’agissent de religion, de milieu social, de politique, d’argent ou de prénom (mais oui Anne-Cécile ne peut pas épouser un Kylian voyons !),  tous les prétextes sont bons pour empêcher l’amour entre deux personnes. Nous avons beau être au XXIè siècle, le mariage forcé existe toujours, même si l’un des intéressés souhaite épouser quelqu’un d’autre. Mais il y a fort à parier, qu’à notre époque, les deux protagonistes trouveraient le moyen d’échanger via des messageries secrètes.

La Scène du tombeau, Joseph Wright of Derby, 1790 © DR
La Scène du tombeau, Joseph Wright of Derby, 1790 © DR

Le communautarisme

Si l’on pensait en être débarrassé c’est peine perdue ! Il n’est pas question de ce terme à l’époque de William Shakespeare, mais c’était un phénomène déjà existant. Le communautarisme est une tendance à faire prévaloir les spécificités d’une communauté (culturelle, religieuse, sociale, ethnique, etc.) au sein d’un ensemble social plus vaste.

Dans Roméo et Juliette, on a une forme de communautarisme. Aujourd’hui, c’est un phénomène qui s’applique dans différentes sphères et qu’importent les raisons. Là aussi on rejoint la question d’un amour impossible, car il est évident que dans ces communautés il est hors de question de s’acoquiner avec quelqu’un de « l’extérieur », quelqu’un qui ne serait pas comme nous.

La haine sans raison

Je ne l’évoque pas dans l’analyse de l’œuvre, mais c’est pourtant un thème phare de l’œuvre de William Shakespeare, la haine. Celle qui anime et fait vivre les Capulet et les Montaigu depuis des générations, celle-là même où aucun des membres actuels (au moment de l’œuvre) ne sait pourquoi on se déteste. Etre un Capulet ou être un Montaigu suffit pour être détestable ou détesté par l’autre partie : absurdité héréditaire !

Et bien aujourd’hui la haine sans fondement est toujours existante. Entendez-moi bien, si à l’époque, il y a probablement eu une trahison, un cataclysme à Vérone qui a opposé les deux familles, au moment de l’intrigue, plus personne n’est en mesure de nous dire pourquoi.

Dans notre société actuelle il suffit aussi d’un rien pour provoquer de la haine sans précédent. Par exemple, Internet et les réseaux sociaux sont de formidables outils d’expression, mais peuvent devenir des armes nucléaires. On insulte celui qui n’est pas du même avis que soi, on s’acharne sur la nouvelle copine de son ex en créant des faux profils, on lynche une célébrité parce qu’on a vu d’autres personnes le faire, on harcèle la camarade de classe parce qu’elle a osé porter les mêmes baskets que Eva, la fille la plus populaire du lycée. Comme les familles de la pièce, on s’adonne à la haine sans prétexte valable ou connu.

Dans son ensemble, même si les thèmes évoqués par Shakespeare dans Roméo et Juliette sont datés, ils perdurent aujourd’hui.

Roméo et Juliette, Ford Maddox Brown, 1870 © DR
Roméo et Juliette, Ford Maddox Brown, 1870 © DR

Ils se sont modernisés, mais n’ont pas complètement disparu. C’est aussi ce qui fait toute la puissance de l’œuvre (en plus du talent de Shakespeare), elle résonne encore aujourd’hui, nous pouvons nous y identifier et comprendre ce qui anime les personnages. Ce n’est pas pour rien que l’on a surnommé William Shakespeare : le Barde Immortel.

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Article concocté par Clara Lefevre-Manond,

Née à Lille, passée par les Deux-Sèvres, Clara est revenue dans la capitale des Flandres pour ses études. Danseuse classique, elle a aussi fait du tennis. Sportive, elle ne laisse pas un challenge lui saper le moral. Souriante et généreuse, voilà comment la qualifier. Mais attention, sous ses yeux bleus, se cache un sacré caractère : qui s’y frotte s’y pique !

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