C’est l’histoire d’une copie, une copie parfaite, trait pour trait qui a dupé pendant près de 123 ans le monde de l’histoire de l’art et les plus grands experts ! Retour sur cette inestimable découverte dont l’investigation ne fait que commencer. Incroyable redécouverte de la Grande odalisque !

C’est parfois dans des cadres tragiques que des découvertes spectaculaires ont lieu

Ce fût le cas en janvier dernier dans un appartement parisien du quatrième arrondissement. C’est lors d’une succession familiale suite au décès d’un septuagénaire qui vivait seul, qu’un troublant tableau est retrouvé dans une cave. En bon état bien que terni par les années et l’humidité. Il ressemble à l’une des peintures les plus célèbres de Jean Auguste Dominique Ingres : La Grande odalisque.

Impossible, cette œuvre est exposée depuis 1899 au Louvre, la ressemblance est pourtant saisissante. Une investigation est alors menée aux côtés d’experts. La famille ignorait totalement l’existence de ce tableau qui va changer leur vie.

Le musée du Louvre qui expose une copie

Aile Denon salle 702 du Louvre où est exposée la Grande odalisque / © 2019 Musée du Louvre / Antoine Mongodin
Aile Denon salle 702 du Louvre où est exposée la Grande odalisque / © 2019 Musée du Louvre / Antoine Mongodin

Chaque année c’est près de 9 millions de visiteurs qui se pressent pour admirer les plus grandes œuvres du Louvre. De Vinci, Géricault, Rembrandt, Vermeer… Une rencontre avec des monuments qui ont bâti l’histoire de la peinture. Et en tant que spectateur c’est toujours une émotion particulière de pouvoir approcher ces tableaux. D’en observer les traits, le détail des courbes, les jeux de lumière !

Comment expliquer que pendant 123 ans la Grande odalisque exposée n’était qu’une parfaite copie ? on a mené l’enquête !

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’art que des copies extrêmement fidèles ont semé le trouble

On se souvient notamment de ce faussaire Guy Ribes. Spécialisé dans les reproductions de faux Matisse, de Picasso ou de Renoir. Si des éléments ne trompent pas les yeux experts des spécialistes (pigments trop récents, fausse usure de la toile, signature…) pour certaines œuvres le doute existe.

On sait aussi que le marché des copies d’œuvre d’art draine beaucoup d’argent. Les acquéreurs et amateurs faute de posséder l’original sont prêts à débourser des sommes astronomiques pour s’approprier la copie parfaite. A titre d’exemple la plus fidèle copie de La Joconde s’est vendue il y a quelques années à plus de 550000 euros. Ainsi quand en janvier dernier cette famille découvre l’existence de ce tableau, elle veut connaitre la valeur de cette copie pour le moins troublante. C’est le début des premières investigations.

La Grande odalisque ou la figuration de l’ailleurs

Mondialement connu, ce tableau est peint en 1814 par Jean Auguste Dominique Ingres à la demande de la sœur de Napoléon. Il a fallu passer en revu tous les détails de cette œuvre et faire le parallèle avec ses autres tableaux pour tirer les premières conclusions.

Ingres et son rapport à l’esthétisme

Ce qui frappe au premier regard sur ce tableau, c’est le corps de cette odalisque. Littéralement femme de harem en turque. Elle est allongée nue de dos, la tête coiffée d’un turban, tournée de trois quart. Elle semble nous fixer avec un regard empreint d’une certaine sensualité.

La démarche de l’artiste ici est de proposer l’image d’une femme idéalisée, érotisée. Ce qui se traduit par une exagération de sa morphologie. D’abord avec un dos bien trop long, Ingres lui ajoute trois vertèbres et un bras disproportionné entre autre. L’artiste intensifie ce procédé jouant aussi avec un jeu de lumière tranché. Le sujet principal est éclairé, on ne voit qu’elle puis on prête ensuite attention aux détails.

Les éléments de décor son traités de façon illusionniste. Les drapés et objets précieux rehaussent par contraste la figure centrale de la femme et suggèrent l’Orient. L’éventail mêle plumes de paon et perles. A côté un brûle parfum dégage des vapeurs d’encens.

Une influence italienne, Raphaël en modèle

Ingres connait un parcours pluriel. S’il se forme au dessin aux cotés de son père, il fréquentera plus tard l’atelier de David à Paris. Mais c’est son séjour en Italie qui va marquer un tournant dans ses influences. Il se familiarise avec l’art de l’Antiquité. S’inspirera beaucoup des œuvres de Raphaël pour qui il voue un véritable culte. Fasciné par le peintre il reprend nombreuses de ses techniques.

C’est notamment ce travail d’investigation qui permet aux experts d’étudier le tableau dans ses moindres détails. Ce sont des éléments qui peuvent être déterminants pour dater la copie. Savoir si elle a été peinte à partir de la vraie. Et donc estimer sa valeur de la manière la plus fidèle. Une première expertise révèle déjà que l’œuvre aurait été peinte très peu de temps après l’originale.

Un premier examen à l’œil nu a donc lieu à Paris, effectué par un collège d’experts

Une étape clef dans l’authentification d’une œuvre. Et la dite toile est saisissante de fidélité, tous les éléments s’y retrouvent (pigmentation, travail du détail des accessoires, traits de l’odalisque lissés, support de toile d’époque…). Si c’est une copie elle a été réalisée par une personne extrêmement talentueuse, s’assurant même de reproduire le vieillissement de la toile et l’usure.

La travail d’authentification des œuvres d’art est souvent long et fastidieux mais il était impératif d’avoir une contre expertise de cette potentielle copie. Des recherches facilitées depuis des années avec le développement de nombreuses techniques de pointe. L’œuvre est passée au crible, inspectée sous tous les angles même l’intérieur du tableau est analysé (étude de la couche picturale, fils de la toile…)

image d'une oeuvre étudiée à l'aide d'un stéréomicroscope / © Cabinet G. Perrault
image d’une oeuvre étudiée à l’aide d’un stéréomicroscope / © Cabinet G. Perrault

Un face à face avec L’odalisque du Louvre

Pour approfondir cette expertise les deux toiles sont étudiées conjointement, en parallèle d’une investigation poussée autour de l’artiste, ses œuvres, son parcours.

Un double détail qui ne trompe pas

Si les deux toiles semblent être identiques, l’œuvre retrouvée chez ce particulier possède un détail frappant. Les pigmentations de teintes orangers sont exactement les mêmes que celle d’une autre de ses œuvres peinte la même année : celle du portrait de Madame de Senonnes. Le tableau qui est exposé au musée d’arts de Nantes est étudié par les experts sur place qui confirment la parfaite correspondance de la composition des pigments de peinture !

Portait de Madame de Senonnes réalisée par Ingres en 1814 © Cécile Clos/Musée d'arts de Nantes
Portait de Madame de Senonnes réalisée par Ingres en 1814 © Cécile Clos/Musée d’arts de Nantes

Enfin c’est la question de la signature qui reste centrale dans cette expertise pour déterminer si on en présence d’une copie très fidèle, ou face à l’original. Le tableau ayant été conservé dans une cave, le temps a laissé ses marques (humidité, pigments ternis, gondolement…). Pourtant on distingue en bas de l’œuvre ce qui semble être la signature officielle de Ingres. Il avait pour usage de signer à l’encre noire ses œuvres d’un « J.A INGRES ».

Après reconstitution grâce notamment à un système d’imagerie par rayons X, la thèse se confirme On reconnait la main du maitre cette toile a bien été peinte par Jean Auguste Dominique Ingres ! Une découverte à la fois inestimable pour le monde de l’Histoire de l’art et pour cette famille. En effet la toile estimée pourrait atteindre plusieurs millions d’euros.

Mais alors, qu’en est-il du tableau exposé au Louvre depuis une décennie ?

Les recherches se poursuivent pour connaitre enfin l’auteur de cette copie qui lui a valu sa place dans l’un des plus célèbres musées du monde !

D’ici là Cultur’easy vous souhaite évidemment un très bon 1er avril !

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Par  Marie Dardenne ,

Parisienne mais pas que, un temps dans l'événementiel, elle est à l'affût des nouveautés. Expo, festival, resto, voyage ... toujours une bonne raison de sortir et de partager ses expériences ! Bref le bon mélange pour vous proposer des articles pétillants !

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