Bienvenue rue Broca ! Rendez-vous au numéro 69.Poussez la porte de l’épicerie de Papa Saïd et laissez-vous conter des histoires plus extraordinaires les unes que les autres…

À Paris, la rue Broca n’est pas tant célèbre par le grand chirurgien dont elle porte le nom, que par l’univers fabuleux qu’y a créé Pierre Gripari

A la fin des années 60, l’écrivain a fait de cette artère et des rues adjacentes le décor authentique et familier de ses intrigues imaginaires. « Les contes de la rue Broca » forment un recueil d’histoires pour enfants où les habitants d’un quartier parisien côtoient au quotidien ogres, fées ou géants. Quel jeune lecteur n’a pas tremblé puis ri devant les subterfuges de la sorcière croqueuse de petites filles, venue en voisine de la rue Mouffetard ? Osons nous perdre un instant dans ces rues parisiennes à la découverte d’un univers fantaisiste, drôle et attachant.

Couverture du Livre "Contes de la rue Broca" de Pierre Gripari
Couverture du Livre « Contes de la rue Broca » de Pierre Gripari

Où est la rue Broca ? Une rue pas comme les autres

Même si nous nous aventurons dans le domaine du conte, la rue Broca, elle, existe bel et bien. S’étirant entre les 5e et 13e arrondissements de Paris, elle n’est, selon les dires de l’auteur, pas simple à localiser. Dans sa préface de 1966, Pierre Gripari explique à quel point il est hasardeux de repérer la rue Broca dans les entrailles de la capitale.

Si vous prenez un plan, vous verrez ou croirez voir qu’elle coupe à angle droit le boulevard de Port-Royal. Si, confiants dans cette indication, vous prenez votre voiture et enfilez ledit boulevard en espérant tourner dans cette rue, vous pourrez cent fois de suite faire la navette entre l’Observatoire et les Gobelins, vous ne la trouverez pas (…). L’explication de cette anomalie ? Tel l’univers d’Einstein, Paris en cet endroit présente une courbure (…). La rue Broca est une dépression, une rainure, une plongée dans le sub-espace à trois dimensions. 

Ainsi, dès l’avant-propos, nous basculons vers le fantastique. Gripari a l’art de promener son lecteur. Tant et si bien qu’on ne sait plus vraiment où s’arrête la réalité, où commence la fiction. L’intrigue de chacun de ces contes ne se déroule pas toujours dans la rue du même nom. Mais la rue Broca est bien le lieu où les histoires sont racontées et où les personnages peuvent passer. L’auteur campe ses histoires au cœur d’une ville et d’un quartier qu’il dépeint avec autant de précision qu’il les affectionne. La rue Broca plante le décor, permet de s’ancrer dans un réel d’où s’ouvriront les portes de l’imaginaire.

Panneau de la "vraie" rue Broca à Paris (Flickr-Vincent-Noel)
Panneau de la « vraie » rue Broca à Paris (Flickr-Vincent-Noel)

Que se passe-t-il rue Broca ? Là où modernité, audace et fantaisie se mêlent

Les contes de la rue Broca, ne sont, eux non plus, pas tout à fait comme les autres. On croise dans cette rue de Paris et ses alentours de drôles d’habitants. Chaque histoire est distincte et déroule sa propre intrigue, même si nous retrouvons quatre personnages récurrents. Il s’agit de Papa Saïd, l’épicier, de ses enfants Bachir et Nadia et enfin de Monsieur Pierre. Personnage à la fois narrateur et protagoniste des contes, pendant à peine voilé de Gripari lui-même. Ces personnages ont des traits bien réels. Ils sont confrontés à d’autres intervenants issus tout droit de l’univers des contes de fées ou des croyances populaires.

Pourtant, ces histoires bouleversent les codes du conte classique, les prenant parfois à contrepied ou les parodiant. Emplis de fantaisie et d’humour, Les contes de la rue Broca sont anticonformistes et bien souvent cocasses. Comment ne pas penser à la petite Martine ? Elle qui, dans La fée du robinet crache, sous l’emprise d’un sort, d’énormes perles à chaque fois qu’elle prononce un gros mot. Alors encouragée à jurer toute la journée par ses parents cupides ? Dans Le Géant aux chaussettes rouges on ne s’étonne pas de croiser, au sein d’un même récit, un géant, un sorcier chinois, le Pape et la Vierge Marie.

Gripari a le sens de la formule et manie le langage avec malice. Dans le conte de La sorcière du placard aux balais, l’infortuné Monsieur Pierre, ayant un peu trop bu, déloge la vilaine créature de son antre en prononçant l’incantation interdite : « Sorcière, sorcière, prends garde à ton derrière ! ». Chez l’auteur, les mots sont dotés de pouvoirs magiques.

Enfant lisant les contes de la rue Broca
Enfant lisant les contes de la rue Broca

13 contes qui n’ont en point commun que la rue où ils se déroulent

Pas de sujet central ou de thématique prépondérante. Chaque histoire possède son propre schéma narratif. Oui, quelques contes s’entrecroisent mais c’est pour mieux marquer leurs différences. Même les personnages différent d’un conte à l’autre. Seuls les enfants Nadia et Bachir, Papa Saïd et Monsieur Pierre y sont récurrents et prennent place de fil conducteur.

Liste des 13 contes de la rue Broca

La Sorcière de la rue Mouffetard

Une sorcière découvre une méthode pour redevenir jeune. Manger une petite fille dont le nom commence par la lettre N avec de la sauce tomate. La sorcière, évidemment, tombe sur la petite Nadia, la fille de Papa Saïd qui coche toutes les cases. Elle essaye de la piéger mais échoue jusqu’à ce qu’elle prenne prenant la place de toutes les marchandes du marché de la rue Mouffetard… Qu’arrivera-t-il à Nadia ?

Le Géant aux chaussettes rouges

Un géant vivant sous terre s’ennuie et décide de se marier. Obligé de sortir, il arrive sous la maison de la jeune Mireille. Il en tombe alors immédiatement amoureux. Mireille, appeurée (et on la comprend), part en courant, laissant le géant seul au milieu des membres du villages.

Un curé dit alors au géant qu’il ne peut pas épouser Mireille car il ne rentrera jamais dans l’Église dû à sa taille. Le géant, en quête de solution finit par aller voir un sorcier chinois qui serait en mesure de l’aider. Le début d’un voyage qui commence…Le géant réussira-t-il à séduire Mireille ?

La Paire de chaussures

Tina et Nicolas forment un couple de chaussure (si si). Tout se passait bien pour elles jusqu’à ce qu’une dame les achète. Tristes de ne plus se voir en journée, elles essayent alors de se rejoindre à chaque pas de leur propriétaire. Ce qui, bien sûr, la fait tomber sans cesse. Inquiète, elle se rend chez le médecin pour trouver une solution… Qu’arrivera-t-il au couple de chaussure ?

Scoubidou, la poupée qui sait tout

Scoubidou est une poupée en caoutchouc appartenant à Bachir. Et elle possède des pouvoirs. Lorsqu’on lui couvre les yeux, elle peut voir l’avenir et le passé. Bachir, de son côté, souhaite ardemment avoir un vélo. Il demande alors à sa poupée quand est-ce que Papa Saïd lui en achètera un.

Suite à la découverte des pouvoirs de la poupée par Papa Saïd. Il demande à son fils de se débarrasser d’elle. S’ensuivra alors un enchainement de rencontres pour Scoubidou, de la rue Broca à la mer… Qu’arrivera-t-il à la poupée ?

Roman d’amour d’une patate

Un petit garçon décide de donner un visage à une pomme de terre volée dans la cuisine. Dès lors, cette dernière se retrouve douée de l’ouïe, de la vue et de la parole. De fil en aiguille, elle se retrouve à la campagne puis dans un cirque et finit par attirer la convoitise d’un riche sultan. Qu’arrivera-t-il à la patate ?

Histoire de Lustucru

Dans la Rome antique, une fée apparaît à un chef barbare attendant un fils. Elle lui propose de donner l’immortalité à son fils, à la seule condition qu’il se nomme Lustucru. Le barbare accepte immédiatement, pensant qu’il ne s’agit là que d’un moindre mal.

Lustucru devient, comme tout l’y prédestinait, un jeune homme fort et vigoureux. Il va à Rome pour y parfaire son éducation. Il y brille par son intelligence et son talent mais son drôle de nom fait qu’on refuse de le mentionner premier. Lustucru décide alors de conquérir la Gaule afin d’être enfin reconnu. C’est là qu’il recrute un jeune mendiant du nom de Jules César qui devient son lieutenant. La Gaule conquise, Lustucru écrit ses hauts-faits et demande à son lieutenant de se rendre à Rome pour en avertir les sénateurs. Lui-même de retour quelques temps après, il découvre que son nom a été remplacé par celui de César. Celui-ci le fait même chasser et se nomme Empereur. A la même manière d’un Forest Gump de l’histoire, de nombreux faits historiques auraient en réalité été réalisés par Lustucru. Le vrai du faux ?

La Fée du robinet

Dans une maison vivent deux sœurs et leurs parents. Il y a Martine, gloutonne et mal élevée, et Marie, tout son contraire. Un soir, la fée se montre à Martine lorsqu’elle vient boire un verre d’eau et lui demande de la confiture. La sœur, bien que mal élevée, lui en donne, sachant qu’il ne faut pas énerver une fée. Pour la récompenser, la fée lui octroie alors la capacités de cracher une perle à chacun des mots qu’elle prononce. Piégée par l’avidité de ses parents, ils la contraignent à parler toute la journée. Les gros mots produisant des perles plus grosses, Martine est dès lors forcée de proférer des insultes toute la journée… Qu’arrivera-t-il à Martine et sa sœur ?

Le Gentil Petit Diable

Comme son nom l’indique, ce conte raconte l’histoire d’un jeune diable qui a le malheur de ne pas être méchant, un vrai crime lorsqu’on vient des enfers.

La Sorcière du placard aux balais

Il s’agit de l’histoire de Monsieur Pierre qui achète une nouvelle maison qui s’avère être hantée. Dans le placard à balais habite une vieille sorcière qui, une fois la nuit tombée, apparaît si on prononce « Sorcière, sorcière, prend garde à ton derrière ». Monsieur Pierre, apprenant cela, reste d’abord prudent et fait très attention à ne pas dire cette formule, mais un soir où il rentre légèrement alcoolisé, Monsieur Pierre a le malheur de prononcer les mots magiques et rencontre finalement la sorcière… Qu’arrivera-t-il à Monsieur Pierre ?

La Maison de l’oncle Pierre

Deux frères, un pauvre et un riche, vivent chacun de leur côté, jusqu’à ce que le pauvre se fasse expulser de la ferme où il travaille. Sans le sou, il se retrouve contraint d’aller loger chez son avare de frère. Celui-ci, seul dans son immense maison, accepte, à condition que le pauvre et sa femme aillent se coucher à neuf heures du soir et ne redescendent pas de leur chambre avant le lever du jour. Le pauvre accepte et ainsi commence leur cohabitation… Qu’arrivera-t-il aux deux frères ?

Le Prince Blub et la Sirène

Sur une île lointaine vit le prince Blub. Celui-ci, depuis sa tendre enfance, joue sur la plage avec une sirène qu’il promet d’épouser lorsqu’il sera suffisamment grand. La sirène, elle, lui demande d’attendre jusqu’à ses 15 ans pour lui laisser le temps de changer d’avis, mais le prince reste convaincu de son choix et le jour de son quinzième anniversaire il annonce à son père le roi qu’il va épouser une sirène… Que se passera-t-il pour les amoureux ?

Le Petit Cochon futé

Probablement mon conte préféré. Tellement mignon que je vous laisse le découvrir par vous même ! Mais il est question d’un cochon… et d’étoiles.

Je-ne-sais-qui, je-ne-sais-quoi

Un riche marchand a trois fils, dont le cadet est surnommé Manque-de-Chance à cause de sa simplicité d’esprit. Une fois adultes, les trois frères reçoivent de leur père cent pièces d’or et un bateau afin de pouvoir lancer leur propre commerce. Les deux aînés utilisent l’argent à bon escient, et deviennent rapidement riches, Manque-de-Chance, lui, donne ses cent pièces à des enfants pour qu’ils lui laissent le chat qu’ils s’apprêtent à noyer… Qu’arrivera-t-il à Manque-de-Chance ?

Du cœur de Paris au reste du monde

Les fables merveilleuses et loufoques de Pierre Gripari ont quelque chose d’universel. Dans la préface, elles sont adressées aux « personnes qui aiment les histoires ». Elles touchent donc un lectorat de tout âge qui ne connaît pas de frontières. Le succès fut tel auprès des français que Les contes de la rue Broca furent traduits dans le monde entier. De l’Allemagne au Japon, du Brésil à la Thaïlande, des générations de petits lecteurs se délectent encore aujourd’hui des péripéties de la paire de chaussures amoureuses et de la patate qui rêvait d’être une frite.

Les contes de la rue Broca ont fait l’objet de nombreuses adaptations. On les retrouve en dessins-animés, en pièce de théâtre et même en musique à travers l’opéra pour enfants « La sorcière du placard aux balais ». S’ils plaisent tant aux enfants (et aux grands), c’est peut-être parce que ce sont les enfants eux-mêmes qui sont à l’origine des récits. Ces contes sont nés d’une véritable collaboration entre Pierre Gripari et les enfants de son quartier, rue Broca, dont il s’est inspiré pour dresser le portrait de certains protagonistes. Son écriture a été guidée par les idées originales et farfelues de ses jeunes voisins.

Fresque de street art reprenant les personnages emblématiques des contes de la rue Broca
Fresque de street art reprenant les personnages emblématiques des contes de la rue Broca

Dans le cadre d’un projet collaboratif encadré par les mairies du 5e et du 13e arrondissement, de grandes fresques de street art ont été réalisées en 2018 sous le Pont Broca dans la rue du même nom, pour rendre hommage aux contes qui l’ont rendue célèbre.

Si d’aventure vous passez par ce coin de Paris et ne vous perdez pas en chemin, allez saluer les personnages emblématiques qui s’y trouvent encore !

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Par  Marie-Laurence MECKLER ,

De mes dix ans d’enseignement de la langue et de la culture françaises, j’ai gardé le goût de l’échange et de la transmission. Passée par Paris, Chicago et Nice, je suis aujourd’hui spécialisée en presse culturelle et en rédaction web. De retour dans mon Val de Loire natal, j’ai à cœur de valoriser son patrimoine sur les réseaux. Je suis une grande amoureuse des voyages, des vieilles pierres et des belles histoires.

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